Grand format

RECIT. "On a fait tomber le roi de l'échiquier" : comment en deux mois les Algériens se sont levés face au clan Bouteflika

Clément Parrot le vendredi 5 avril 2019

Des manifestants algériens décrochent un portrait du président Abdelaziz Bouteflika, le 22 février 2019, à Alger. (RYAD KRAMDI / AFP)

"On a gagné une bataille, mais la guerre reste à mener", annonce Fetchi, un manifestant de 35 ans. Comme nombre de ses compatriotes, cet Algérien estime que la démission d'Abdelaziz Bouteflika, mardi 2 avril, n'est qu'une étape sur la route de la transition démocratique pour l'Algérie. "On est au tout début. Il reste du travail pour construire une Algérie juste et solide", ajoute Fetchi.

Mobilisés dans la rue depuis presque deux mois, les Algériens ont obtenu une première victoire grâce à une révolte pacifique qui a pris de l'ampleur de semaine en semaine. Retour sur ce printemps algérien qui fait vaciller le pouvoir du clan Bouteflika.

Le mandat de trop

Abdelaziz Bouteflika pris en photo dans un bureau de vote, le 4 mai 2017, lors des élections législatives algériennes. (RYAD KRAMDI / AFP)

Inès n'a connu qu'Abdelaziz Bouteflika à la tête de l'Algérie. Cette étudiante en microbiologie de 20 ans se souvient du jour où elle a appris que le président algérien, alors âgé de 81 ans, comptait se représenter pour un cinquième mandat. Entourée de ses amis dans son université algéroise, dimanche 10 février, elle découvre la nouvelle sur Facebook : "A ce moment-là, on ne s'intéressait pas trop à la politique et tout ça, mais on ne s'attendait pas pour autant à ce qu'il se représente encore. On était tous choqués. On s'attendait à ce qu'il se retire, à ce qu'il prenne une retraite bien méritée après vingt ans de travail."

"On se disait qu'il n'allait pas oser, que c'était la candidature de trop. Il était physiquement beaucoup trop diminué", complète Fetchi. L'annonce de cette candidature est vécue comme une humiliation par une partie des Algériens. "Dès qu'il y a eu l'annonce via l'agence officielle, on a compris qu'on allait devoir retourner au charbon, sortir dans la rue", témoigne Habib Brahmia, membre du parti d'opposition Jil Jadid. "La candidature d'un président qui n'a plus parlé aux Algériens depuis 2012, on l'a pris comme une atteinte à notre dignité, un déshonneur, un mépris de la citoyenneté algérienne."

Cela nous a mis en colère, on trouvait ça inacceptable. On a ressenti du dégoût.

Fetchi, manifestant algérien

Les premières réactions éclatent alors dans les stades de football. "Le stade a toujours été un rare espace de liberté en Algérie. Il y a toujours eu de la chanson politique, des messages contestataires. C'est un peu le thermomètre de la société", explique Habib Brahmia. "Je me souviens d'un match où les supporters ont chanté pendant 90 minutes contre le système Bouteflika, contre le cinquième mandat", celui auquel prétend le président sortant.

Au même moment, la contestation gagne vite les réseaux sociaux. De nombreux jeunes ont pris l'habitude de s'informer via leur fil Facebook en raison du peu de liberté accordée aux médias traditionnels. Les Algériens se rendent ainsi compte qu'ils ne sont pas isolés dans leur colère et certains commencent à descendre dans la rue. "L'annonce de la candidature a un peu réveillé l'esprit des Algériens, cela a été une sorte de révélation. On s'est dit qu'on voulait du changement, qu'on ne voulait plus rester les mêmes", estime Inès.

Plusieurs villes dans l'est du pays se mobilisent spontanément dans les jours qui suivent, comme à Kherrata, Oran, Tizi Ouzou ou Annaba. Dans la ville de Khenchela, un portrait géant d'Abdelaziz Bouteflika est déchiré et piétiné par les manifestants, le 19 février. Dans le même temps, un appel à manifester pour le 22 février est diffusé sur les réseaux sociaux et partagé massivement, sans que son auteur ne soit identifié. "Ce qui est incroyable avec cette contestation, c'est qu'elle est totalement anonyme, on ne sait pas du tout d'où elle est partie", commente Habib Brahmia.

