Afghanistan : comment le pays plonge dans une crise économique et humanitaire sans précédent, un an après la prise de Kaboul par les talibans
Dans un rapport publié lundi, l'ONG International Rescue Committee (IRC) estime que la crise actuelle pourrait tuer "beaucoup plus d'Afghans que les vingt dernières années de guerre".
Le nombre d'Afghans ayant besoin d'aide humanitaire a bondi d'un tiers depuis le début de 2021. C'est le constat alarmant que dresse l'ONG International Rescue Committee (IRC), dans un rapport publié lundi 15 août (lien en anglais), un an jour pour jour après la prise de Kaboul par les talibans.
Déjà secoué par une instabilité politique chronique depuis plusieurs décennies, l'Afghanistan est en proie à une grave crise de la faim. Avant même l'arrivée au pouvoir des talibans, en juillet 2021, 14 millions de personnes souffraient de faim aiguë dans le pays. Un chiffre qui a grimpé à 23 millions en mars 2022, d'après les estimations de la mission de l'ONU en Afghanistan, soit plus de la moitié des habitants du pays, qui en compte 39 millions. L'économie souffre également d'une importante crise de liquidités, empêchant notamment les Afghans de retirer leurs économies à la banque.
Une aide internationale à l'arrêt et des avoirs gelés
Après le retour des talibans au pouvoir, la communauté internationale a décidé de ne plus financer directement le pays. L'aide internationale, qui représentait pas moins de 40% de son PIB, est donc à l'arrêt.
En août 2021, la justice américaine avait par ailleurs gelé 7 milliards de dollars détenus par la Banque centrale afghane aux Etats-Unis sous forme d'actifs financiers, de peur qu'ils ne tombent entre les mains des talibans. Fin juin, après un tremblement de terre ayant fait plus de 1 000 morts dans l'est du pays, des négociations ont eu lieu entre Washington et les talibans sur le déblocage de ces fonds. Joe Biden a finalement décidé que la moitié des 7 milliards soit réservée à l'indemnisation des familles de victimes des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et l'autre moitié à de l'aide humanitaire à l'Afghanistan, sans que celle-ci ne transite par les talibans.
Dans une lettre ouverte publiée le 10 août (PDF), plus de 70 économistes réunis autour de l'Américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie en 2001, appellent à débloquer ces fonds. Ils jugent que la décision de Washington n'est pas satisfaisante car "les 7 milliards appartiennent dans leur entièreté au peuple afghan".
Une crise aggravée par la sécheresse et l'inflation
"Alors que les dirigeants mondiaux cherchaient à isoler économiquement les talibans, leurs approches politiques ont paralysé l'économie, détruit le secteur bancaire et plongé le pays dans une catastrophe humanitaire", regrette l'International Rescue Committee.
Outre l'atteinte aux droits humains qu'elle constitue, la mise au ban des femmes au sein de la société afghane a également participé à mettre à mal l'économie, ajoute l'ONG. "Les restrictions imposées à l'accès des femmes au travail ont contribué à affaiblir l'économie, entraînant une perte pouvant atteindre un milliard de dollars, soit environ 5% du PIB de l'Afghanistan", chiffre-t-elle.
Une forte inflation – que le FMI ne quantifie pas, faute de donnés fiables (en anglais) – vient compléter le tableau de cette situation particulièrement dégradée, causée non seulement par la crise alimentaire mondiale liée au conflit en Ukraine, mais aussi par une agriculture locale touchée de plein fouet par la sécheresse, comme le décrivait le Comité international de la Croix-Rouge fin juillet.
Un appel de fonds peu fructueux
"Le prix de certains aliments a doublé, notamment l'huile de cuisson, le riz et la farine" relate Samy Guessabi, directeur régional de l'ONG Action contre la faim, pour France 24. De nombreux produits de consommation courante sont devenus inabordables pour une grande partie de la population.
Un appel de fonds conséquent avait pourtant été lancé par l'ONU en début d'année, mais ce dernier n'a mobilisé que 2,44 milliards de dollars, loin des 4,4 milliards espérés. L'ONU avait pourtant garanti aux donateurs que les fonds ne passeraient pas par les talibans mais seraient utilisés directement par quelque 160 ONG et agences onusiennes sur le terrain.
L'International Rescue Committee (IRC), pour sa part, exhorte les institutions internationales "à apporter un soutien technique au secteur bancaire" pour l'aider à se remettre sur pied rapidement. "Sans un soutien significatif, l'Afghanistan continuera sur cette trajectoire et la crise actuelle tuera beaucoup plus d'Afghans que les vingt dernières années de guerre", prévient l'ONG.
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