Inondations meurtrières en Espagne : comment expliquer un bilan aussi lourd ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des sinistrés des inondations dans un quartier de la banlieue de Valence (Espagne), le 30 octobre 2024. (MANAURE QUINTERO / AFP)
Le gouvernement espagnol a annoncé un deuil national de trois jours à la suite des inondations dramatiques dans le sud-est du pays.

Le bilan définitif des inondations qui ont frappé le sud-est de l'Espagne n'est pas encore connu, mais il s'élève déjà à au moins 95 morts, dans la soirée du mercredi 30 octobre. "Nous faisons face à une situation sans précédent, que personne n'a encore jamais vue", a déclaré le président du gouvernement régional de la communauté de Valence, Carlos Mazón, tandis que le gouvernement espagnol a décrété un deuil national de trois jours.

En automne, la région de Valence et l'ensemble de la côte méditerranéenne espagnole subissent régulièrement des inondations causées par des pluies soudaines et violentes. Mais aucune n'avait été aussi meurtrière depuis la Gran riada de Valence en 1957. Alors que les secours continuent les recherches de rescapés et que les témoignages de proches inquiets se multiplient sur les réseaux sociaux, comment expliquer la gravité de ce bilan ?

Un phénomène d'une intensité rare

Au petit matin, mercredi, les services météorologiques de la région de Valence ont expliqué dans un long message publié sur les réseaux sociaux les mécanismes à l'œuvre dans la catastrophe. Qualifiée d'évènement "historique", "cette goutte froide est la plus destructrice observée dans la région de Valence depuis le début du siècle", a annoncé l'Aemet, selon laquelle l'épisode est comparable, en termes de destructions, aux tempêtes survenues en octobre 1982 et novembre 1987.

Dans la zone située entre les villes d'Utiel et de Chiva, les précipitations ont dépassé 300 litres par mètre carré pour la seule journée de mardi, a déclaré l'agence météo. A Chiva, "491 litres par mètre carré sont tombés en seulement huit heures : pratiquement ce qu'il peut pleuvoir pendant une année complète."

Il faudra attendre plusieurs semaines pour savoir dans quelle mesure cet épisode meurtrier a été rendu possible par le changement climatique. Cependant, "nous vivons sur une planète plus chaude [qu'autrefois], avec une atmosphère qui retient davantage d'énergie", a relevé l'Aemet.

Les régimes de précipitations évoluent (...) Il peut pleuvoir le même volume annuel, voire un peu plus, mais de manière différente, en moins de jours de précipitations.

L'Aemet, agence météorologique espagnole

dans un message sur le réseau social X

S'exprimant depuis Bruxelles, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rappelé la nécessité pour les gouvernements de se préparer à ces catastrophes naturelles, appelées à se multiplier sous l'effet du changement climatique : "En quelques mois seulement, des inondations ont touché l’Europe centrale et orientale, l’Italie et maintenant l’Espagne. C'est la réalité dramatique du changement climatique et nous devons nous préparer à y faire face dans toute notre Union et avec tous les outils à notre disposition", a-t-elle déclaré.

Des manquements dans le dispositif d'alerte

Alors que l'institut météorologique espagnol avait alerté depuis plusieurs jours sur l'arrivée de cette goutte froide, comment expliquer qu'autant de personnes se soient retrouvées piégées chez elles ou dans leur voiture ?

Pour Karla Zambrano, ambassadrice espagnole du Pacte européen pour le climat et chercheuse à l'université de Valence, citée par la chaîne RTVE, la première alerte de la Protection civile, envoyée sur tous les téléphones portables, est arrivée trop tard : à 20h10, alors que l'eau avait déjà envahi les routes autour de Valence. "La population a besoin de protocoles simples, visibles et connus de tous", a-t-elle ajouté, pointant un manque de "coordination" entre les administrations. Connaître les risques et les comportements pour y faire face constitue ce que les géographes appellent la "culture du risque", un pilier essentiel des politiques d'adaptation.

Interrogés par la presse espagnole, les rescapés assurent tous avoir été surpris par la rapidité à laquelle l'eau est montée. Un automobiliste de 54 ans cité par le quotidien El País se souvient qu'il pleuvait à peine quand il a quitté son travail. "L’eau a commencé à monter petit à petit jusqu’à inonder les champs de droite, puis l’autoroute, puis la rivière a grossi jusqu'à atteindre le dessous de la voiture (...) Je suis resté à l'intérieur en pensant que c'était l'endroit le plus sûr, jusqu'à ce que je remarque l'eau à mes pieds (...) Désespéré, je suis sorti de la voiture parce que je ne voulais pas me noyer." Il apparaît que beaucoup n'ont pas pu se mettre à l'abri à temps.

Un danger accentué par l'urbanisation

Ces précipitations énormes sont tombées en quelques heures sur des aires urbaines parfois densément peuplées, comme aux alentours de Valence. Certes, les phénomènes méditerranéens sont courants dans la région, mais "il est littéralement impossible de déterminer exactement où se produiront les précipitations torrentielles les plus importantes", a précisé à RTVE José Antonio Maldonado, de l'organisme Meteored. Or, les villes augmentent la vulnérabilité face à un aléa tel qu'une inondation.

Parmi les communes les plus touchées figurent ainsi L'Alcudia, dans la province de Valence, mais aussi Letur, dans la province voisine d'Albacete, dans la communauté autonome de Castille-La Manche. Davantage dans les terres, cette petite ville pittoresque partage son nom avec le ruisseau qui la traverse et alimente la rivière Segura, laquelle s'écoule des sommets alentour jusqu'aux plaines en contrebas. Selon une association de défense de l'environnement et des sources locales, l'artificialisation des sols a rendu la ville de plus en plus vulnérable aux inondations. En témoignent deux images : la première montre l'écoulement de cette exceptionnelle quantité d'eau, la seconde, les canaux et bassins construits pour permettre à l'eau de circuler en zone urbanisée.

Le cours d'eau, gonflé par les précipitations, "saute dans la rue San Antón, mais les murs et la rue elle-même empêchent l'eau de retourner dans son canal", explique le compte de l'association, pour qui les constructions ont obstrué "le tracé alternatif de drainage en cas de grandes crues", contraignant l'eau à suivre le tracé d'une rue menant "directement à la vieille ville". Des problèmes "connus depuis longtemps", déplore encore l'association, qui appelle les autorités à améliorer la résilience de ces communes à l'occasion de la mise à jour du plan de prévention des inondations pour 2028-2033.

Expert en inondations à l'université polytechnique de Valence, Félix Francés a pointé auprès de la RTVE le problème des constructions en zone inondable, notamment autour de la Rambla del poyo, un canal fluvial qui traverse en partie le sud de la métropole, composé de zones industrielles, de quartiers résidentiels et d'infrastructures, telles que l'aéroport. Un profil "typique des crues soudaines", a-t-il expliqué. Et des lieux où ont été piégés de nombreux sinistrés dans la nuit de mardi à mercredi.

Consultez lamétéo
avec
voir les prévisions

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.