Le réveil d'un peuple

Des manifestants dans les rues d'Alger contre la candidature à un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, le 22 février 2019. (FAROUK BATICHE / DPA)

Il est un peu plus de 13 heures. Les rues d'Alger sont encore calmes, la plupart des boutiques sont fermées en raison de la prière traditionnelle du vendredi. Habib Brahmia se rend à ce premier grand rassemblement du 22 février, la boule au ventre. "On est descendus dans la rue avec la peur de se faire arrêter. On a caché nos drapeaux, on est arrivés par petits groupes dispersés", raconte cet opposant politique. "On craignait que la manifestation soit réprimée, comme celle contre le quatrième mandat en 2014", confirme Fetchi. "On avait tous peur des casseurs, on ne s'attendait pas à ce que cette marche soit aussi pacifique", précise Inès.

Des manifestants algériens protestent contre une nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika, le 22 février 2019, à Alger. (BILLAL BENSALEM / NURPHOTO / AFP)

Aux cris de "silmiya, silmiya" ("pacifique"), les manifestants se rassemblent dans la capitale, comme dans plusieurs autres villes du pays, pour protester contre une nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika. Habib Brahmia atteint la place du 1er-Mai à Alger, vers 13h30. Il tombe sur quelques centaines de personnes en train de chanter et d'agiter leurs drapeaux face à un dispositif policier impressionnant. Puis, à la fin de la prière, vers 14h30, de nombreux Algériens commencent à sortir. "A un moment, on a cassé le cordon sécuritaire et on s'est mis à marcher dans les rues. On s'est alors aperçu qu'on était énormément. J'ai compris que le rapport de force avait été inversé, que le peuple était en train de se réapproprier sa nation", s'enflamme-t-il.

Je suis engagé politiquement depuis 2008 et, de toute ma vie de militant, je n'avais jamais vu ça.

Habib Brahmia

De son côté, Inès se trouve sur la place de la Grande Poste"Je fais face à une marée humaine, qui se met à chanter l'hymne national algérien… c'était très émouvant", raconte l'étudiante. Un peu plus tard, des manifestants escaladent la façade du siège du Rassemblement national démocratique, parti allié du pouvoir, et décrochent, sous les acclamations de la foule, un grand portrait d'Abdelaziz Bouteflika. Une fois à terre, la photo est piétinée et lacérée.

Cette première grande manifestation marque les esprits. "C'était véritablement une marche de la dignité. On attendait des dizaines de milliers de personnes et ce sont des centaines de milliers qui sont descendues dans la rue", assure Habib Brahmia. Le peuple algérien, si discret pendant les printemps arabes, semble se réveiller après une longue léthargie. La guerre civile (1991-2002), également appelée décennie noire, a laissé des traces chez les Algériens et beaucoup craignent le retour de l'instabilité.

"Le pays a été traumatisé par cette terrible guerre sans visage, sans journalistes. On ne savait même plus qui tuait qui, qui incendiait tel village, qui égorgeait telle famille", rappelle l'historien Jean-Charles Jauffret. "Quand ils nous ont vu sortir, nos aînés nous ont demandé d'être vigilants, de faire attention à la violence. Ils ont très peur pour nous, raconte Inès. Je les comprends, car ils ont perdu des proches, des amis."

Il y a un peu un conflit générationnel, car nous n'avons pas vécu cette décennie noire, on a juste vécu les dernières années stagnantes.

Inès

Portée par sa jeunesse, l'Algérie affronte ses peurs et retourne dans la rue les jours suivants le 22 février. "On est sortis à nouveau le 24, mais on était moins nombreux. Et j'ai été embarqué très vite par la police qui, cette fois, a été extrêmement violente. J'ai toujours une cicatrice sur la main de ce jour-là", témoigne Habib Brahmia.

La protestation va par la suite s'organiser par corporation. Le mardi 26 février, les étudiants investissent la rue, puis c'est au tour des avocats. "Enseignants, chercheurs, journalistes... Toutes les professions descendent tour à tour dans la rue, on sent que les gens ont besoin d'exprimer un message politique", constate sur place le journaliste de franceinfo Madjid Khiat. Puis vient l'acte 2, le vendredi 1er mars, où l'ensemble du peuple algérien se rassemble une nouvelle fois en masse dans la rue. "On s'est aperçu le premier vendredi que cela se passait bien et du coup la manifestation du vendredi est devenu un rituel", explique Hichem, étudiant de 23 ans en biologie.

