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"L'érosion est accentuée par le réchauffement climatique"

Il y a un an, les tempêtes ravageaient la côte atlantique. Cyril Mallet, géologue au Bureau de recherches géologiques et minières, revient sur ce phénomène. 

Article rédigé par Julie Rasplus - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le littoral aquitain a subi une forte érosion au printemps 2014, comme ici à Soulac-sur-Mer (Gironde), au moment du passage de la tempête Christine.  (MAXPPP)

Mars 2014, en pleine tempête Christine. La surface de la falaise mouillée se fend puis s'écroule dans l'eau, tel un château de sable aux fondations fragiles. L'image, captée par l'émission "Thalassa" de France 3, montre à quel point l'hiver 2013-2014 a été dévastateur pour le littoral aquitain, touché par huit fortes tempêtes successives. Sous l'effet combiné des vagues, du vent et de la marée, la côte a reculé, parfois de plusieurs dizaines de mètres, comme à Soulac-sur-Mer (Gironde). Un an après, la marée du siècle, prévue samedi 21 mars, vient raviver les inquiétudes.

Francetv info fait le point sur ce phénomène avec Cyril Mallet, ingénieur littoral au Bureau de recherches géologiques et minières. 

Francetv info : L'hiver dernier a été particulièrement difficile pour le littoral aquitain. Faut-il s'inquiéter de la marée du siècle prévue ce samedi ? 

Cyril Mallet : Les grandes marées de fin mars ne sont pas inquiétantes si elles ne sont pas concomitantes avec de fortes houles ou des tempêtes qui pourraient accentuer l’érosion. Par exemple, il n’y a pas eu d’érosion exceptionnelle à la suite des forts coefficients de marée en février, alors que les houles étaient supérieures à 4 mètres. Il est cependant recommandé d’être prudent dans la fréquentation du littoral durant ces grandes marées, notamment si les vagues sont importantes.
 

Que s'est-il passé lors des tempêtes qui ont durement frappé ce secteur l'année dernière ?

On a eu des conditions marines particulières. De décembre 2013 à mars 2014, il y a eu une succession de tempêtes, relativement exceptionnelle. Cela s'est traduit par de fortes houles, d'une hauteur souvent supérieure à 3 mètres, avec très peu de périodes de répit. Si, individuellement, la plupart de ces tempêtes n’étaient pas extraordinaires, certaines ont été particulièrement énergiques, avec un temps qui séparait deux crêtes de houle beaucoup plus long que d'habitude. Cela a donné davantage de force aux vagues qui déferlaient.  

Si on regarde les données concernant les vagues sur les cinquante dernières années, on s'aperçoit ainsi que l'énergie des vagues des tempêtes de 2013 et 2014 a été deux fois supérieure à celle des hivers antérieurs. En temps normal, les plages sableuses sont protégées par des bancs de sable sous-marins qui cassent cette énergie. Mais avec le cumul des tempêtes, l'ensemble du système littoral a été fragilisé.

Comment cela s'est-il traduit ?

Sur les plages, il y a eu de fortes érosions, avec un recul assez important du trait de côte (la ligne représentant l'intersection entre la terre et la mer) mais aussi un abaissement des plages. En effet, l'érosion est un phénomène naturel qui se traduit sur deux plans : horizontal et vertical. De façon générale, le recul du trait de côte est plutôt linéaire dans le temps, mais l'érosion verticale est très irrégulière car, en été, les plages se rechargent naturellement en sable et donc reprennent de la hauteur. 

Avec les tempêtes de l'an dernier, le trait de côte a globalement reculé de 5 à 10 mètres en Gironde et dans les Landes, mais dans certains secteurs, il a reculé de plusieurs dizaines de mètres, comme à Soulac-sur-Mer, où le recul a atteint 40 mètres. En sortie d'hiver, il y avait un abaissement des plages de l'ordre de 2 à 3 mètres. C'est assez exceptionnel. Et pendant l'été, le rechargement en sable a été très faible et n'a donc pas compensé les pertes de l'hiver.

