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Quatre questions sur l'arrestation de deux reporters du "Monde" au Burundi

Le journaliste français Jean-Philippe Rémy et le Britannique Philip Edward Moore ont été arrêtés par la police, jeudi, lors d'une opération contre des rebelles, avant d'être remis en liberté vendredi après-midi. 

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Philippe Rémy et Philip Edward Moore, deux envoyés spéciaux du quotidien "Le Monde", ont été arrêtés le 28 janvier 2016 au Burundi, et relâchés le lendemain.  (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Ils ont été relâchés après 24 heures de détention au Burundi. Deux journalistes travaillant pour Le Monde, le Français Jean-Philippe Rémy et le Britannique Philip Moore, ont été arrêtés par la police, jeudi 28 janvier, dans la capitale, Bujumbura

Libérés vendredi 29 janvier dans l'après-midi, ils n'ont pu récupérer leur équipement (téléphones portables, appareils photo), tweete une journaliste américaine sur place.

Dans le pays, plongé depuis neuf mois dans une grave crise politique, opposants au régime et journalistes sont muselés, s'alarme notamment l'association Human Rights Watch.

Le président Pierre Nkurunziza, réélu pour un troisième mandat en juillet en dépit d'une limite de deux mandats inscrite dans la Constitution, est accusé de réprimer toute opposition, ravivant le spectre d'une guerre civile entre Hutus et Tutsis.

Comment se sont déroulées leurs arrestations ? 

Les deux reporters ont été arrêtés lors d'une opération contre des rebelles dans la capitale, Bujumbura. Jeudi, vers 16h30, "la police a eu des informations selon lesquelles des criminels tenaient une réunion" dans une maison de Nyakabiga, un quartier du centre de la capitale, a expliqué un porte-parole de la police burundaise. A son arrivée, "le groupe s'est enfui. La police les a pourchassés et a rattrapé cinq personnes : quatre Burundais qui avaient deux pistolets et un Britannique", Phil Moore. Jean-Philippe Rémy a été interpellé peu après lorsqu'il est venu demander des nouvelles de son collègue.

L'arrestation des deux journalistes a été annoncée à la RTNB, la télévision d'Etat burundaise. Le conseiller en communication de la présidence a relayé l'annonce sur Twitter, jeudi après-midi.

D’après le communiqué du ministère de la Sécurité publique burundais, les policiers ont aussi saisi "un mortier, une kalachnikov et des pistolets". Quinze autres personnes ont également été arrêtées. Interrogé par la RTNB, le porte-parole adjoint de la police a déclaré que c'était "la première fois que des étrangers [étaient] surpris au milieu de criminels".

Mais Phil Moore nie avoir été arrêté pendant qu’il se trouvait avec des hommes armés, rapporte le quotidien français. Pour Le Monde, les deux journalistes travaillaient en toute légalité : "Ils étaient tous deux munis de visas et ne faisaient qu'exercer leur métier en rencontrant toutes les parties concernées par les tensions en cours au Burundi", rappelle le quotidien.

Qui sont ces deux journalistes ? 

Phil Moore et Jean-Philippe Rémy sont deux journalistes expérimentés qui connaissent bien la région. Il s'agit de "professionnels chevronnés", d'après l'Association des journalistes étrangers en Afrique de l'Est (FCAEA). Jean-Philippe Rémy est correspondant pour Le Monde et travaille sur le continent africain depuis 1998. Il a notamment remporté le prestigieux Prix Bayeux des correspondants de guerre en 2013 pour un reportage en Syrie.

Phil Moore, photographe indépendant, travaille quant à lui régulièrement pour l'AFP mais aussi pour le journal américain The New York Times, le quotidien britannique The Guardian et l'hebdomadaire allemand Der Spiegel. Il a effectué de nombreux reportages à travers le continent africain – au Soudan du Sud, en Libye, en Somalie, en République démocratique du Congo, en Centrafrique et au Burundi –mais aussi au Pakistan ou en Bolivie.

Jean-Philippe Rémy est entré légalement au Burundi le 19 janvier tandis que Phil Moore l'a rejoint le 21 janvier, précise Le Monde

Dans quelles conditions ont-ils été détenus ? 

Selon Gerrit Van Rossum, l'ambassadeur de France au Burundi, qui a rencontré vendredi les deux envoyés spéciaux avant leur remise en liberté, Jean-Philippe Rémy et Phil Moore ont passé la nuit au siège du Service national de renseignement (SNR), où ils ont été interrogés sans subir de violence, avant d'être déférés vendredi devant le parquet. 

Selon Le Monde, des membres de la Croix-Rouge et un représentant du consulat britannique ont également pu rencontrer les deux journalistes. Leur consœur américaine Julia Steer a également pu leur rendre visite, a-t-elle rapporté sur Twitter. 

Dans quel contexte surviennent ces arrestations  ?

Ces arrestations surviennent dans un contexte de très vives tensions au Burundi. Citée par Le Monde, l'ONG Human Rights Watch évoque une "répression sévère de la part du gouvernement envers les journalistes, toutes les principales stations de radio privées burundaises étant suspendues depuis avril-mai 2015". 

La plupart des médias indépendants d'information ont été détruits ou contraints de fermer. Cibles de menaces ou d'attaques, les journalistes n'ayant pas fui le pays vivent désormais dans la clandestinité. Le correspondant de l'AFP et de la radio RFI au Burundi, Esdras Ndikumana, 54 ans, journaliste respecté dans son pays, a par exemple été contraint de se réfugier au Kenya en août, après avoir été arrêté à Bujumbura et torturé par les services burundais de renseignement. 

Plus de 400 personnes ont été tuées depuis le début de ces tensions, qui ont poussé à l'exil plus de 200 000 personnes, dont beaucoup de Burundais critiques à l'égard du régime, militants de la société civile et journalistes indépendants.

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