Des avocats manifestent devant le tribunal de Sidi M'Hamed, le 25 février 2019, à Alger.  (BILLAL BENSALEM / NURPHOTO / AFP)

"Le 1er mars, plus les manifestants s'approchent du centre-ville d'Alger, plus le cortège grossit. Et arrivé place du 1er-Mai, il n'est même plus possible d'avancer", se souvient le journaliste Madjid Khiat. Les personnes âgées se mélangent aux étudiants, les intellectuels côtoient les chômeurs de Bab El Oued, les universitaires discutent avec les supporters de foot. "Une des images qui me reste, c'est de voir ces différents segments de la population manifester ensemble. Tout le monde avait le drapeau algérien sur le dos, comme une cape de super-héros", remarque Fetchi. "On voit des jeunes, des femmes, des vieux, des malades qui manifestent en fauteuil roulant… cette révolte a touché toutes les classes. Le peuple algérien a retrouvé confiance en lui", complète Hichem.

Au milieu des manifestants, une scène insolite va devenir l'un des symboles de ce printemps algérien. Vers la place Maurice-Audin, la danseuse classique Melissa Ziad chausse ses ballerines en fin d'après-midi et fige le temps dans une arabesque en forme d'espoir et de liberté. "On voulait capturer ce moment des manifestations et montrer à travers cette photo la liberté de l'Algérie tout en soutenant le peuple et sa volonté de dégager le système, explique aujourd'hui la jeune femme. Les manifestants étaient étonnés, car le ballet n'est pas très répandu en Algérie. Mais ils étaient aussi très joyeux de voir une danseuse s'exposer ainsi."

La danseuse Melissa Ziad, le 1er mars 2019, dans les rues d'Alger. (INSTAGRAM / RANOUGRAPHY)

Pour quelques semaines de plus

Une manifestante proteste contre le prolongement du quatrième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, le 12 mars 2019, à Alger. (FAROUK BATICHE / DPA)

L'air est électrique dans les rues d'Alger, dimanche 3 mars, date limite pour le dépôt des dossiers de candidature pour l'élection présidentielle, prévue le 18 avril. Des manifestations de lycéens et d'étudiants se tiennent près du Conseil constitutionnel où un représentant d'Abdelaziz Bouteflika doit venir officialiser la candidature du président malade. "Il y a de la tension dans les rues, car les Algériens se demandaient s'il allait vraiment le faire et si le Conseil constitutionnel allait valider sa candidature", se souvient Madjid Khiat, l'envoyé spécial de franceinfo.

Le dossier est finalement bien déposé, peu de temps avant l'heure limite, par le nouveau directeur de campagne du chef de l'Etat, Abdelghani Zaalane. "Cela nous a mis un peu plus en colère, car sa candidature ne respectait pas la loi, puisqu'il faut que le dossier soit déposé par le candidat lui-même", s'agace Fetchi. Après cette officialisation, le président Bouteflika envoie malgré tout un message aux manifestants, à travers une lettre. Il s'engage, en cas d'élection, à ne pas aller au bout de son cinquième mandat et à organiser une présidentielle anticipée.

J'ai écouté et entendu le cri du cœur des manifestants et en particulier des milliers de jeunes qui m'ont interpellé sur l'avenir de notre patrie.

Abdelaziz Bouteflika, dans une lettre lue à la télévision algérienne

Le message d'apaisement du chef de l'Etat ne suffit pas et les Algériens se retrouvent à nouveau dehors, le 8 mars, pour un troisième vendredi de protestations. Les manifestations s'intensifient et changent de visage. "Il y avait énormément de familles et d'enfants ce jour-là. Je me souviens qu'une équipe était munie de gâteaux et de bonbons pour les distribuer aux enfants", raconte Inès. Tous insistent sur l'ambiance festive et le pacifisme qui règnent dans les cortèges. Dans l'air retentissent les notes de La Casa Del Mouradia. Cette chanson, composée par le groupe de supporters du club de foot de l'USM Alger, s'impose peu à peu comme l'hymne de la contestation. 

"On voit des gens souriants, des petits jeunes qui ramassent les bouteilles vides dans des sacs poubelles… tout cela a donné une très bonne image du mouvement et lui a permis de grandir", analyse Habib Brahmia. Des Algériens de tout âge s'engagent dans cette "révolution du sourire". "Le 8 mars, c'était également la journée des droits de la femme. Les hommes avaient des roses à la main et à chaque fois qu'une femme passait, on lui donnait une rose. C'était très beau à voir", se réjouit Inès.

Un jeune manifestant algérien enlace un policier, le 18 avril 2019, à Alger. (FAROUK BATICHE / REA)

Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre sont rares, même s'ils existent. "On donne aux policiers des roses blanches, je me souviens même d'embrassades et de 'checks' de manifestants avec des policiers", relate Hichem. "Cher policier, enlève ta casquette et rejoins-nous", scandent les protestataires. Sur les réseaux sociaux, une charte de bonne conduite est même relayée pour entretenir le civisme des manifestants.

