Cet article date de plus de sept ans.
Fatima Aït-Yahia, une Kabyle en France pendant la guerre d'Algérie
Dans «Une Kabyle» (Lettres Mouchetées), Fatima Aït-Yahia, née en 1932, raconte sa jeunesse et son arrivée en France en pleine guerre d’Algérie pour suivre son mari. Elle livre là un témoignage rare sur l’arrachement à la terre natale et l’intégration dans un nouveau pays, dans un contexte particulièrement difficile. Interview.
Publié
Temps de lecture : 6min
Vous avez eu, écrivez-vous, «une enfance magnifique» dans votre village près de Tigzirt-sur-Mer, en Grande Kabylie, à 160 km à l’est d’Alger. Pourtant, vous habitiez une région pauvre où la vie n’était pas facile : vous évoquez ainsi un mariage arrangé…
Non, ce n’était pas un mariage arrangé ! C’est mon mari qui a demandé ma main à ma famille: il m’avait vue à la fontaine du village!
A ce moment-là, les choses se passaient comme ça. La femme n’avait pas le droit à la parole. Une fille était élevée dans la tradition familiale. On lui apprenait à faire la cuisine, à tisser pour préparer sa vie future. J’ai suivi la tradition comme ma mère et ma grand-mère.
J’ai été très heureuse dans mon enfance. Tellement heureuse qu’au départ, je ne voulais pas forcément me marier ! Après la fête, je suis partie dans ma belle-famille pour vivre dans une maison en terre d’une seule pièce avec mon mari, ses deux frères, sa maman, sa grand-mère.
Que signifiait alors la colonisation pour une jeune femme comme vous ?
Les colons ne sont jamais venus chez nous. Mais mon mari, mon frère aîné, qui étaient partis travailler en France et revenaient pour les vacances, voyaient comment ça se passait dans l’Hexagone. Ils ramenaient des objets qu’on ne connaissait pas dans nos villages. Comme ce miroir acheté par mon mari et que nous empruntaient tous les amis de la famille ! Avant, nous pouvions seulement nous regarder dans des bouts de verre.
A cette époque, les hommes commençaient à réfléchir ce qui se passait en Algérie. Ils observaient des situations qu’ils n’acceptaient plus. Par exemple la plage de Tigzirt, dont les colons interdisaient l’accès aux Algériens. Nos jeunes ne pouvaient se baigner que dans les rivières, avec les animaux !
Nous n’avions pas de médecins, pas de médicaments. Nous n’avions droit à rien. La guerre a vraiment été une révolte contre ce que nous n’acceptions plus. Une révolte contre l’injustice.
Qu’en pensaient les femmes?
C’étaient les hommes qui commandaient. Mais ils discutaient avec nous. Et j’étais d’accord avec eux. Je voyais bien, par exemple, que nous n’avions pas de chaussures, pas de gaz, alors qu’on trouvait tout cela en France.
Pour vous et vos proches, la guerre a commencé par une grève du mouton à l’Aïd...
En fait, pour moi, elle a commencé en août 1954 (donc avant les attentats de la Novembre rouge le 1er novembre 1954, Ndlr) quand un couple d’amis communistes de mon mari est venu en vacances chez nous. Ils lui ont conseillé de me faire venir en France en expliquant que la guerre allait éclater. Nous sommes partis un an plus tard.
A la même époque, les jeunes ont expliqué que pour commencer la révolte, nous n’achèterions pas de moutons pour l’Aïd. C’était sans doute une décision symbolique. Les grands-mères ont protesté. Mais les hommes ont répliqué : «C’est comme ça !». Moi, j’étais d’accord avec cette décision.
Comment s’est passée votre arrivée en France ?
Mon mari m’a beaucoup aidée. J’ai dû tout apprendre ! Comme si j’étais un enfant, comme si j’allais à l’école. Cela a parfois donné lieu à des situations comiques. Par exemple, je ne savais pas ce qu’était un lit : au début, je voulais me coucher sur une simple couverture par terre, sur le béton. Et la première fois qu’on a fait une piqûre à ma fille, j’ai cru qu’on voulait la tuer !
Pendant la guerre, votre mari était engagé dans le FLN en France. Vous avez vécu le couvre-feu, la répression, les ratonnades. N’en voulez-vous pas aux Français ?
La police est venue deux fois chez nous. La seconde fois, elle a embarqué mon mari. J’avais peur des policiers, je tremblais en voyant leurs bâtons blancs. Quand j’ai rendu visite à mon mari avec mes enfants au centre de détention de Vincennes, ma fille de cinq ans s’est évanouie. De son côté, mon fils de trois ans a pris par mégarde un coup de bâton sur la tête et il en a gardé une cicatrice.
Dans le même temps, mon frère aîné, mon oncle, père de huit enfants, et un cousin germain sont morts au maquis. Un neveu de mon mari a été abattu à un arrêt de bus en banlieue parisienne. Pour autant, aujourd’hui, je n’ai pas de haine vis-à-vis des Français.
J’avais, et j’ai toujours, des amis français qui sont comme ma famille. A Malakoff, où je vivais déjà, il n’y avait pas d’environnement hostile vis-à-vis de nous, ce qui était sans doute lié au fait que la municipalité était communiste. Il y avait une grande solidarité : quand je suis venu voir mon mari à Vincennes, la mairie m’avait donné plein de colis pour lui et ses camarades. A tel point que quand un de ses co-détenus a vu tous ces paquets, il lui a dit que nous devions être riches !
