Quelle est la situation au Burkina Faso, où les forces françaises sont poussées à partir rapidement ?
Une décision prise "pour mener des consultations sur l'état et les perspectives de notre coopération bilatérale". Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé, jeudi 26 janvier, le rappel de son ambassadeur au Burkina Faso, Luc Hallade, dans la lignée de l'annonce du départ des forces françaises présentes dans le pays.
Lundi, les autorités burkinabées ont fait savoir qu'elles souhaitaient voir ces militaires quitter le territoire. "Ce que nous dénonçons, c'est un accord [datant de 2018] qui permet aux forces françaises d'être présentes au Burkina Faso", a déclaré le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo. Dénonciation qui a été "formellement" reçue mardi par le ministère des Affaires étrangères. "Conformément aux termes de l'accord, la dénonciation prend effet un mois après la réception de la notification écrite", a précisé à l'AFP le Quai d'Orsay. La France, a-t-il ajouté, respectera "les termes de cet accord en donnant suite à cette demande".
Comment expliquer cette demande du gouvernement burkinabé, à l'heure où le pays accueille environ 400 militaires français dans le cadre de l'opération Sabre ? Dans quelle situation politique, sécuritaire et humanitaire se trouve actuellement le Burkina Faso, l'un des dix pays les plus pauvres au monde ? Eléments de réponse.
La moitié nord du pays en proie à des attaques jihadistes
Depuis 2015, la moitié nord du Burkina Faso est régulièrement le théâtre d'attaques menées par des groupes jihadistes. Celles-ci ont fait plusieurs milliers de morts. Le 19 janvier, quatre attaques ont ainsi tué une trentaine de civils, parmi lesquels une quinzaine de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs de l'armée, dans la province de Bam (nord du pays). Dans la province de Nayala, un convoi "escorté par des militaires et des VDP" a été pris dans une "embuscade", selon un responsable local des VDP interrogé par l'AFP. Et dans la soirée, huit civils ont péri après l'arrivée d'hommes armés dans la ville de Sanaba, plus au sud.
En parallèle, 66 femmes et enfants ont été enlevés vers Arbinda, dans la région du Sahel. Ils ont été libérés et "vont bien", a assuré le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo. Plusieurs territoires, notamment des zones de cette région du Sahel, subissent en parallèle des blocus de groupes jihadistes. La situation est si critique qu'à l'heure actuelle, 40% du territoire n'est plus contrôlé par l'Etat, souligne Le Monde.
"En 2022, plus des deux tiers des événements violents liés aux groupes militants islamistes au Sahel ont eu lieu en dehors du Mali, principalement au Burkina Faso", relevait en septembre le Centre d'études stratégiques de l'Afrique (article en anglais). Le nord et le centre du pays ont "connu l'une des escalades les plus rapides de violences au Sahel", poursuit l'institution.
Un quart de la population dépendante d'une aide d'urgence
Ces violences et situations de blocus "dans de nombreuses régions ont laissé les communautés coupées du reste du pays et confrontées à une faim croissante", a alerté en octobre Martin Griffiths, secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d'urgence. Un quart de la population – environ 4,9 millions de personnes – a besoin d'une aide d'urgence, d'après le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU. Cette proportion de la population dépendante d'une aide a augmenté de 40% entre janvier et octobre 2022, selon les Nations unies.
Autre conséquence de ces violences, en 2021 et 2022, près de 50 000 personnes ont migré vers le Niger, le Mali, le Bénin ou encore la Côte d'Ivoire. "Avec un total de 1,76 million de personnes déplacées enregistrées, le Burkina Faso connaît l'une des crises de déplacement qui se développe le plus rapidement dans le monde", poursuit l'ONU. En parallèle, les zones urbaines du Burkina Faso sont "submergées par les nouveaux arrivants". "La situation est dramatique dans le nord depuis plusieurs années (...) Cela implique des mouvements de population qui posent un défi considérable", souligne auprès de franceinfo Benoît Beucher, maître de conférences en histoire contemporaine de l'Afrique à l'Université de Paris et spécialiste du Burkina Faso. "Le pays n'avait jamais connu ça."
