Benjamin Stora, un historien de l’Algérie, respecté des deux côtés de la Méditerranée
Le président Emmanuel Macron a confié à l’historien Benjamin Stora une mission sur " la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie", en vue de favoriser "la réconciliation entre les peuples français et algérien".
La vie et l’œuvre de l’historien Benjamin Stora, se confondent avec les différentes mémoires blessées de la guerre d’Algérie. Le président Macron lui a confié, le 24 juillet 2020, la délicate mission de "dépassionner le regard sur la colonisation et la guerre d’Algérie".
Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron indique "qu’il importe que l’histoire de la guerre d’Algérie soit connue et regardée avec lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris". Pour le président français, il en va aussi "de la possibilité pour notre jeunesse de sortir des conflits mémoriels".
Dans une démarche parallèle, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a annoncé, le 19 juillet 2020, la nomination du docteur Abdelmadjid Chikhi, directeur général du centre national des archives algériennes, pour mener un travail de "vérité" sur les questions mémorielles entre les deux pays.
Si, le président français a choisi Benjamin Stora pour cette mission délicate, c’est que son travail d’historien est respecté de part et d'autre de la méditerranée, même si l'historien Jean Sévillia l’accuse de "complaisance à l'égard de la lecture indépendantiste des événements". Ce qu’il réfute totalement dans une mise au point adressée au Figaro.
Une enfance algérienne
Benjamin Stora écrit, il est vrai, avec sa sensibilité, refusant une approche trop académique de l'histoire. Il faut dire que son enfance a été marqué par la tragédie algérienne. Dans son livre, "Les Clés retrouvées", il évoque son enfance juive à Constantine et le souvenir d'un monde qu'il a vu s'effondrer. La famille Stora habite alors dans une ville où juifs et musulmans vivent séparés du quartier européen. Mais, écrit-il dans ce livre autobiographique, que pour lui et ses parents l’Algérie française était "comme une évidence".
Jusqu'à l'âge de 12 ans, il voit sous ses fenêtres (il habite en face de l'hôpital militaire) défiler la guerre civile algérienne, avec les bombes et les atrocités de part et d’autre. L’assassinat à coup de révolver sur un marché de la ville, du grand maître de la musique arabo-andalouse Raymond Leyris, va traumatiser toute la communauté juive d'Algérie. Un assassinat attribué au FLN, mais non revendiqué, qui allait provoquer le départ des juifs d’Algérie et mettre fin à une présence séculaire.
Il quitte l'Algérie avec ses parents à l'âge 11 ans en 1962, quelques jours avant la proclamation de l'indépendance et connaît alors comme la plupart des pieds noirs une forme "d’exil et de déracinement". Sa mère, devenue ouvrière chez Peugeot dans la banlieue parisienne, le fait pencher à gauche, et même à l’extrême-gauche (Trotskyste). Ce qui fait de lui, dans l’après 1968, un compagnon des luttes ouvrières et "anti-impérialiste", même s’il se sent plus proche du réformiste Messali Hadj (son sujet de thèse) fondateur du mouvement nationaliste algérien (MNA), que du FLN.
Une vie qui aide à comprendre l'autre
Stora est à l'histoire, ce que Camus est à la littérature. A ce vécu qui lui permet de comprendre "dans sa chaire" , les différents points de vue du conflit, s’ajoute un énorme travail de recherche qui fait de lui, un historien respecté par tous les acteurs du conflit, des deux côtés de la méditerranée.
"A travers les archives écrites, la presse, les témoignages et aussi les images… j’ai essayé de comprendre les motivations des Algériens, des musulmans, mais aussi des juifs et des Européens, c’est-à-dire de toutes les communautés. Pas simplement de donner de restituer des visions à partir d’un seul aspect ou d’une seule dimension, mais de croiser les points de vue pour dégager un paysage historique d’ensemble."
"J’ai entrepris ce va et vient, sans cesse recommencé, entre ce qui est arrivé dans l’histoire algérienne et ma propre expérience, en éclairant sans cesse l’une par l’autre. Car l’irruption de l’expérience subjective, comme facteur de vérité et non plus comme vecteur d’illusion, fait partie de ma façon d’écrire l’Histoire. " affirmait Benjamin Stora lors d’une journée consacrée à son travail, organisée au Mucem de Marseille.
Ses très nombreux livres et documentaires qui rythment un travail de 40 ans, permettent dans un langage toujours limpide, de mieux comprendre la genèse, le déroulement et l'issue d'une tragédie où se mêlent un conflit colonial, un affrontement nationaliste mené par les indépendantistes algériens et une guerre civile entre deux communautés vivant depuis plus d’un siècle sur un même territoire. Cette histoire a, on le sait, longtemps alimenté des crispations et des débats passionnés sur des deux rives de la Méditerranée.
Un passé qui ne passe pas ?
Cette mission de réconciliation, intervient donc près de 60 ans après l’indépendance de l’Algérie. Si des millions de Français (pieds noirs, appelés du contingent, harkis, franco-algériens …), ont encore un lien affectif avec l’Algérie, celui-ci est de plus en plus distendu et lointain. Cette nostalgie ou cette rancœur devrait bientôt s’apaiser faute de combattants. Aujourd’hui très âgés, les acteurs de cette histoire sont sur le point de quitter la scène et emporter les conflits mémoriels avec eux.
De leur coté, les trois quarts des algériens sont nés après la guerre d’indépendance et n’ont connu que le FLN. Le parti au pouvoir depuis 60 ans, aujourd'hui en position difficile, ne peut plus mettre en avant comme dans le passé, les crimes du colonialisme, pour justifier les difficultés économiques et l'échec démocratique, comme le montrent l'autre terrible guerre civile algérienne des années 90 contre les islamistes et les manifestations du Hirak de ces derniers années.
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