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Thaïlande : Bangkok suffoque à cause d'un épais nuage de pollution

La capitale thaïlandaise connaît un important épisode de pollution. Les mesures prises par le gouvernement paraissent dérisoires au vu du risque sanitaire.

Article rédigé par franceinfo - Lionel Deconinck, correspondant à Bangkok
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un brouillard de pollution dans le ciel de Bangkok (Thaïlande), le 14 janvier 2019. (ROMEO GACAD / AFP)

Tous les jours, c'est la course aux masques antipollution. Dans la plupart des pharmacies de Bangkok, la capitale thaïlandaise, les stocks sont épuisés. Comme la population, qui s'inquiète de l'ampleur de la pollution, que chacun peut constater à l'œil nu. 

C'est qu'il y a matière à s'inquiéter. Alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un niveau quotidien d'exposition maximum de 25 microgrammes par m3 pour les particules fines PM 2,5, les relevés journaliers effectués à Bangkok dépassent allègrement 80 microgrammes par m3 depuis plusieurs semaines. Ponctuellement, la capitale thaïlandaise apparaît même dans le Top 10 en temps réel des villes les plus polluées au monde, avec un indice AQI de 170 à 180. 

"C'est le pire épisode de pollution de l'histoire de la ville, affirme Tara Buakamsri, le responsable de Greenpeace en Thaïlande. Bangkok ne peut pas continuer d'étouffer ainsi à cause de la dangerosité de l'air", alerte-t-il. Particulièrement nocives pour la santé, ces particules sont accusées de causer diverses pathologies.

"Faire pleuvoir"

Les Thaïlandais, eux, partagent leurs stigmates sur les réseaux sociaux. Yeux rougis, saignements de nez, infections pulmonaires, les photos diffusées sur internet sont particulièrement explicites.

"Microparticules de 2,5 : elles nous rendent malades en un instant", est-il écrit en thaï sur cette image diffusée sur Facebook (CAPTURE ECRAN FACEBOOK)

Face au risque sanitaire, le gouvernement a ordonné la fermeture de toutes les écoles, y compris le lycée français et toutes les écoles internationales. Une décision accueillie avec soulagement après quelques semaines de discours rassurants et de mesures dérisoires destinées à "faire pleuvoir". 

Ainsi à la mi-janvier, le gouvernement a envoyé des pompiers munis de lances à incendie en haut des gratte-ciel de Bangkok, espérant ainsi "fixer les micro-particules". Des camions ont déversé de l'eau dans les rues et aux grands carrefours de la ville, créant localement des inondations. Des avions ont bombardé les nuages de particules cristallines, généralement des cristaux d'iodure d'argent, afin de provoquer une pluie artificielle. Ce qui n'a pas manqué d'agacer les habitants.

Sur les sites d'information et les réseaux sociaux, les commentaires moqueurs succèdent aux cris d'alarme. Sur Facebook, un certain Thanatat questionne : "C'est drôle mais en même temps, ce n'est pas drôle… Qui a eu une idée pareille ?" Une jeune femme se plaint, sur le site Khaosod, d'avoir échappé de peu à un accident avant de lancer : "Et donc, quand les rues auront séché, la pollution aura disparu ?"

Un dispositif miracle est ensuite annoncé : des drones vaporisateurs. Le 31 janvier, une cinquantaine de drones ont pulvérisé quelques centaines de litres d'eau au-dessus de la capitale. La méthode, déjà testée en Chine en 2014 sans grand succès, est contestée par la plupart des scientifiques, en raison surtout de la surface à vaporiser. L'agglomération est en effet gigantesque : près de 20 millions d'habitants repartis sur 1 500 km2. De quoi épuiser quelques drones. "Comment des politiques censés être intelligents peuvent-ils imaginer des choses aussi stupides ?", demande même un commentateur sur Thairath

Un enjeu sanitaire et électoral

Certains scientifiques dépendant d'organismes officiels émettent eux aussi des doutes sur ces dispositifs. Pour le Pr Siwatt Pongpiachan, directeur du centre de recherche et développement sur la prévention et le management des catastrophes, les moqueries sont exagérées, avant de concéder "qu'il serait plus efficace de s'attaquer à la source de cette pollution, plutôt que d'essayer de laver tout le ciel."  Une évidence. Les conditions météorologiques (un anticyclone venu de Chine), la construction de nouvelles lignes de métro, l'explosion de la circulation automobile, et les industries lourdes, dont les rejets sont peu surveillés et loin des normes européennes, plombent l'air de la ville, menaçant la santé publique et un autre bien national, l'industrie du tourisme.

Au début du mois de février, le chef de la junte, Prayuth Chan-o-Cha a donné l'ordre à l'armée de contrôler les usines dans les 76 provinces du pays. "Je demanderai à l'armée d'aller vérifier chaque usine et de me faire un rapport directement", a déclaré le Premier ministre.

Une urgence soudaine, que les Thaïlandais lient directement au calendrier politique. A l'approche du scrutin législatif annoncé pour le 24 mars, le premier depuis le coup d'Etat militaire de 2014, l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra en a profité pour railler le général Prayut Chan-o-Cha sur les réseaux sociaux : "Etre parmi les dix villes les plus polluées au monde a un impact sur la santé de nos concitoyens et sur l'économie. Cela va affecter le tourisme", a prévenu l'ancien Premier ministre renversé par les militaires en 2006 et aujourd'hui en exil. Et dans Bangkok, au petit matin, alors que les habitants partagent les photos du "smog" en partant travailler, plusieurs partis politiques haranguent les passants et, en guise de tracts, distribuent ces si précieux masques antipollution.  

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