Y a-t-il plus d'érosion qu'avant ?

C'est difficile à dire, car nous n'avons pas tous les éléments historiques. Sur la côte aquitaine, on constate qu'il y a une grande variabilité de l'érosion, année après année. Certaines années connaissent des érosions fortes, comme l’hiver 2013-2014, d’autres présentent des répits. Les données anciennes ne sont pas suffisamment précises et régulières pour pouvoir identifier une augmentation de l’érosion. Mais depuis quelque temps, on voit que la tendance est au recul de la côte. En Aquitaine, ce recul est de l'ordre de 1 à 3 mètres par an sur la côte sableuse. 

L'érosion peut-elle empirer du fait du dérèglement climatique ?

Oui, l'érosion est accentuée par le réchauffement climatique. L'érosion est avant tout d'origine naturelle car on se situe en période interglaciaire : depuis 18 000 ans, le niveau marin remonte car on vit une période de réchauffement climatique naturel, qui provoque une dilatation thermique des océans et la fonte des glaces. Par ailleurs, on n'a plus aujourd'hui ces apports de sable ou de graviers charriés naturellement par les fleuves lors des périodes froides. Et le niveau marin augmente en raison du réchauffement atmosphérique.

Bien qu’à l’échelle du globe, les études du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) montrent qu’il faut s’attendre à des épisodes de tempêtes plus intenses et plus fréquents, il est très difficile de connaître les effets possibles du changement climatique à l’échelle régionale. Les données concernant le trait de côte ne remontent pas suffisamment loin dans le temps pour montrer une accélération de l'érosion, mais le contexte n'est pas favorable. Après, il ne faut pas être alarmiste. Le trait de côte a beaucoup reculé, mais parfois sur des secteurs où on avait gagné plusieurs dizaines de mètres, grâce à une gestion raisonnée des plages et des dunes.

Est-ce que l'érosion touche particulièrement le littoral français, l'Aquitaine en tête, ou est-ce un phénomène global ?

Le littoral aquitain n'est pas le seul concerné. L'ensemble des plages du globe recule, qu'elles soient sableuses ou rocheuses. C'est avant tout dû à un déficit des sédiments qui arrivent sur la côte, mais cela peut être accéléré par l'action de l'homme. Ce dernier contribue à l’augmentation du niveau marin avec l’accélération du réchauffement climatique depuis l’ère industrielle. Il perturbe également les dynamiques sédimentaires sur la côte en extrayant le sable ou en réalisant des ouvrages comme des barrages.

Que peut-on faire alors ? Existe-t-il des solutions durables  ?

D'abord, on peut laisser faire la nature, ne rien faire. Mais cela signifie qu'il n'y a pas de biens menacés derrière. En général, on n'emploie jamais cette stratégie. On peut aussi accompagner l'érosion avec des solutions dites "souples", en accompagnant les processus naturels : ce sont les rechargements en sable, les plantations sur les dunes ou les filets brise-vent pour freiner l'érosion éolienne. Ces solutions sont plus réversibles et souvent moins coûteuses.

Sinon, on vise des solutions "dures" pour fixer le trait de côte et protéger les enjeux menacés, telles que les "enrochements" ou les brise-lames positionnés au large pour réduire l’effet des vagues. Mais elles ont parfois des effets négatifs en accélérant l’érosion dans leur voisinage proche. Enfin, on peut opter pour le repli stratégique, qu'on appelle aussi relocalisation : on déplace les biens et les activités, et on réorganise le front de mer. 

Comment choisit-on la stratégie à suivre ? 

Le choix des solutions de protection dépend de l’intensité de l’érosion, des enjeux et de la politique de gestion. Il est possible d'en combiner plusieurs. On peut par exemple protéger un front de mer avec une solution dure pendant vingt ans puis procéder à une relocalisation. Pour le moment, en Aquitaine, il n'existe pas encore de stratégie déjà établie. Dans les mentalités, on a l'impression que le littoral est un milieu figé, alors qu'il est très mobile et évolue beaucoup dans le temps. Malheureusement, les populations l'ont parfois oublié.

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