L'esprit de civisme tant loué doit être observé dans le contexte algérien. "Plusieurs manifestants m'ont dit 'nous on ne peut pas faire comme les 'gilets jaunes' français, parce que sinon on nous tire dessus'", indique le journaliste Madjid Khiat. Mais le pacifisme et la responsabilité des manifestants maintiennent la pression sur le pouvoir. Le 11 mars, le pouvoir tente de répondre à la colère de la rue. Dans un message à la nation, le président Bouteflika s'engage à ne pas faire de cinquième mandat, mais annonce aussitôt le report de l'élection présidentielle. 

Les opposants dénoncent une nouvelle manœuvre du clan Bouteflika qui chercherait ainsi à gagner du temps. "Système dégage", "pas de prolongations", hurlent les manifestants lors de nouveaux vendredis de protestations dans lesquels le "non au 5e mandat" a été remplacé par un "non au 4+". Le 15 et le 22 mars, les Algériens se rassemblent à nouveau et démontrent leur créativité à travers les messages écrits sur leurs banderoles. "Les slogans sont d'une créativité incroyable, les boîtes de com' devraient recruter parmi les manifestants", sourit Fetchi. "Il y avait plein de pancartes très drôles. On a toujours essayé de garder ce côté humoristique, de ne pas tomber dans le dramatique, estime Inès. L'objectif était de combattre le système par le sourire et la gentillesse."

Lâché par les siens

Des manifestants tiennent une caricature représentant le clan Bouteflika, le 13 mars 2019, à Alger. (ZOHRA BENSEMRA / REUTERS)

Coup de théâtre dans les foyers algériens, mardi 26 mars. Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et vice-ministre de la Défense, apparaît sur les écrans de télévision. Ce fidèle du président demande l'application de l'article 102 de la Constitution afin de déclarer Abdelaziz Bouteflika inapte. "Il devient nécessaire, voire impératif, d'adopter une solution pour sortir de la crise", déclare le général. Si le Conseil constitutionnel est seul habilité à déclencher la procédure de destitution, le fait que l'armée lâche le président est une mauvaise nouvelle pour le clan Bouteflika.

Après l'armée, c'est le Rassemblement national démocratique (RND), un des principaux partis alliés au pouvoir qui fait défection. Son secrétaire général, l'ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, recommande dans un communiqué "la démission du président". Puis la centrale syndicale UGTA (Union nationale des travailleurs algériens) retire à son tour son soutien au vieux président malade.

Le régime Bouteflika n'est qu'un cancer qui gangrène le corps de l’Etat.

Seddik Chihab, porte-parole du RND

Pour autant, les manifestants ne se réjouissent pas trop vite et ne rangent pas leurs pancartes. "Aujourd'hui, ils ont tous retourné leur veste pour sauver leurs fesses, mais le peuple n'est pas dupe. Notre seul objectif est de faire dégager le système", résume Fetchi.

Plus les semaines passent et plus les mots d'ordre se diversifient et se précisent. "Vous avez mangé le pays, bande de voleurs", "Dégagez-les tous""On ne veut pas l'article 102, mais on veut l'article sans eux", répondent les Algériens au général Ahmed Gaïd Salah, lors des rassemblements du 29 mars. "Il y a eu sans cesse un dialogue entre le pouvoir et la rue. Le pouvoir faisait des concessions, des propositions et la manifestation devenait un référendum à ciel ouvert. Le régime avait sa réponse dans les manifestations du vendredi", s'enthousiasme Habib Brahmia.

Des manifestants à Béjaïa, le 29 mars 2019. (SOFIANE BAKOURI / HANS LUCAS)

"J'ai pu constater l'émergence d'une maturité politique au fil des manifestations, sur un temps assez court. Les étudiants ont su s'organiser en se réunissant dans les facs par exemple", témoigne le journaliste Madjid Khiat. Malgré l'absence de leader identifié au sein du mouvement, la conscience politique des manifestants s'aiguise. Ces derniers réclament désormais un changement de système, bien au-delà du simple départ du président en place. "Bouteflika a cristallisé le rejet, mais il y a aussi cette caste qui s'est appropriée les richesses du pays, assume Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid. On veut un changement fondamental pour construire un Etat de droit avec des institutions légitimes."

On ne veut plus de ce régime autocratique, de cette façade démocratique.

