Ce qu'il faut savoir sur la Cour pénale spéciale dont le premier procès se tient en Centrafrique
Cette juridiction d'exception a pour mission de juger les crimes commis dans le pays depuis 2003 où le pays a plongé dans l'instabilité politique.
La Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine, tribunal hybride composé de magistrats nationaux et internationaux, a ouvert son premier procès le 19 avril 2022 à Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Mais il a tout de suité été reporté au 25 avril prochain en raison de l'absence des avocats de la défense.
La juridiction est chargée de juger les crimes de guerre et contre l'humanité commis depuis janvier 2003. La date, explique-t-on sur le site de la Cour, "correspond au début des violences ayant mis fin au dialogue national entamé en 2002 et abouti au coup d’Etat de mars 2003". "Les populations (centrafricaines) ont été victimes depuis de plusieurs vagues de graves violations, notamment celles de mars 2013 à décembre 2015 entre les groupes (rebelles) Séléka et anti-Balaka."
Si la CPS est louée par certains comme un modèle de justice à exporter dans d'autres pays en guerre civile ou qui s'en relèvent, d'autres doutent de son efficacité tant ce procès, celui de trois criminels de guerre présumés sans envergure, a tardé à s'ouvrir. Issa Sallet Adoum, Ousman Yaouba et Tahir Mahamat, membres d'un des plus puissants groupes armés qui terrorisent les populations depuis des années – les 3R (Retour, Réclamation et Réhabilitation) – sont jugés pour des crimes de guerre et crimes contre l'Humanité commis en mai 2019. Ils sont accusés du massacre de 46 civils dans des villages du nord-ouest du pays.
Un contexte particulier
"La situation de la CPS est particulière, c'est une juridiction qui fonctionne alors qu'il y a encore des affrontements et nos détracteurs l'oublient", a confié à l'AFP le président centrafricain de la Cour, Michel Landry Louanga. La CPS est une "juridiction d'exception", explique à franceinfo Afrique Roland Adjovi, consultant en droit international qui a travaillé à la Cour pénale internationale (CPI) et au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
"Des juridictions (comme la CPS) sont crées à l'occasion d'un conflit", précise-t-il. Mais la formule de la CPS reste inédite "même s'il y a des similitudes avec les Chambres extraordinaires au Cambodge". Elle a été créée en 2015 par le gouvernement centrafricain avec le parrainage des Nations unies. Elle n'est pas comparable au TPIR qui avait été mis en place par le Conseil de sécurité des Nations unies et qui a jugé les premières personnes présumées coupables de génocide dans le pays. La cour n'est pas non plus un tribunal spécial international comme celui qui avait été mis en place, par exemple, en Sierra Leone (Tribunal spécial pour la Sierra Léone) et qui a jugé, après la guerre civile, les crimes commis pendant le conflit. Cette juridiction résultait d'un accord entre les Nations unies et le gouvernement sierra-léonais.
Une juridiction inédite
Contrairement à ces instances, la CPS est "une juridiction qui s'inscrit dans le droit centrafricain", insiste Roland Adjovi, bien qu'elle soit composée de juges et procureurs nationaux et internationaux originaires notamment de France, du Togo et de République démocratique du Congo (RDC). "La CPI (Cour pénale internationale) ne pourra jamais juger tout le monde. Les tribunaux ordinaires en Centrafrique ne sont pas aptes à juger les gens. Le pays est en guerre et un grand nombre de personnes de tous bords a participé. Ce tribunal internationalisé offre une possibilité d'apporter une solution judiciaire sur le plan national", analyse Roland Adjovi.
La CPS a été officiellement installée le 30 juin 2017 "avec la prestation de serment de six premiers magistrats : un procureur spécial international et cinq magistrats nationaux, nommés au parquet, à la chambre d’instruction et à la chambre d’accusation", peut-on lire sur le site de l'institution. "La loi sur la CPS (du 3 juin 2015) lui confère une durée d’existence de cinq ans, 'renouvelable en cas de besoin.'" La session inaugurale de la CPS s'est tenue le 22 octobre 2018 et ce jour a été retenu "comme (sa)date de naissance officielle". La juridiction dispose d'un budget annuel de 12 millions d'euros, principalement fourni par l'ONU, l'Union européenne et les Etats-Unis.
"L'ambition de la CPS, à terme, est de juger plus de de gens et d'améliorer le judiciaire national centrafrican", affirme Roland Adjovi. Une "bonne idée" pour l'expert qui pointe néanmoins le fait que "les contingences politiques dans lesquelles s'inscrit la CPS" l'entravent dans ses missions. Dans un pays ensanglanté par des décennies de guerres civiles, dont la dernière, entamée il y a 9 ans, perdure aujourd'hui, la Cour a dû franchir un éprouvant parcours d'obstacles.
Entravée par le politique
"La CPS se heurte à des obstacles dressés par le pouvoir, parfaitement illustrés par l'affaire Hassan Bouba", déplore Nicolas Tiangaye, avocat et porte-parole de la Coalition de l'opposition-2020 (COD-2020), qui regroupe la quasi-totalité des partis de l'opposition non armée. L'ouverture de ce premier procès − qui ne fait l'objet d'aucune publicité par le gouvernement alors que des ONG internationales et des juristes étrangers le qualifient d'"historique" − survient cinq mois après l'arrestation par des policiers de la CPS du ministre de l'Elevage et ex-chef rebelle Hassan Bouba dans son ministère à Bangui.
Si la CPS n'avait pas précisé les raisons de son inculpation, l'ONG américaine The Sentry, spécialisée dans la traque de l'argent sale qui finance les guerres, affirmait qu'il était directement responsable de l'attaque d'un camp de déplacés en novembre 2018 qui s'était soldée par la mort d'au moins 112 villageois dont 19 enfants. Quelques jours après, il était exfiltré de prison par des gendarmes avant de regagner son ministère, à quelques centaines de mètres de la CPS, et d'être décoré par le chef de l'Etat de l'Ordre national du Mérite.
"Les décisions des juges doivent être appliquées par d'autres entités, dénonce par ailleurs Alice Banens, conseillère juridique pour Amnesty International. Il y a au moins 25 mandats d'arrêts mais ni la Minusca, ni les autorités centrafricaines ne les exécutent alors que cela fait partie de leur mandat."
"La véritable question maintenant est de savoir si nos mandats, y compris ceux destinés aux gros poissons, seront exécutés", s'interroge pour sa part le président de la CPS, Michel Landry Louanga. La CPS est aussi affligée par une logistique défaillante qui n'a pas aidé à sa mise en place extrêmement longue : les deux derniers juges étrangers ont pris leurs fonctions en février et "des postes clés de la CPS restent vacants et difficiles à pourvoir", déplore l'ONG Human Rights Watch (HRW) dans un récent rapport. Le renvoi du premier procès conforte les observateurs qui s'inquiètent de la capacité de cette juridiction à atteindre ses objectifs.
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