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Algérie : comment les réseaux sociaux favorisent le mouvement de contestation contre la candidature de Bouteflika

La révolte en cours en Algérie s'organise d'abord sur Facebook, où les appels au calme se multiplient pour éviter de discréditer le mouvement.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants protestent contre la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle en Algérie, le 23 février 2019, à Alger. (DPA / ZUMA PRESS / REA)

Une révolte 2.0. Depuis la mi-février, des dizaines de milliers d'Algériens protestent dans la rue contre la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à l'élection présidentielle pour un cinquième mandat consécutif. Des manifestations qui rassemblent encore énormément de personnes, vendredi 1er mars.

A l'image des printemps arabes en 2011, ce mouvement de contestation est parti des réseaux sociaux. Depuis, il prospère et s'organise en ligne.

Des stades de foot à Facebook

"Les premières réactions sont parties des stades de football, puis cela a été relayé à travers les réseaux sociaux, sans qu'il y ait un acteur majeur derrière", décrypte ainsi le politologue Antoine Basbous. Début février, un mot d'ordre est diffusé pour appeler notamment à une grande mobilisation pour la journée du vendredi 22 février. Mais difficile de remonter à l'origine de cet appel. "Ce qui est incroyable avec cette contestation, c'est qu'elle est totalement anonyme, on ne sait pas du tout d'où elle est partie", confirme Habib Brahmia, membre du collectif d'opposition Mouwatana.

C'est ce qu'on appelle aujourd'hui 'l'appel du peuple', même si on sait très bien qu'il y a eu quelqu'un derrière.

Habib Brahmia, membre du collectif d'opposition Mouwatana

à franceinfo

"L'appel à manifester a ainsi été partagé par de nombreuses pages Facebook algériennes, quelle que soit leur catégorie (de nombreuses pages de sports ont ainsi partagé l'appel)", complète un militant algérien qui préfère garder l'anonymat. La mobilisation s'organise essentiellement via Facebook, car "les Algériens ne sont pas trop sur Twitter", ajoute ce militant. "Tout Facebook ne parle que de ça. Les messages sont notamment diffusés via les pages de certains influenceurs", détaille Habib Brahmia.

L'enjeu de l'anonymat

Des hommes politiques, des journalistes, des artistes relaient ainsi les mots d'ordre de la mobilisation, à l'image du rappeur Lotfi Double Kanon, du militant politique Fodil Boumala ou encore de l'activiste Amira Bouraoui, déjà à la pointe de la contestation contre le 4e mandat de Bouteflika en 2014 et qui rassemble plus de 110 000 abonnés sur son compte Facebook. Quelques pages influentes organisent également la contestation en ligne, comme DzWikileaks, La révolution des jeunes Algériens ou encore Béjaia City. Il faut également évoquer le rôle joué par certains youtubeurs, comme Anes Tina et DZjoker, qui n'hésitent pas à s'en prendre au président algérien dans leurs vidéos, détaille Le Monde.

Les interdictions de manifester à Alger ou d'afficher publiquement des appels ont permis à Facebook de devenir le seul support médiatique au pays.

un militant algérien

à franceinfo

Les pages du réseau social ont ainsi permis aux Algériens de se rendre compte qu'ils n'étaient pas seuls dans leur colère. "Cela permet également de préserver l'anonymat pour l'organisation", ajoute Habib Brahmia. Ce responsable du parti d'opposition Jil Jadid précise que les détails de l'organisation des manifestations sont généralement gérés sur des groupes privés hébergés par Facebook. "Mais on utilise aussi d'autres moyens de communication. Comme nos téléphones sont sur écoute, on passe beaucoup par WhatsApp, Viber, Telegram...", assure cet opposant politique.

Une jeunesse hyperconnectée

Une bonne partie des messages sur les réseaux sociaux invitent les Algériens au civisme, pour que les manifestations se déroulent dans le calme. Une charte pour une manifestation pacifique circule ainsi depuis plusieurs jours, dans le but d'éviter les débordements. "Les gens continuent à associer la manifestation à la violence en raison de la décennie noire [la guerre civile entre 1991 et 2002], donc on a très peur que le pouvoir envoie des casseurs pour nous discréditer", s'inquiète Habib Brahmia.

Des initiatives sur Facebook proposent ainsi d'amener une fleur pour chaque policier, de nettoyer après le passage de la manifestation ou encore de prévoir des bouteilles d'eau pour s'hydrater et du vinaigre pour minimiser l'effet des gaz lacrymogènes.

L'importance prise par les réseaux sociaux s'explique d'abord par l'apparition en Algérie d'une génération hyperconnectée. "Les Algériens sont très branchés sur internet, pointe l'opposant politique Soufiane Djilali, c'est vraiment un mouvement populaire. Les partis politiques n'ont pas voulu s'impliquer. Les associations de jeunes s'organisent dans les quartiers et tout se passe de manière civilisée, sans casse."

Certaines personnalités ont d'ailleurs bien intégré cette nouvelle dimension prise par les réseaux sociaux en Algérie, à l'image de l'homme d'affaires Rachid Nekkaz, très présent sur Facebook notamment grâce à ses vidéos en direct. "C'est un folklorique, Nekkaz, un agitateur sympathique, un Coluche algérien... mais il a su attirer les lumières", explique Antoine Basbous.

L'absence de contre-pouvoirs

Les réseaux sociaux sont également venus compenser la faiblesse des contre-pouvoirs au sein de la société algérienne, notamment des journalistes. "Les réseaux sociaux sont devenus extrêmement importants en Algérie, car les médias classiques sont très fermés aux partis d'opposition, aux idées éloignées du pouvoir, estime Habib Brahmia. Ils ne font pas le travail de diffusion des images, on ne regarde donc pas la télévision et on suit l'information uniquement sur les réseaux sociaux."

"La contestation est venue de la base de la population, pas des corps intermédiaires", abonde le politologue Kader Abderrahim. "Dans des pays qui ont du mal avec les contre-pouvoirs, les réseaux sociaux viennent souvent jouer le rôle d'intermédiaires", confirme la journaliste Neïla Latrous, rédactrice en chef Maghreb pour Jeune Afrique. "Il faudra quand même que cette contestation soit reprise par les corps intermédiaires, prévient Kader Abderrahim, car si on reste dans un affrontement entre peuple et pouvoir, il y a un risque de répression et de violences."

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