Vous avez tout quitté pour venir en France. Vous avez alors dû évoluer entre «deux cultures diamétralement opposées», comme vous l’expliquez. Quel bilan faites-vous aujourd’hui ?
Je parle effectivement de cultures opposées. Elles l’étaient effectivement dans les modes de vie. Mais les valeurs que m’a données ma famille étaient et sont les mêmes que celles de mes amis ici en France : la franchise, l’honnêteté, le respect, l’amour des gens. Il n’y a que la langue qui change !
Non, ce n’était pas un mariage arrangé ! C’est mon mari qui a demandé ma main à ma famille: il m’avait vue à la fontaine du village!
A ce moment-là, les choses se passaient comme ça. La femme n’avait pas le droit à la parole. Une fille était élevée dans la tradition familiale. On lui apprenait à faire la cuisine, à tisser pour préparer sa vie future. J’ai suivi la tradition comme ma mère et ma grand-mère.
J’ai été très heureuse dans mon enfance. Tellement heureuse qu’au départ, je ne voulais pas forcément me marier ! Après la fête, je suis partie dans ma belle-famille pour vivre dans une maison en terre d’une seule pièce avec mon mari, ses deux frères, sa maman, sa grand-mère.
Que signifiait alors la colonisation pour une jeune femme comme vous ?
Les colons ne sont jamais venus chez nous. Mais mon mari, mon frère aîné, qui étaient partis travailler en France et revenaient pour les vacances, voyaient comment ça se passait dans l’Hexagone. Ils ramenaient des objets qu’on ne connaissait pas dans nos villages. Comme ce miroir acheté par mon mari et que nous empruntaient tous les amis de la famille ! Avant, nous pouvions seulement nous regarder dans des bouts de verre.
A cette époque, les hommes commençaient à réfléchir ce qui se passait en Algérie. Ils observaient des situations qu’ils n’acceptaient plus. Par exemple la plage de Tigzirt, dont les colons interdisaient l’accès aux Algériens. Nos jeunes ne pouvaient se baigner que dans les rivières, avec les animaux !
Nous n’avions pas de médecins, pas de médicaments. Nous n’avions droit à rien. La guerre a vraiment été une révolte contre ce que nous n’acceptions plus. Une révolte contre l’injustice.
Qu’en pensaient les femmes?
C’étaient les hommes qui commandaient. Mais ils discutaient avec nous. Et j’étais d’accord avec eux. Je voyais bien, par exemple, que nous n’avions pas de chaussures, pas de gaz, alors qu’on trouvait tout cela en France.
Pour vous et vos proches, la guerre a commencé par une grève du mouton à l’Aïd...
En fait, pour moi, elle a commencé en août 1954 (donc avant les attentats de la Novembre rouge le 1er novembre 1954, Ndlr) quand un couple d’amis communistes de mon mari est venu en vacances chez nous. Ils lui ont conseillé de me faire venir en France en expliquant que la guerre allait éclater. Nous sommes partis un an plus tard.
A la même époque, les jeunes ont expliqué que pour commencer la révolte, nous n’achèterions pas de moutons pour l’Aïd. C’était sans doute une décision symbolique. Les grands-mères ont protesté. Mais les hommes ont répliqué : «C’est comme ça !». Moi, j’étais d’accord avec cette décision.
Comment s’est passée votre arrivée en France ?
Mon mari m’a beaucoup aidée. J’ai dû tout apprendre ! Comme si j’étais un enfant, comme si j’allais à l’école. Cela a parfois donné lieu à des situations comiques. Par exemple, je ne savais pas ce qu’était un lit : au début, je voulais me coucher sur une simple couverture par terre, sur le béton. Et la première fois qu’on a fait une piqûre à ma fille, j’ai cru qu’on voulait la tuer !
Pendant la guerre, votre mari était engagé dans le FLN en France. Vous avez vécu le couvre-feu, la répression, les ratonnades. N’en voulez-vous pas aux Français ?
La police est venue deux fois chez nous. La seconde fois, elle a embarqué mon mari. J’avais peur des policiers, je tremblais en voyant leurs bâtons blancs. Quand j’ai rendu visite à mon mari avec mes enfants au centre de détention de Vincennes, ma fille de cinq ans s’est évanouie. De son côté, mon fils de trois ans a pris par mégarde un coup de bâton sur la tête et il en a gardé une cicatrice.
Dans le même temps, mon frère aîné, mon oncle, père de huit enfants, et un cousin germain sont morts au maquis. Un neveu de mon mari a été abattu à un arrêt de bus en banlieue parisienne. Pour autant, aujourd’hui, je n’ai pas de haine vis-à-vis des Français.
J’avais, et j’ai toujours, des amis français qui sont comme ma famille. A Malakoff, où je vivais déjà, il n’y avait pas d’environnement hostile vis-à-vis de nous, ce qui était sans doute lié au fait que la municipalité était communiste. Il y avait une grande solidarité : quand je suis venu voir mon mari à Vincennes, la mairie m’avait donné plein de colis pour lui et ses camarades. A tel point que quand un de ses co-détenus a vu tous ces paquets, il lui a dit que nous devions être riches !
Vous avez tout quitté pour venir en France. Vous avez alors dû évoluer entre «deux cultures diamétralement opposées», comme vous l’expliquez. Quel bilan faites-vous aujourd’hui ?
Je parle effectivement de cultures opposées. Elles l’étaient effectivement dans les modes de vie. Mais les valeurs que m’a données ma famille étaient et sont les mêmes que celles de mes amis ici en France : la franchise, l’honnêteté, le respect, l’amour des gens. Il n’y a que la langue qui change !
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