Algérie : au moins 39 féminicides depuis le début de l’année, des associations appellent à briser le silence
Un chiffre sous-évalué en raison de l'omerta qui entoure ces meurtres, affirme le site feminicides-dz.com qui, faute de statistiques officielles, tente de documenter cette terrible réalité.
Le viol et l'assassinat de Chaïma Saadou, une jeune femme de 19 ans début octobre, a déclenché un vif émoi en Algérie, relançant le débat sur l'urgence de la lutte contre les violences faites aux femmes. Son corps a été retrouvé dans une station d’essence désaffectée, près de Boumerdès, à l'est d'Alger. Chaïma a été battue et violée avant d'être brûlée vive, selon les médias locaux.
Le suspect, qui est passé aux aveux, est poursuivi pour "viol et homicide volontaire avec préméditation et guet-apens en utilisant la torture". Il s'agit, selon la mère de la victime, d'une ancienne connaissance de la famille, contre laquelle la jeune fille avait porté plainte pour viol en 2016.
"#jesuischaïma"
La mort de Chaïma a déclenché une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, où les internautes dénoncent un crime "crapuleux" et réclament justice. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et reprise par les télévisions locales, la mère de la victime, s'adressant directement au président algérien Abdelmadjid Tebboune, réclame l'exécution du coupable.
Le président algérien a ordonné l'application des peines maximales, sans possibilité d'allègement ou de grâce, contre les auteurs de crimes d'enlèvement de personnes, "quels qu'en soient les tenants et aboutissants".
En mémoire de la victime, un message est largement partagé sur la toile : "Je suis Chaïma, j'ai été violée en 2016 et j'ai eu le courage de déposer plainte dans une société conservatrice. Je suis toujours Chaïma, on est en 2020 et j'ai été violée une nouvelle fois par le même violeur qui m'a poignardée et brûlée. #JeSuisChaïma".
"Briser le silence"
Le compte Facebook Algérie Féminicides a recensé jusqu'ici 39 féminicides pour la seule année 2020, une soixantaine en 2019. "L'infâme meurtre de Chaïma Saadou s'ajoute à une longue liste de féminicides qui ne cesse de s'allonger devant le silence complice, la justification de la violence et l'absence de mesures réelles", a réagi le Collectif libre et indépendant des femmes de Béjaïa (nord-est).
Afin de "briser le silence", le collectif a manifesté jeudi 8 octobre à Béjaïa. L'élan de solidarité s'est étendu à d'autres villes, notamment à Oran, Constantine, Tizi Ouzou. A Alger, le Collectif des femmes algériennes pour un changement pour l'égalité organise des rassemblements pour "dénoncer les crimes odieux de Chaïma, Ikram, Amira, Asma, Razika et des 38 femmes (victimes de féminicides) de l'année 2020".
Féminicides : l'omerta
"Nous avons perdu l'une des nôtres", c'est sous ce slogan que deux militantes féministes, Narimane Mouaci Bahi et Wiam Awres, recensent, depuis le début de l’année, le nombre de femmes victimes de la violence. Elles dressent ainsi patiemment le décompte régulier et macabre de toutes celles qui sont mortes sous les coups. Ce travail, selon Narimane et Wiam, est nécessaire afin de prendre la mesure de ce qu'endurent certaines femmes en Algérie.
Nous sommes dans l’obligation de recenser les féminicides et de les diffuser pour que la société algérienne se rende compte de la gravité de la situation des femmes
Narimane Mouaci Bahià El Watan
Elles participent aussi à donner un visage, un nom et une histoire aux victimes, afin que leur mort ne soit pas vaine et qu'elle donne à réfléchir sur la situation des femmes en Algérie. Un travail d’autant plus important que l'une des caractéristiques des féminicides en Algérie réside dans l'omerta qui entoure ces crimes. Les femmes victimes de violences sont généralement enterrées dans l’indifférence.
Un chiffre sous-évalué
Et le chiffre de 39 féminicides, auquel elles sont parvenues en se basant sur des informations médiatiques parfois fragmentaires, est bien en deçà de la réalité. "Ce chiffre représente les cas recensés après une recherche quotidienne dans les médias et sur les réseaux sociaux", expliquent-elles.
Le chiffre réel est bien plus élevé et devrait être fourni par un dispositif institutionnel de recensement. Ce dispositif n’existe pas. "Il n'en demeure pas moins que 39 femmes tuées, ce sont 39 citoyennes que nous avons perdues. Ce sont des femmes qui avaient des vies, des rêves, une famille et des enfants parfois", constatent, amères, Narimane Mouaci Bahi et Wiam Awres. Des vies et des photos que l'on retrouve sur le site feminicides-dz.com.
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