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Après la reprise de Kunduz, où en est l’Afghanistan?

Les forces afghanes, apparemment puissamment aidées par des militaires occidentaux, ont affirmé le 1er octobre 2015 avoir repris aux talibans le contrôle de la ville de Kunduz, carrefour stratégique du nord du pays occupé trois jours durant par les rebelles. La conquête éphémère de la ville, dans une région autrefois stable, constitue un grave revers pour le régime de Kaboul.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Militaires afghans le 21 juin 2015 près de Kunduz (nord de l'Afghanistan) (Reuters - Stringer)

Les talibans, eux, démentent la perte de Kunduz. Un de leurs porte-parole a assuré que les insurgés résistaient aux forces gouvernementales dans le centre de la ville et en contrôlaient l’essentiel. De son côté, Kaboul assure que ses forces ont repris les principaux secteurs. Plusieurs habitants ont confirmé à l’AFP que les troupes gouvernementales se sont rendues maîtres de plusieurs quartiers centraux.

Une chose est sûre : l’offensive éclair des talibans le 28 septembre, qui leur a permis de s’emparer de Kunduz en quelques heures, a pris de court les loyalistes, seuls en première ligne depuis la fin de la mission de combat de l’Otan en décembre 2015. Officiellement, l’alliance occidentale ne compte plus dans le pays que 13.000 soldats, cantonnés à un rôle de conseil et de formation. Mais face à la débâcle des Afghans, des militaires allemands, américains et britanniques des forces spéciales ont été envoyés à Kunduz, selon l’AFP. L’aviation américaine est également intervenue à plusieurs reprises. Une intervention qui s’est avérée cruciale puisqu’elle a permis de contenir les combattants islamistes.

La situation de la population
Effrayés par la perspective d’un retour des talibans et de leur régime fondamentaliste, des milliers de personnes ont fui. Les magasins sont restés fermés, la nourriture a commencé à manquer. L’eau et l’électricité sont restées coupées dans de nombreux quartiers.

Lors de leur passage, qui a duré trois jours, les talibans ont incité les habitants de Kunduz à reprendre une «vie normale», ce qui tend à montrer qu’ils entendent gagner les cœurs des civils. Selon le témoignage d’un médecin qui a tenu à rester anonyme, ils ont utilisé des haut-parleurs pour pousser les commerçants à rouvrir leurs boutiques. Pour autant, dans une vidéo diffusée sur Facebook, les rebelles ont dit vouloir appliquer leur version rigoriste de la charia, la loi islamique. Le signe qu'ils comptaient s'installer durablement.

Le président afghan Ashraf Ghani à Kaboul le 29 septembre 2015 (REUTERS - Mohammad Ismail)

Grave échec de Kaboul
Si elle est confirmée de source indépendante, la reprise de Kunduz par l’armée de Kaboul serait loin de marquer une victoire sur le long terme contre les talibans, chassés du pouvoir par l’Otan fin 2001. Et qui combattent, depuis lors, férocement le gouvernement afghan et ses alliés étrangers.

La prise de Kunduz, avec ses 300.000 habitants, important verrou stratégique sur la route du Tadjikistan, est au contraire un très grave revers pour le président Ashraf Ghani et son armée, surmenée et visiblement incapable de se passer de l’aide militaire occidentale. L’évènement a un impact symbolique très fort : c’est en effet la première fois depuis la chute de leur régime en 2001 que les talibans entrent dans une grande ville afghane. L’impact est d'autant plus grand que leur offensive est intervenue un an après l'avènement du gouvernement d'union nationale du président Ashraf Ghani. Lequel a été élu sur la promesse de ramener la paix dans son pays déchiré par plus de 30 ans de conflit.

L’attaque constitue le premier grand succès du nouveau chef des talibans, le mollah Akhtar Mansour, nommé cet été après l'annonce tardive de la mort (apparemment début 2013) du mollah Omar, et dont l'autorité avait depuis été mise à mal par des divisions internes. Les insurgés semblent galvanisés par ce qu’ils ont appelé une «grande victoire». Laquelle permet à leur nouveau chef d’asseoir son autorité au sein d'un mouvement dont certains cadres lui niaient toute légitimité. Le responsable, installé au Pakistan, a affirmé que ses militants projetaient d'«étendre la guerre à d'autres régions. Kaboul n'est qu'à 340 km (de Kunduz). Si nous avons réussi à prendre (cette ville), Kaboul ne sera pas plus difficile à prendre.»

Photo non datée du nouveau chef des talibans, le mollah Akhtar Mohammad Mansour (Reuters (photo apparemment fournie par les talibans))

Le jeu d’EI et du Pakistan
Pour l’instant, cependant, «les talibans savent qu'ils n'ont pas les moyens de garder le contrôle d'une grande cité comme Kunduz. Mais la prise de la ville montre tout le poids qu'ils auront lors de futurs pourparlers de paix», estime un analyste militaire cité par l’AFP. Ces négociations directes, dont un premier round s'est tenu au Pakistan en juillet 2015, ont été abruptement suspendues à l'annonce de la mort du mollah Omar.
              
D’une manière générale, les talibans ne lâchent rien. La période estivale a coïncidé avec une flambée des violences dans tout le pays. Les attentats se sont multipliés. Et les islamistes ont étendu leurs attaques au nord de l'Afghanistan, autrefois relativement stable.

Un souci de taille pour les autorités afghanes qui doivent, dans le même temps, faire face à la menace grandissante du groupe Etat islamique (EI). Selon un rapport d’experts de l’ONU cité par Le Monde, «environ 10 % des membres de l’insurrection (…) sont des sympathisants d’EI»… Jusqu'ici, cette organisation djihadiste s'attachait à combattre les talibans. Mais elle a commencé le 27 septembre à s'en prendre aux forces gouvernementales.

Autre difficulté de taille pour Kaboul : le jeu trouble du Pakistan et de ses services secrets qui tentent d’influencer les rebelles. Leurs amis, considérés «comme des relais de la politique extérieure» d’Islamabad, seraient installés dans la zone pakistanaise du Waziristan du Nord, à la frontière de l’Afghanistan, et commettraient des attentats suicide côté afghan. Notamment une attaque fin 2009 contre une base américaine à proximité de Khost (est afghan), qui «avait tué sept agents de la CIA». L’Afghanistan est donc loin, très loin d’être tiré d’affaire…

Une femme passe près de véhicules de l'armée afghane dans la province de Kunduz le 24 juin 2015. (Reuters - Stringer)

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