Une présence française de plus en plus contestée
Dans ce contexte, la présence de militaires français sur le territoire est de plus en plus remise en cause par la population. "Il y a déjà une demande qui est une demande populaire. Clairement, à Ouagadougou, l'image de la France s'est très sérieusement dégradée", appuie Benoît Beucher. "Il y a toujours la dénonciation de la Françafrique, qui parfois mêle des faits et des mythes", pointe-t-il. Et sur le plan militaire, l'idée que la situation ne s'est pas améliorée, "voire l'idée qu'elle s'est plutôt aggravée" sous la présence des forces françaises.
Il y a une semaine, quelques centaines de personnes ont manifesté dans la capitale afin de dénoncer la présence de ces forces françaises et d'appeler au départ de l'ambassadeur de France. "Armée française, dégage de chez nous", "France dégage", "Dehors les diplomates pyromanes", pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants, selon un journaliste de l'AFP présent sur place.
Dans ces rassemblements, qui ont débuté il y a plusieurs mois, les protestataires reprochent à la France de ne pas parvenir à limiter les violences des groupes jihadistes dans le pays. Entre octobre et novembre, des Burkinabés s'étaient ainsi réunis devant l'ambassade de France et la base militaire de Kamboinsin, où se trouvent les forces spéciales françaises. Le gouvernement avait également réclamé en décembre le départ de Luc Hallade, après ses propos soulignant la dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso.
Pour la junte, "aucune crainte" sur l'absence des forces françaises
Le pays fait face à une grande instabilité politique. Depuis l'automne, le pouvoir est entre les mains d'une nouvelle junte, avec à sa tête le capitaine Ibrahim Traoré. Ce dernier souhaite se focaliser sur "la reconquête du territoire" face aux groupes jihadistes. Le capitaine est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat, le deuxième en moins d'un an au Burkina Faso. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba était arrivé à la tête du pays fin janvier par un premier putsch, avant d'être déclaré président le 10 février. Quand il a été renversé le soir du 30 septembre, au profit d'Ibrahim Traoré, les nouveaux putschistes ont accusé la France d'aider Damiba, ce que Paris a démenti.
Comme le souligne Le Monde, Ibrahim Traoré, 35 ans, a à cœur de "diversifier" ses partenariats militaires et de se battre "pour la souveraineté" de son pays. La junte ne cache donc plus son intention de voir les forces françaises quitter le pays. Celle-ci n'a "aucune crainte" sur un impact négatif, en terme sécuritaire, de ce départ, a déclaré le porte-parole du gouvernement, Jean Emmanuel Ouédraogo. "Nous comptons sur nos propres moyens, nos propres ressources humaines, pour pouvoir gagner cette guerre [contre les jihadistes]", a-t-il insisté. A la fin de l'année, la junte a lancé le recrutement de supplétifs pour renforcer l'armée dans le cadre de cette lutte contre les groupes jihadistes, et 90 000 personnes se sont inscrites.
"La légitimité de ce régime actuel est très fragile, donc il est très attendu sur les résultats. A défaut de résultats, il utilise des moyens, comme cette annonce du départ des forces françaises, qui permettent de s'aligner davantage avec l'opinion publique."
Benoît Beucher, spécialiste du Burkina Fasoà franceinfo
Un officier burkinabé, témoignant de manière anonyme auprès du Monde, explique aussi que "la France ne nous donnait pas vraiment le matériel militaire de pointe dont on avait besoin". "Quand on le leur demandait, ils refusaient parfois, à cause du manque de respect des droits de l'homme constaté chez certains de nos soldats", précise-t-il. Un rapprochement s'est amorcé en parallèle avec la Russie, "un choix de raison" selon le Premier ministre burkinabé, en visite à Moscou en décembre. "Il y a une stratégie d'influence russe, on n'en sait pas grand-chose, mais on sait qu'elle est quand même là", relève Benoît Beucher. Avec, en toile de fond, la crainte d'une présence de mercenaires du groupe Wagner dans le pays.
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