Déclassification des archives de la guerre d'Algérie : le fils de Maurice Audin demande au président de la République de faire appliquer la loi
Passées 50 ans, les archives seront déclassifiées par cartons et non plus feuille par feuille, comme l'avait instauré le secrétariat général à la Défense et la sécurité nationale. Un arbitrage pris par Emmanuel Macron et critiqué par le fils de Maurice Audin. Le président doit juste faire appliquer la loi de 2008, estime-t-il.
Le président de la République "devrait être garant de la loi qui a été adoptée par la représentation nationale" en 2008 et qui dit que les archives sont consultables une fois passé le délai de 50 ans, a réagi Pierre Audin, le fils de Maurice Audin, torturé et tué par l'armée française, comme l'a reconnu Emmanuel Macron en 2018. Une loi qui n'est pas appliquée, selon lui, par le secrétariat général à la Défense et la sécurité nationale. Selon la décision du chef de l'État annoncée mardi 9 mars par l'Élysée, les archives classifiées de plus de 50 ans, notamment celles sur la guerre d'Algérie, seront déclassifiées par cartons entiers et non plus feuille par feuille comme cela était le cas.
franceinfo : Emmanuel Macron a reconnu en 2018 que votre père a été torturé et tué par l'armée française, c'est un pas en avant dans la reconnaissance des crimes commis par les militaires français en Algérie ?
Pierre Audin : En septembre 2018, il n'a pas seulement reconnu cet état de torture et assassinat, il a aussi annoncé qu'il allait ouvrir des archives pour l'ensemble des disparus de la guerre d'Algérie, en précisant qu'il s'agirait aussi bien des civils que des militaires, des Français que des Algériens. Ça faisait beaucoup de monde pour les huit années de guerre de la guerre d'indépendance. Là, concrètement, au lieu de faire cette ouverture de toutes les archives concernant tous les disparus, il a, en 2019, simplement fait un décret concernant Maurice Audin et rien que lui. Et maintenant, on constate que le SGDSN, le secrétariat général à la Défense et la sécurité nationale, qui est une espèce d'officine secrète qui travaille auprès du Premier ministre, a décidé de ne pas appliquer la loi concernant les archives et de faire une règle administrative très compliquée. La loi de 2008 dit qu'au bout de 50 ans, les archives sont consultables. Il y a quelques exceptions, par exemple des dossiers de santé, des choses comme ça, mais autrement, les archives sont consultables quoi qu'il arrive, qu'il y ait un tampon secret défense ou pas dessus.
Et ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Depuis 2011, le SGDSN a décidé et il l'applique depuis 2020, qu'il fallait déclassifier chaque papier, c'est à dire que si l'administration, l'armée, par exemple, a mis un tampon "secret défense", il faut que l'armée mette un tampon "déclassifié". Si elle ne l'a pas fait, on ne peut pas consulter le document.
"Ce que dit le président de la République, c'est qu'il arbitre entre la loi et la réglementation établie par le SGDSN. Il n'a pas à arbitrer entre les deux."
Pierre Audin, le fils de Maurice Audin, torturé et tué par l'armée françaiseà franceinfo
La loi dit que c'est consultable. Il doit reconnaître que la loi dit que c'est consultable et permettre de consulter.
Le corps de votre père n'a jamais été retrouvé. Vous pensez que cette information figure quelque part dans l'une de ces archives ?
Personnellement, je serais assez étonné qu'elle y figure, parce que les militaires ont fait tout ce qu'il fallait pour faire disparaître toute trace. À l'époque, quand on disait que quelqu'un s'était évadé, c'était clair que la personne avait été assassinée. Là, dans le cas de Maurice Audin, je crois que c'est la seule fois, ils ont été jusqu'à la scène de l'évasion. Il y a un militaire qui a joué le rôle de Maurice Audin et ils ont joué la scène de l'évasion devant un civil, de façon à avoir un témoin civil de la chose. Donc, il est tout à fait clair que pour Maurice Audin, il y a peu de chances qu'on en trouve des traces dans les Archives nationales. Dans les archives [du général Jacques] Massu, [qui avait obtenu des pouvoirs de police pour faire cesser les actions du FLN] peut-être. Par contre, des milliers d'autres ont des traces dans les archives parce que les militaires sont de gros producteurs de paperasses. Et donc, il y a énormément de choses qui doivent effectivement figurer dans les archives. Secret défense, okay, mais les 50 ans sont largement passés et donc il n'y a pas de souci. Le président de la République devrait être garant de la loi qui a été adoptée par la représentation nationale et devrait dire tant qu'il n'y a pas une autre loi, c'est cette loi qui s'applique. C'est quelque chose d'original de la révolution, le fait de dire que les archives doivent être consultables par les citoyens. OK, il y a un délai de 50 ans. Mais c'est tout. Il y a un délai de 50 ans.
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