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Pourquoi le Burkina Faso s'embrase

Des centaines de manifestants ont pris d'assaut la télévision nationale et ont saccagé l'Assemblée, jeudi, alors que la Constitution devait être révisée pour permettre au président Compaoré de briguer un nouveau mandat.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des Burkinabés manifestent devant l'Assemblée, le 30 octobre 2014 à Ouagadougou (Burkina Faso), contre un projet de révision constitutionnelle qui permettrait au président de se représenter. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Le Burkina Faso s'enflamme. A Ouagadougou, la capitale, des centaines de manifestants sont entrés de force dans l'Assemblée nationale et ont incendié le bâtiment, jeudi 30 octobre.

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Des coups de feu ont été entendus et au moins une personne a été tuée. La télévision nationale a cessé d'émettre après avoir été prise d'assaut par des protestataires. Francetv info fait le point sur cette soudaine poussée de violence des Burkinabés, hostiles au maintien au pouvoir de leur président Blaise Compaoré.

Qu'est-ce qui a déclenché cette crise ?

Le président burkinabé Blaise Compaoré est au pouvoir depuis son coup d'Etat de 1987. Mais son mandat expire en 2015. Et après deux septennats (1992-2005) puis deux quinquennats (2005-2015), la Constitution ne lui permet pas de briguer un nouveau mandat. Son gouvernement souhaite donc la modifier en révisant l'article 37 afin de porter de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels. L'exécutif a donc convoqué un vote de l'Assemblée nationale, jeudi. 

"Ça fait au moins cinq ans" que dure ce débat sur cette loi fondamentale, observait samedi le chef de l'Etat burkinabé, dans une interview à la BBC. Depuis de longs mois, majorité et opposition s'empoignent régulièrement sur ce sujet. Les opposants à Blaise Compaoré dénoncent un "coup d'Etat constitutionnel". A l'approche du scrutin, ils ont appelé à manifester dans tout le pays.

Mardi, des centaines de milliers de Burkinabés sont descendus dans les rues de la capitale. Un million, selon l'opposition. Cette manifestation, d'une ampleur historique, s'est conclue par des affrontements. Pendant plusieurs heures, des centaines de manifestants armés de pierres et de barres de fer ont affronté les forces de l'ordre, qui ont répliqué avec des gaz lacrymogènes.

L'opposition a également appelé à plusieurs reprises le peuple à "marcher sur l'Assemblée", jeudi, afin d'empêcher le vote. Un appel visiblement entendu. 

Face à cette pression populaire, un porte-parole du gouvernement a annoncé que le projet de révision de la Constitution était retiré.

Que reproche l'opposition au président ?

Blaise Compaoré a déjà modifié à deux reprises l'article 37 de la Constitution, en 1997, puis en 2000, pour pouvoir se maintenir au pouvoir. Le président burkinabé invoque le respect strict de la loi pour justifier cette troisième retouche. Mais l'opposition craint que ce nouveau changement, qui ne devrait pas être rétroactif, conduise le chef de l'Etat, à accomplir non pas un, mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant ainsi quinze années de plus au pouvoir.

Blaise Compaoré pâtit, de plus, une image sulfureuse en raison du rôle présumé de son pays dans des crises régionales, notamment en Côte d'Ivoire voisine. Son putsch en 1987 a, en outre, été marqué par l'assassinat - jamais élucidé - du président Thomas Sankara, icône du panafricanisme.

Le chef d'Etat burkinabé jouit cependant d'une solide réputation à l'étranger, notamment en France, l'ex-puissance coloniale. Il est même un partenaire majeur de la communauté internationale en Afrique, avec un rôle-clé de médiateur dans plusieurs crises, notamment dans la bande sahélienne.

 

Le président burkinabè Blaise Comparoé aux côtés de François Hollande, le 18 septembre 2012 à l'Elysée (Paris). (BERTRAND LANGLOIS / AFP)

Quel avenir pour le pays ?

Dans ce pays très pauvre du Sahel, cette crise est la plus grave depuis l'immense vague de mutineries de 2011, qui avait fait trembler le pouvoir de Blaise Compaoré. La révision constitutionnelle envisagée par le chef de l'Etat ferait de nombreux mécontents au sein de la jeunesse. Environ 60% des 17 millions de Burkinabés ont moins de 25 ans et n'ont donc jamais connu un autre dirigeant que Blaise Compaoré.

L'opposition rêve, de son côté, d'une révolution. "Le 30 octobre, c'est 'le printemps noir' au Burkina Faso, à l'image du 'printemps arabe'", lançait mercredi Emile Pargui Paré, ex-candidat à la présidence et cadre d'un influent parti d'opposition. Il envisageait une "prise de la Bastille" à la sauce burkinabée.

Toutefois, les leaders de l'opposition appellent la population à ne pas sombrer dans la violence. "L'opposition pourrait être dépassée par sa base, jeune, qui a des positions jusqu'au-boutistes", estime Siaka Coulibaly, un politologue.

Des manifestants s'attaquent à un policier à Ouagadougou (Burkina Faso), le 28 octobre 2014, à l'issue d'une manifestation contre le président. (CITIZENSIDE / JEAN DANIEL GYGER / AFP)

"Il semble que nous sommes passés dans une situation où Compaoré devra quitter le pouvoir avant la fin de son mandat, l'année prochaine, explique à Reuters le chercheur Gilles Yabi, ancien directeur pour l'Afrique de l'Ouest de l'International Crisis Group (ICG). Cela va dépendre de la réaction des forces de sécurité, mais je vois mal comment il pourra aller au terme de son mandat si la violence dégénère aujourd'hui." 

Cette crise peut-elle avoir un impact sur les pays voisins ?

Le Burkina Faso n'est pas le seul pays d'Afrique qui pourrait être concerné par ces soulèvements populaires. La révision constitutionnelle est, en effet, une manœuvre politique classique sur le continent. Ces dernières années, elle a été employée dans au moins huit pays, où certains présidents sont aux affaires depuis plus d'une trentaine d'années : Algérie, Tchad, Cameroun, Togo, Gabon, Guinée équatoriale, Angola, Ouganda, Djibouti.

Au totale, une demi-douzaine de chefs d’Etat africains sont dans le même cas que Blaise Compaoré et espèrent modifier la Constitution de leur pays pour rester au pouvoir.

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