Coronavirus : la hantise des dirigeants africains, une explosion sociale majeure
Pour des millions de foyers qui vivent dans les bidonvilles et les "quartiers spontanés" du continent, le confinement total pourrait jeter nombre d'entre eux dans la rue, si la crise perdure.
C'est le premier chef d'Etat africain à tirer la sonnette d'alarme sur les conséquences néfastes des mesures de confinement strictes imposées aux populations africaines, pour lutter contre la propagation du coronavirus. Le président béninois, Patrice Talon, redoute une explosion sociale. Il a d'ores et déjà tranché : pas question d'ordonner un confinement total à sa population. Il n'en a pas les moyens, se défend-il.
Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées
Patrice Talon, président du Béninà la télévision béninoise
Le chef de l'Etat béninois rappelle que, pour accompagner les mesures de confinement, les pays riches débloquent des sommes faramineuses que n'ont pas les pays africains pour prévenir le chaos économique inévitable. Il a toutefois annoncé que huit grandes zones économiques, dont Cotonou, la capitale économique, seront entourées d'un cordon sanitaire et que les transports en commun y seront suspendus à partir du 30 mars. Les établissements scolaires et les lieux de culte ont déjà été fermés.
"Un cocktail désastreux"
La crainte d'une explosion sociale, c'est la hantise des dirigeants africains qui tentent, tant bien que mal, de contenir la propagation du coronavirus en confinant leurs populations dépourvues de moyens de subsistance. Pour des millions de foyers, il n'est pas possible de survivre sans sortir et sans se déplacer pour trouver de quoi manger. Des voix s'élèvent de plus en plus contre le risque d'une catastrophe humanitaire qui pourrait déclencher des émeutes violentes dans plusieurs pays du continent.
A Kinshasa, la capitale de la RDC, les autorités ont dû reculer. Le confinement de la mégapole congolaise de dix millions d'habitants, qui devait commencer le 28 mars, a été reporté sine die. "Le report s'explique par des spéculations sur les prix des biens de première nécessité et vise à prévenir les actes susceptibles de créer l'insécurité", a annoncé le gouvernement congolais dans un communiqué remis à la presse. Des voix de la société civile avaient dénoncé une mesure dangereuse qui ne pouvait conduire qu'à une catastrophe humanitaire et à des émeutes.
Le risque d'une explosion sociale est aussi élevé en Afrique du Sud. Dans ce pays, le plus touché par la pandémie en Afrique, un confinement total de trois semaines est en vigueur depuis le 26 mars à minuit pour les 60 millions de Sud-Africains. La majorité d'entre eux survivent difficilement dans les bidonvilles et dans une extrême pauvreté. Comment, dans ces conditions, tenir ces populations lorsqu'elles ne pourront plus se nourrir. "Tous les ingrédients sont rassemblés pour un cocktail désastreux", prévient un médecin néerlandais en poste en Afrique du Sud, qui a témoigné dans le journal français Libération.
Eviter de nouvelles émeutes de la faim
En peu partout sur le continent, des incidents ont déjà opposé les forces de l'ordre aux habitants vivant dans les quartiers populaires pour non-respect des mesures de confinement. C'est le cas en Afrique du Sud, en Ouganda et au Rwanda. Qu'en sera-t-il si ces mesures, pourtant nécessaires pour circonscrire la pandémie, venaient à durer plusieurs semaines, voire des mois ? Il faudra faire preuve d'imagination pour éviter des tragédies, plaide le docteur Massamba Diop, directeur de SOS médecin à Dakar, au Sénégal. Il estime que les pays africains concernés pourraient, avec le soutien de leurs partenaires, trouver des solutions pour aider les plus démunis.
La possibilité par exemple de leur donner une sorte de revenu minimum pendant un, deux ou trois mois ou leur distribuer des vivres. Il y a une certaine résilience de la population, mais à un moment il y a la révolution
Docteur Massamba Diop, médecin urgentiste à Dakar (Sénégal)Emission le débat africain/RFI du 29 mars 2020
Certains pays africains ont d'ores et déjà annoncé le déblocage spécial de fonds d'aide pour soutenir leurs économies et pour porter secours aux plus démunis. C'est le cas du Sénégal, du Maroc, de la Tunisie, de la Côte d'Ivoire, du Nigeria, du Kenya, du Rwanda, de Madagascar, du Niger ou de l'Ethiopie. Ces gestes de bonne volonté suffiront-ils à éviter de nouvelles émeutes de la faim sur le continent ? Le spectre des violences qui ont secoué l'Afrique en 2007, suite à l'insécurité alimentaire, a ressurgi de plus belle. Elles avaient fait de nombreuses victimes dans plusieurs pays.
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