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Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram qui ne cesse de ressusciter

La mort du chef du groupe islamiste nigérian a été annoncée trois fois. Mais par trois fois, il est revenu.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une capture d'écran d'une vidéo de Boko Haram, jeudi 2 octobre. ( BOKO HARAM / AFP)

"Me voilà, en vie". Tout sourire, le sanguinaire chef du groupe islamiste nigérian Boko Haram, Abubakar Shekau, triomphe dans une vidéo, juché sur un pick-up où il tire en l'air en agitant son fusil, jeudi 2 octobre. Beaucoup auraient espéré ne pas le revoir vivant, depuis l'annonce de sa mort par l'armée nigériane une semaine plus tôt. Ce n'est pas la première fois qu'il "ressuscite".

Combien de fois sa mort a-t-elle été annoncée ? "Une demie-douzaine de fois", avance le New York Magazine. France 24 s'en tient à trois, l'AFP aussi (en 2009, 2013 et 2014). Les voici :

Résurrection numéro 1

La première fois, peut-être la plus sérieuse, c'était en 2009. Les autorités nigérianes cherchent à éradiquer Boko Haram. Le chef de la secte islamiste Mohamed Yusuf est tué. Abubakar Shekau est aussi donné pour mort.

Mais il n'est que blessé par balles. Il se cache. Il réapparaît dans une interview, en 2010, avec un journaliste nigérian et annonce qu'il prend la tête du mouvement et le radicalise. "Pourquoi est-il si violent ? Je crois que c'est parce que Shekau a presque été tué", estime le chercheur Martin Ewi dans le New York Magazine.

Résurrection numéro 2

Quatre ans plus tard, le 19 août 2013, les forces de sécurité nigérianes pensent à nouveau que Shekau "pourrait avoir été tué" par balle. Il serait mort entre le 25 juillet et le 3 août. Blessé lors d'un accrochage avec des soldats le 30 juin, il aurait été transporté au Cameroun où il aurait succombé à ses blessures. Nouvelle vidéo de Boko Haram le 25 septembre. L'homme à l'image se vante : "C'est Shekau, Shekau, Shekau, Shekau, le vrai... Je veux que le monde entier sache que je suis vivant".

Moins d'un an plus tard, mi-avril 2014, Abubakar Shekau devient une célébrité mondiale en enlevant au moins 200 jeunes lycéennes. Les Américains en font une cible prioritaire : 7 millions de dollars (5,3 millions d'euros) sont promis pour sa capture.

Résurrection numéro 3

Cette fois, la mort est documentée. Le 18 septembre 2014, l'armée nigériane parle d'un commandant de Boko Haram blessé. Puis un site camerounais montre la photo du cadavre d'un homme barbu. C'est le début de la publication d'une suite d'éléments et de spéculations sur internet retracés par France 24 : un compte Facebook se présentant comme celui de l'armée camerounaise, mais non officiel, reprend la photo et compare le cadavre à Shekau, puis viennent des photos dans un autre contexte, un hôpital, et enfin une vidéo étrange qui semble montrer l'homme que l'on voit mort sur la photo.

On n'y comprend plus rien, mais il semble que les services de sécurité envisagent sérieusement qu'il ait pu avoir été tué, selon Bloomberg. Un journaliste nigérian, excellent connaisseur de Boko Haram, affirme lui que Shekau n'est pas mort.

 

Finalement, l'armée convoque la presse : Abubakar Shekau est mort, dit le porte-parole national de l'armée nigériane, le général Chris Olukolade. L'homme sur les photos, c'est Shekau, on reconnaît l'œuf de pigeon sur son front.

A force de crier au loup, personne ne le croit. A l'ONU, un haut diplomate américain ironise : "Les Nigérians ont annoncé plusieurs fois que le chef de Boko Haram était mort et à chaque fois nous nous rendons compte que ce n'est pas vrai". Et d'ajouter : "J'ai lu récemment que quelqu'un ressemblant à Shekau ou qu'un imposteur avait été tué et puis j'ai lu par la suite que Shekau lui-même avait été tué". Le journal nigérian The Punch se moque : "Shekau a encore été tué par les militaires".

Moins d'une semaine plus tard, le voilà qui parade en bottes de caoutchouc dans une vidéo envoyée à l'AFP avec images de lapidation, de décapitation et d'amputation. Il affirme appliquer la charia de façon littérale dans toutes les villes du Nord-Est dont Boko Haram a pris le contrôle ces dernières semaines, son "califat".

Immortel Shekau

En fait, la déclaration du porte-parole de l'armée était un peu plus ambigüe. Il affirmait que l'armée avait tué un chef islamiste "agissant ou se faisant passer dans des vidéos comme le défunt Abubakar Shekau, le personnage excentrique connu comme le chef du groupe" Boko Haram.

Or, on connaît mal Abubakar Shekau. Même son âge est inconnu. Et, pour compliquer le tout, il aurait recours à des doubles. Dans sa conférence de presse, le porte-parole a pris soin de préciser que Shekau est maintenant une "marque emblématique" pour Boko Haram.

Interrogé par l'AFP, Jacob Zenn, de la Jamestown Foundation, think-tank basé aux Etats-Unis, pense même que Shekau a pu être tué il y a longtemps, et son nom utilisé depuis lors par plusieurs commandants. "Il y a eu également plusieurs Abu Qaqas", selon lui, en référence au porte-parole du groupe tué en 2012. C'est l'une des tactiques habituelles du groupe.

Shekau mort ou pas, qu'un double apparaisse dans les vidéos ou non, sa mort aura au final peu d'impact sur le terrain, en raison de la structure de commandement collégiale de Boko Haram. Depuis la mort de Mohamed Yusuf, le fondateur de Boko Haram, Shekau dirige la shura (conseil des commandants) à la tête du groupe islamiste et il pourrait être facilement remplacé. Bref, Shekau n'est pas près de mourir.

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