L’épave du "Clotilda", le dernier navire négrier, retrouvée en Alabama
L’ultime navire négrier avait transporté 110 esclaves du Bénin à l’Alabama en 1860, bien que la traite ait été interdite dès 1808 aux Etats-Unis. Il fut délibérément coulé après la traversée dans la rivière Mobile pour cacher les preuves du trafic.
C’est l’histoire d’un pari sordide. Celui que conclut un riche propriétaire terrien d’Alabama avec des hommes d’affaire du nord. L'idée était d'introduire une cargaison d’esclaves venue du Bénin, dans la baie de Mobile, à la barbe des fonctionnaires fédéraux. Car si la traite, à savoir "l’importation" d’esclaves, était interdite, l’esclavage lui ne l’était pas. Et dans les plantations du sud, la demande de travailleurs était forte et constante.
L’historienne Sylviane Diouf a écrit un livre en 2007 consacré à cette traversée du Clotilda : Rêves d’Afrique en Alabama. "C’est l’histoire la mieux documentée sur la traite, explique-t-elle. Les captifs ont été questionnés, même filmés, car certains vivaient encore au XXe siècle. L’homme qui a organisé la traversée a parlé. Le capitaine du bateau a écrit là-dessus. On a tous les points de vue. Je n’ai jamais rien vu de comparable."
L’aventure commence donc par un pari, nous raconte le National Geographic. Timothy Meaher, riche propriétaire terrien, mais aussi constructeur de navires, parie 1000 dollars qu’il passe une cargaison d’esclaves en Alabama. Pas seulement un pari. Meaher est aussi un militant de la cause des planteurs du sud. Depuis que la traite est interdite, le prix des esclaves s’est envolé et les planteurs réclament qu’on en rétablisse le commerce.
Entre le 4 mars et le 9 juillet 1860, le Clotilda fera le voyage aller-retour entre Mobile et le port de Ouidah au Dahomey, l’actuel Bénin. Pour 9000 dollars or, le capitaine Forster achètera 110 esclaves. Hommes, femmes, enfants qui vaudront vingt fois plus à leur arrivée en Alabama. Après ce terrible voyage, le Clotilda sera coulé dans un bras de la rivière pour effacer toutes traces.
Dans les bayous de la Mobile ou de la Tensaw, les deux fleuves de l’ouest de l’Alabama, les épaves ne manquent pas. Et pendant des années, les tentatives de retrouver des restes du bateau se sont soldées par des échecs. Si son histoire était connue, le Clotilda manquait toujours à l’appel. Mais c’est une fausse alerte qui allait relancer spectaculairement sa quête.
Epave dans la vase
Lors d’une marée particulièrement basse, en janvier 2018, une épave est apparue dans le bayou à quelques miles de Mobile. Cela a réveillé l’intérêt de la Commission historique d’Alabama (AHC) pour cette période. Les archives ne manquent pas, y compris sur le Clotilda, une des cinq goélettes construites dans le golfe du Mexique à cette époque. Un navire atypique, construit sur mesure, aux caractéristiques uniques.
Les recherches relancées, les archéologues se sont alors intéressés à un bout de rivière qui n’avait jamais été dragué. Là, ils ont découvert un véritable cimetière à bateaux coulés et en partie envasés. Et parmi ces épaves, enfin celle du Clotilda, facilement reconnaissable par ses caractéristiques techniques, ses matériaux de construction, même en absence d’une quelconque inscription sur sa coque.
Mémorial
Les habitants du coin, Afro-Américains descendants d’esclaves, voudraient faire de cette épave un mémorial. Mais sa restauration coûterait des millions de dollars. Cette découverte archéologique arrive également à point nommé dans le contexte du sud des Etats-Unis où "l'atmosphère dominante n'est pas vraiment à la repentance", écrit le site Slate. Le refus de reconnaître la mise en esclavage de 389 000 Africains de 1600 à 1860 en Amérique est toujours très vif. "A chaque fois, les efforts de mémoire se heurtent au problème de l'absence : peu d'objets et d'habitations originales demeurent", poursuit Slate.
Dans ce contexte, la goélette Clotilda, unique vestige nautique de la traite, ferait un excellent support et vecteur de prise de conscience.
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