Soufiane Djilali

Les mots "caste", "clan" ou "système" reviennent souvent dans la bouche des manifestants. Ces expressions désignent les cercles de pouvoir qui se sont composés au fil des années autour du président Bouteflika. "Cela correspond à une partie de l'armée, aux représentants des régions ou encore aux hommes d'affaires qui gagnent des contrats et s'enrichissent grâce au régime", décrypte le politologue Antoine Basbous. Il faut ajouter à cette liste l'entourage direct du président, à commencer par son frère Saïd Bouteflika, considéré par les manifestants comme celui qui tire les ficelles de la présidence.

Dérive de ce système, la corruption s'est largement développée ces dernières années en Algérie et est l'un des points contre lesquels protestent les Algériens. "On sait très bien que certains se sont enrichis de manière extravagante, et on espère que la justice se penchera plus tard sur leur cas", affirme Fetchi. Il faut ajouter à la liste des mécontentements les difficultés de l'économie algérienne. Très dépendante des hydrocarbures, cette dernière a subi de plein fouet la baisse des cours du pétrole. La jeunesse, majoritaire dans le pays (40% de la population a moins de 25 ans), se cherche ainsi un avenir. "Cette jeunesse se trouve dans une impasse, elle ne sait pas ce qu'elle va devenir", résume le politologue Kader Abderrahim.

Fin de règne

Des manifestants algériens décrochent un portrait du président Abdelaziz Bouteflika, le 22 février 2019, à Alger. (RYAD KRAMDI / AFP)

L'image est historique. Enfoncé dans son fauteuil roulant, Abdelaziz Bouteflika se déleste du pouvoir en remettant sa démission au président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz. Sur la vidéo diffusée par la télévision nationale algérienne, mardi 2 avril, le désormais ex-président apparaît très affaibli et peine à faire le geste pour remettre la lettre qui doit sceller son destin.

Le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, observe la scène. Selon l'article 102 de la Constitution, ce pur produit du régime se retrouve en charge de l'intérim en attendant de nouvelles élections ; celles-ci doivent se tenir dans un délai de 90 jours. Cette démission soudaine intervient après un nouveau coup de pression de l'armée réclamant le départ immédiat du président. Ce dernier s'était pourtant donné jusqu'au 28 avril pour lâcher les rênes du pays.

Le départ du président Bouteflika représente une victoire des manifestants algériens qui ont exprimé leur liesse dans la soirée. Mais il ne s'agit pas de la fin du chemin. "Ce n'est pas fini, on souhaite maintenant que tout le système dégage", confirme Melissa Ziad. "On sortira chaque vendredi jusqu'à ce que tout le système change, assure Inès. Ils vont faire un remaniement mais avec des personnes qui font partie de leur groupe, de leur clan. Nous, on veut un nouveau système, qui saura répondre à nos attentes." Toujours aussi motivée que le premier jour, la jeune femme ne cache pas sa motivation et avoue qu'elle se verrait désormais bien entamer une carrière politique.

On a fait tomber le roi de l'échiquier, mais il reste quelques tours et quelques fous à abattre.

Fetchi

"L'espoir renaît enfin en Algérie. Il y a eu trop de gâchis, trop d'argent public gaspillé, poursuit Fetchi. Quand on voit les oligarques acheter des apparts de luxe à Paris, alors qu'on manque en Algérie d'hôpitaux et d'infrastructures sportives, on a un sentiment de révolte." Symbole de ce "gâchis", la nouvelle Grande Mosquée d'Alger voulue par le président Bouteflika est au cœur de toutes les critiques. Avec son minaret de 265 mètres, ce bâtiment impressionnant a coûté plusieurs milliards de dollars, comme le rappelle Le Monde. Symbolisant l'absence de logique dans les priorités du gouvernement, une image de cette mosquée transformée en hôpital circule sur les réseaux sociaux. 

Alors que le président Bouteflika adresse, mercredi 3 avril, une lettre d'"adieux" aux Algériens pour leur demander "pardon", une partie de la population se prépare à la nouvelle manifestation du vendredi 5 avril, la septième du mouvement. "Je suis très optimiste pour la suite. Le fait que le système fasse des manœuvres comme cela, c'est un grand pas vers la capitulation, estime Hichem. Pour moi, le président c'était la vitrine du système. La vitrine a été cassée et l'entrée dans le magasin est désormais possible, donc on va essayer d'y mettre de l'ordre."

***
Texte : Clément Parrot

soyez alerté(e) en temps réel

téléchargez notre application

Ce long format vous plaît?

Retrouvez les choix de la rédaction dans notre newsletter
s'abonner