"L'issue de la présidentielle française inquiète beaucoup les Algériens", selon un journaliste "d'El Watan"
Adlène Meddi revient sur les raisons pour lesquelles ses compatriotes s'intéressent davantage à l'élection présidentielle française qu'au scrutin législatif algérien qui a lieu ce jeudi 4 mai dans leur pays.
Jeudi 4 mai, 23 millions de citoyens algériens sont appelés à voter pour élire leurs députés. Pourtant, ils sont peu nombreux à s'intéresser au scrutin. En effet, l'Assemblée populaire nationale est dominée par la même majorité depuis 2002 et le président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 80 ans, a entamé, en 2014, son quatrième mandat. A l'inverse, l'élection présidentielle française semble passionner les Algériens et enflammer les réseaux sociaux dans le pays, à en croire Adlène Meddi, journaliste à El Watan. Ce dernier revient, pour franceinfo, sur les raisons de cet engouement pour le scrutin français, et sur celles du rejet du scrutin algérien.
Franceinfo : Pourquoi les Algériens se passionnent-ils tellement pour l'élection présidentielle française ?
Adlène Meddi : L'issue du scrutin inquiète beaucoup les Algériens, bien plus que quand François Hollande avait remporté l'élection présidentielle de 2012. Il y a une peur de voir l'extrême droite, incarnée par Marine Le Pen, arriver au pouvoir en France. L'Algérie entretient un rapport très fort avec l'Hexagone. Constater qu'une majorité de personnes ont voté pour un parti xénophobe et raciste serait une déception terrible.
Presque toutes les familles algériennes ont un parent qui vit en France ou ont le projet d'aller y travailler. Si Marine Le Pen était élue, qu'adviendrait-il des personnes qui ont la double nationalité, par exemple ? Ces questions juridiques créent aussi beaucoup d'angoisse et impactent directement les Algériens.
Certains s'intéressent également à ces élections car elles sont le reflet de ce qui se déroule dans des pays plus démocratiques lors de scrutins. Ils observent comment cela se passe quand il y a une séparation des pouvoirs et que le résultat n'est pas connu d'avance. C'est comme une course, avec du suspense et des rebondissements, ce dont les Algériens sont férus. Ils aiment les vidéos et les déclarations chocs.
Mais pourquoi cela les intéresse davantage que leurs propres élections ?
La population est lucide et sait très bien que le Parlement algérien n'est pas efficace. Elle a une piètre image de cette institution, qui ne fait que passer des lois édictées par le gouvernement. Elle est perçue comme assujettie au pouvoir en place, cantonnée à un rôle de figuration.
En Algérie, selon l'instance de surveillance des élections, 50% des meetings et des réunions programmées dans des salles n'ont pas lieu, faute de monde. Les Algériens perçoivent cette campagne pour les législatives avec un peu de cynisme. Ils déplorent l'amateurisme de certains candidats, mal préparés. Ils analysent également la vague de boycott et d'abstention qui touche le pays : le parti majoritaire au Parlement est le Front de libération nationale (FNL) depuis l'indépendance du pays [en 1962]. C'est comme si, en France, le général de Gaulle était encore vivant.
Nombreux sont ceux qui se désintéressent de la vie politique du pays. Et c'est un cercle vicieux. Après cette élection, les choses ne changeront pas. Finalement, l'enjeu des élections françaises est plus important que celui des législatives pour les Algériens, notamment sur la question de la fermeture des frontières.
Comment s'informent-ils sur les élections françaises ?
Les médias algériens s'intéressent de très près à l'élection présidentielle française. Lors du premier tour, les résultats avaient fait la une des journaux. Pour ce qui est de la télévision, cela dépend des chaînes. Celles qui appartiennent à l'Etat en parlent peu, avec beaucoup de distance, alors que de nombreux reportages sont diffusés sur le sujet sur les chaînes privées. Elles se concentrent sur la situation des immigrés en France et comment ils appréhendent ces élections. Beaucoup d'Algériens piratent la télévision, ce qui leur donne accès à de nombreuses chaînes internationales. Ils regardent aussi les journaux télévisés français ou les chaînes d'information en continu.
De plus en plus de jeunes s'informent grâce à l'équivalent algérien de Facebook. C'est un espace de débat où on peut lire de nombreux éditorialistes qui écrivent sur le sujet. Les jeunes participent beaucoup, notamment sur des sujets comme le racisme ou la jeunesse de Jean-Marie Le Pen en Algérie [Jean-Marie Le Pen a été lieutenant dans un régiment parachutiste pendant la guerre d'Algérie].
Quelle vision les Algériens ont-ils des candidats à l'Elysée ?
Les Algériens ont une vision très manichéenne des candidats français à la présidentielle. Emmanuel Macron bénéficie d'une très bonne image, grâce à la phrase qu'il a prononcée lors d'un déplacement à Alger, le 14 février. Il avait qualifié la colonisation de "crime contre l'humanité". Même Ramtane Lamamra, le ministre algérien des Affaires étrangères, a déclaré : "Emmanuel Macron est notre ami, un ami de l'Algérie." C'est très rare, pour un diplomate, de prendre parti de la sorte. La population ne rentre pas dans le détail ni dans la nuance. Par exemple, le fait qu'Emmanuel Macron soit un ancien banquier de chez Rothschild, ça ne la touche pas.
A l'inverse, Marine Le Pen représente à leurs yeux l'incarnation du racisme et de la glorification de la colonisation. Son père a toujours été un fervent défenseur de l'Algérie française. Cette vision du Front national historique reste très présente au sein de la société algérienne.
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