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Comment écoles et enfants sont devenus des cibles directes dans la crise au Cameroun anglophone

Les attaques meurtrières contre des établissements scolaires se multiplient  dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest. La rébellion cible ce qui, à ses yeux, symbolise la mainmise de Yaoundé sur les régions anglophones.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Manifestation à Kumba, au Cameroun, après l'attaque contre l'école au cours de laquelle sept enfants ont trouvé la mort. (JOSIANE KOUAGHEU / REUTERS)

Sept élèves assassinés dans leur école à Kumba, le 24 octobre 2020. Six enseignants du primaire enlevés le 3 novembre dernier. Le même jour, quatre hommes ouvrent le feu contre un établissement secondaire à Bamenda dans le Sud-Ouest, sans faire de victimes. Le lendemain à Limbé, toujours dans la même région, une dizaine d'hommes armés font irruption dans un collège, terrorisent et violentent élèves et professeurs, et incendient les locaux.

Il n'y a pas de morts cette fois, mais le message reste le même. Le pouvoir de Yaoundé le reconnaît lui-même, ces actes "odieux et lâches" visent "à dissuader les parents d'envoyer leurs enfants à l'école et à créer une psychose au sein de la communauté éducative".

Car si la rentrée scolaire s'est officiellement déroulée le 5 octobre, dans les faits les portes de la majorité des établissements dans les zones sécessionnistes sont restées closes. Selon l'Unicef, 80% des établissements scolaires sont fermés et au moins 74 écoles ont été détruites. 855 000 enfants ne sont plus scolarisés et cela depuis trois ans, depuis que le conflit a enflammé la région. Les indépendantistes ont appelé au boycott et le font respecter par des actions armées.

Le gouvernement exhorte pourtant enseignants et élèves à regagner les classes, mais "tout en offrant peu de protection pour leur sécurité", accusent des ONG dans une lettre ouverte.

Déjà en 2019, le gouvernement avait tenté une réouverture des écoles à la rentrée. Mais face à la menace beaucoup avaient refermé comme l'expliquait le Guardian.

L'éducation enjeu essentiel

L'éducation est l'enjeu essentiel du conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Deux régions anglophones qui se plaignent depuis des décennies de la perte de leurs prérogatives au profit du pouvoir central et francophone. Surtout depuis 1972, où par référendum, le Cameroun abandonnait le fédéralisme au profit d'un Etat unique. A l'époque l'ouest anglophone s’est senti floué, d'autant qu'une partie de la population à l'indépendance aurait préféré se rapprocher du Nigeria, anglophone comme lui.

Au fil des ans, la francisation de la région va écarter les natifs des postes importants. Et ce, alors que le bilinguisme est officiellement la règle. Mais la fusion de deux modèles scolaires, l'un britannique, l'autre français se fait mal.
L'élite locale met en cause le manque de compétence des enseignants envoyés par Yaoundé et leur faible maîtrise de l'anglais.

"Discrimination"


"La discrimination à l'emploi des Camerounais anglophones est réelle, surtout dans le secteur public...Les concours d'entrée aux écoles de formation des cadres du pays qui se sont multipliées sur le modèle français...sont en pratique réservés aux francophones, puisque basés sur le Bac français", explique Cynthia Petrigh pour l'Ifri.

Conséquence, les postes "importants" du pays sont tenus majoritairement par des francophones, y compris en zone anglophone. Ainsi à Bamenda, 78% des officiers judiciaires du parquet sont francophones.

Pour les indépendantistes, l'école illustre la mainmise de Yaoundé sur le région. C'est sans doute plus une conséquence qu'une cause, mais elle cristallise les rancœurs et des enfants en font les frais.

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