"Les centrales nucléaires en France ne sont pas correctement conçues pour résister à des séismes" alerte un expert
Pour le directeur du laboratoire du Criirad, la France n'a pas assez pris la mesure du risque sismique dans le pays. La secousse type sur laquelle les marges de sécurité sont basées est seulement de 5,2 alors que le séisme de lundi était de 5,4.
Après le séisme de magnitude 5,4 sur l'échelle de Richter - selon France séisme -lundi en Ardèche, la centrale nucléaire de Cruas a été arrêtée le temps d'un audit approfondi. Les réacteurs doivent redémarrer vendredi. "Les centrales nucléaires en France ne sont pas correctement conçues ni exploitées pour résister à des séismes pourtant réalistes", assure Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad), mardi 12 novembre, sur franceinfo.
franceinfo : Qu'est-ce qu'on surveille dans un "audit approfondi" comme celui qui est en cours à la centrale de Cruas ?
Bruno Chareyron : L'importance après un séisme, c'est de vérifier que toute une série de dispositifs qui sont vitaux pour la sûreté de l'installation nucléaire n'ont pas été fragilisés. Or, on sait très bien depuis maintenant plusieurs années qu'en France - et ça concerne de très nombreux réacteurs -, un certain nombre de ces dispositifs ne sont pas aux normes sismiques. Par exemple, en 2017, sur 26 réacteurs nucléaires, des défauts d'ancrage de certains équipements ont été mis en évidence. En cas de séisme et de désolidarisation, cela conduirait à ce que les groupes électrogènes de secours ne puissent plus fonctionner. On a découvert également en 2017 que sur 20 réacteurs français, en cas de séisme important, il n'y aurait plus possibilité de pomper l'eau de refroidissement, ce qu'on appelle la source froide. Tout ça pour dire qu'en fait, en France, contrairement à ce que les citoyens peuvent croire, les centrales nucléaires ne sont pas correctement ni conçues, ni exploitées pour résister à des séismes pourtant réalistes.
La France n'a-t-elle donc pas pris la mesure du risque sismique sur son territoire ?
Absolument pas. On le voit bien sur ce qui se passe en ce moment. Nous sommes face à un séisme qui s'est produit, disons, à 13 kilomètres de la centrale de Cruas, 28 km de celle du Tricastin. Un séisme qui a une magnitude de 5,4 alors que le séisme majoré de sécurité, c'est dire le séisme le plus important pris en compte pour garantir la sûreté des installations, est de seulement 5,2. Cela veut dire que même avec des marges de sécurité, les spécialistes n'ont pas pu prévoir qu'on aurait à faire face à un séisme aussi important aujourd'hui. Par exemple, sur le site du Tricastin, il y a une digue qui retient le canal de Donzère-Mondragon. Et cette digue n'est pas aux normes sismiques. L'ASN [l'Autorité de sureté nucléaire] a autorisé EDF et Orano à continuer d'exploiter leurs installations et à reporter à 2022 la mise aux normes de cette digue.
Si ce séisme avait eu lieu non pas à 13 km ou 28 km, mais qu'il avait eu lieu beaucoup plus près des installations nucléaires, elles n'étaient pas forcément dimensionnée pour y résister.
Bruno Chareyron, directeur du laboratoire du CRIIRADà franceinfo
Est-ce qu'on a la capacité de renforcer les installations nucléaires pour qu'elles puissent faire face à un risque sismique important ?
Ce que l'on constate, c'est que EDF n'en est pas capable. De façon récurrente, on découvre de manière fortuite que des installations importantes pour la sûreté dans nos centrales ne sont pas aux normes sismiques. Par exemple, le travailleur qui vient faire un travail de maintenance et qui s'aperçoit qu'il y a des ancrages qui sont défectueux, des tuyaux qui peuvent céder parce qu'ils sont rouillés. On voit que EDF, aujourd'hui, n'est plus capable de garantir la sûreté des installations nucléaires par rapport à toute une série de risques et en particulier le risque sismique.
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