Afghanistan : les talibans organisent "l'oppression des femmes par l'inaction", analyse une spécialiste
Les talibans ont adopté dimanche des mesures plus restrictives envers les femmes. "Cela leur ôte toute dignité", a estimé sur franceinfo Myriam Benraad, politologue et spécialiste du monde arabe.
Les femmes afghanes sont "les premières victimes de décisions qui restreignent leur liberté et pour certaines leur ôtent toute dignité", a déclaré sur franceinfo dimanche 26 décembre Myriam Benraad, politologue et spécialiste du monde arabe. Les talibans ont annoncé que les femmes qui veulent voyager plus de 72 kilomètres devront désormais être accompagnées et les chauffeurs de taxi ne doivent plus accepter à bord que des femmes qui portent le voile islamique. Selon Myriam Benraad, "la crise humanitaire aggrave les choses, d'autant plus pour les femmes".
franceinfo : Ces mesures rappellent ce qui se passait pendant la première prise de pouvoir des talibans, entre 1996 et 2001. Faut-il s'attendre à pire ?
Myriam Benraad : Tout d'abord, le fond idéologique n'a pas changé. J'ai même tendance à croire que les plus jeunes talibans seront potentiellement plus violents parce que ces 20 ans de guerre les ont - pour certains - radicalisé. D'ailleurs, on a vu l'émergence de structures comme le groupe État islamique, qui sont des factions jihadistes bien plus dures que les talibans encore. C'est la preuve que cette guerre a été contre-productive. Ensuite, on a un grand appauvrissement et une importante précarisation, avec des situations de famine. La situation socio-économique est totalement désastreuse et vient encore accentuer la tendance des talibans à être violents, à réprimer en cas de résistance ou d'opposition à leur pouvoir.
Face à ces problématiques, les femmes sont-elles les premières victimes de cette prise de pouvoir des talibans ?
Oui, elles sont directement touchées par ces décisions qui restreignent leur liberté, voire leur ôtent toute dignité. Ensuite, il y a aussi l'oppression des femmes par l'inaction. En effet, cette famine est complètement laissée à la charge des femmes. Les talibans n'agissent pas : ils n'ont aucun programme d'entraide et d'assistance à ces veuves de guerre qui se retrouvent seules avec leurs enfants. Certaines sont même forcées de vendre leur fillette pour assurer la survie des garçons. Ce sont des situations atroces. Il y a une traite sexuelle en Afghanistan et on fait passer ça pour des pratiques traditionnelles et ancestrales. En réalité c'est de l'exploitation sexuelle. Et cela fleurit sur cette faillite du pays.
Les talibans avaient promis des mesures d'ouverture pour avoir de l'aide humanitaire. Est-ce que ces nouvelles mesures contre les femmes vont freiner l'arrivée de cette aide ?
Ils ont commencé à faire de grandes promesses pour s'assurer justement de la continuité de l'aide alimentaire. Ensuite, ils ont finalement montré leur vrai visage en prenant un certain nombre de décisions qui allaient totalement à l'encontre de ce qu'ils avaient promis. La communauté internationale a donc décidé de stopper l'aide humanitaire et de la conditionner à la situation des femmes. Dans la mesure où les femmes sont elles-mêmes victimes de cette situation humanitaire catastrophique, ils jouent sur cet état d'urgence pour contraindre la communauté internationale à agir. On ne sait pas quoi faire. Les voix sur ce sujet sont discordantes entre ceux qui disent qu'il faut adopter une position totalement jusqu'au-boutiste face aux talibans et d'autres qui vous diront qu'il faut tout de même sauver la population afghane avant tout.
Sans l'aide humanitaire, l'Afghanistan peut-elle s'en sortir ?
Non, l'Afghanistan n'a de toute façon aucun avenir avec les talibans. Au-delà d'ailleurs de la question des femmes, les talibans ne sont pas capables d'administrer un quelconque appareil d'État ou des ministères. La situation n'était déjà pas rayonnante mais, en trois mois, ils ont littéralement plongé le pays dans la famine. Ce mouvement n'a pas d'avenir, il ne propose rien à ce pays. C'est d'ailleurs peut-être de cette faillite socio-économique que leur échec viendra. Mais le pays est totalement dans l'impasse.
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