Manifestations en Algérie : "Un sursaut populaire, inédit et spectaculaire" contre le cinquième mandat de Bouteflika
De nouveaux rassemblements sont prévus dimanche dans les grandes villes algériennes contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika qui brigue un cinquième mandat.
"Jusqu'où ira la mobilisation ?" se demande le quotidien algérien El Watan, dimanche 24 février, quand Liberté estime à sa une que "Les Algériens ont brisé le mur de la peur". Vendredi, des milliers d'Algériens ont défilé à travers tout le pays contre le cinquième mandat que brigue le président Abdelaziz Bouteflika, 81 ans. De nouveaux appels à manifester dimanche dans les grandes villes algériennes ont été diffusés sur les réseaux sociaux avec le même mot d'ordre.
Les Unes de plusieurs journaux algériens ce dimanche. Et cette question qui revient :
— Zahra Rahmouni (@ZahraaRhm) 24 février 2019
Et maintenant ? #Algérie pic.twitter.com/dIlpgxKdQu
"Pas de 5e mandat", "Ni Bouteflika ni Saïd" (frère du chef de l'Etat, souvent perçu comme son successeur potentiel), ont notamment scandé les manifestants dans le centre d'Alger où toute manifestation est officiellement interdite depuis 2001. Les observateurs soulignent le caractère massif, pacifique et spontané du mouvement de contestation. Nous avons interrogé Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerrannéen, basé à Genève (Suisse).
Franceinfo : Pourquoi cette révolte de la rue algérienne est-elle inédite ?
Hasni Abidi : C'est inédit car cela marque un tournant dans l'histoire politique algérienne récente. Depuis la parenthèse démocratique et les émeutes d'octobre 1988, on n'a jamais vu un sursaut populaire aussi fort. Par ailleurs, le mouvement est hors de tout cadre politique ou syndical, pacifique, et avec une revendication politique claire : "non" au cinquième mandat de Bouteflika.
Et ce qui fait la singularité de ces événements, c'est qu'ils surviennent alors que tout le monde pensait que les Algériens avaient déserté le champ politique. De manière spectaculaire, ils viennent de montrer qu'ils sont conscients, engagés dans la chose politique en Algérie. Enfin, le déroulement de ces rassemblements, pacifiques, pluriels, sans récupération des islamistes ou d'autres partis politiques, dénotent également d'une prise conscience de la part des Algériens pour prendre leur destin en main.
Qui est derrière ce soulèvement ?
C'est un véritable mouvement citoyen. Les manifestations du 22 février surviennent après plusieurs rassemblements qui n'ont pas ou peu été médiatisés. Essentiellement dans l'est du pays, un mouvement de colère a pris forme sur des questions économiques et sociales. Dans ce contexte, la mise en scène de l'annonce de la candidature du président Bouteflika pour cinquième mandat a été ressenti par les Algériens comme l'ultime humiliation de la part du régime. A la suite de cela, des appels anonymes au soulèvement se sont multipliés sur Facebook et sur les réseaux sociaux et ils ont trouvé écho auprès des Algériens.
Il faut avoir conscience du contexte : la situation est déjà difficile pour les Algériens, sur le plan économique et social. L'absence du président Bouteflika à la suite de sa maladie paralyse le système politique. Sa candidature pour un cinquième mandat s'ajoute à cela. Bouteflika est devenu l'otage d'une configuration au sommet du pouvoir pour que rien ne change, pour conserver le régime tel quel. Et les Algériens ne veulent plus être les otages de cet équilibre des forces au sein du pouvoir algérien.
En annonçant cette candidature, le régime a donné l'argument recherché par la rue algérienne – qui est désormais le plus grand parti du pays – pour manifester son rejet et sa colère.
Quelles suites ce mouvement peut-il avoir ?
Il est possible que le pouvoir sous-estime la capacité de la rue algérienne à sortir. Par le passé, le pouvoir algérien a montré une grande capacité à tenir la rue, en distribuant des rentes sociales, en jouant la carte du pourrissement, en prétendant que l'Algérie était mieux que la Tunisie, que la Libye, que la Syrie... Et voter pour Bouteflika était présenté comme une forme d'immunité pour le système algérien contre toutes dérives ou contre le chaos. Finalement, les Algériens ont surmonté cette peur développée depuis les années 90 et ils disent 'non'.
Si le système veut survivre, la solution la moins risquée serait de retirer la candidature de Bouteflika. Mais si le régime s'obstine, il y a un risque réel de radicalisation du mouvement et probablement d'une radicalisation de la réponse du pouvoir.
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