République centrafricaine : élections à haut risque dans un pays toujours aux mains des groupes armés
La Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), forte de 11 500 Casques bleus, va tenter d'assurer la sécurité des élections présidentielle et législatives, pour préserver un semblant d'ordre constitutionnel.
C'est dans un pays encore aux deux tiers contrôlés par des groupes armés rebelles, qu'environ 1,8 million d'électeurs sont appelés à désigner un président et 140 députés le 27 décembre 2020 en Centrafrique. Un second tour est prévu le 14 février.
Forces en présence
16 candidats sont en lice pour cette élection présidentielle dans un pays en situation de ni guerre ni paix. Parmi eux, le président sortant, Faustin Archange Touadéra, qui apparaît comme le favori depuis l'invalidation de la candidature de son challenger le plus sérieux, l'ex-président François Bozizé. La Cour constitutionnelle a invalidé la candidature de ce dernier le 3 décembre, au motif que l'ex-chef de l'Etat est sous le coup de sanctions de l'ONU qui lui reproche d'avoir soutenu depuis son exil la contre-insurrection de milices dites anti-balaka coupables, selon l’Organisation, de "crimes de guerre".
Privée de son leader historique, l'opposition avançait en ordre dispersé avec 15 candidats contre M. Touadéra, qui pourrait l'emporter dès le premier tour. "Premier tour K.O. !" est d’ailleurs le slogan phare de sa campagne. A défaut de programme, le président sortant égrène dans ses meetings les réalisations qu'il considère avoir menées à bien depuis 2016 : accord de paix avec les rebelles, investissements dans l'éducation et la santé, reconstruction d’un embryon d'armée nationale. Tout cela avec les fonds débloqués par l'Union Européenne.
Mais François Bozizé, qui a tenté un coup de force le 19 décembre 2020, a appelé l’opposition à se regrouper derrière l'ancien Premier ministre Anicet-Georges Dologuélé. Fort de ce soutien, Anicet-Georges Dologuélé, économiste de formation et ancien Premier ministre de 1999 à 2001, apparaît désormais comme le candidat d'opposition le plus sérieux face à Faustin Archange Touadera. Il est l'homme de la stabilité retrouvée, même si la population le perçoit comme un technocrate.
Vote communautariste
L'ethnie Gbaya, l'une des principales du pays, reste fidèle à M. Bozizé, et son parti le KNK est solidement ancré dans le Nord-Ouest, sa région, la plus peuplée après la capitale Bangui. Le reste de l'opposition jouit aussi de bastions à travers le pays.
Les législatives s’annoncent plus difficiles encore pour Faustin Archange Touadéra et le parti au pouvoir. Le parti du président, le Mouvement Cœurs Unis (MCU), "n'a pas encore un solide enracinement et le parti de françois Bozizé, le KNK, éliminé de la présidentielle sera bien présent aux législatives", assure Hans de Marie Heungoup du centre de réflexion International Crisis group (ICG). Selon lui, "les logiques de vote communautaristes sont encore plus fortes aux législatives qu'à la présidentielle".
Quant aux milliers de réfugiés, ils ne pourront pas voter. Un quart des habitants de cet Etat parmi les plus pauvres de la planète ont fui leur domicile depuis le début du conflit en 2013, et 675 000 restent à ce jour réfugiés dans les pays limitrophes, selon l'ONU.
Sept années de guerre civile
La Centrafrique a été ravagée par la guerre civile après qu'une coalition de groupes armés à dominante musulmane, la Séléka, a renversé le régime du général François Bozizé en 2013. Les affrontements entre Séléka du Nord et milices chrétiennes et animistes "antibalaka" ont fait des milliers de morts entre 2013 et 2014.
Les violences ont toutefois considérablement baissé, notamment après un accord de paix en février 2019 entre 14 groupes armés et le gouvernement. Pour autant, les milices, ex-Séléka, ex-anti-balaka ou autres, continuent sporadiquement de s'en prendre aux civils, même si les motifs de ces exactions sont aujourd'hui bien davantage crapuleux que communautaristes.
"En échange d’une trêve relative, les groupes armés conservent leur mainmise territoriale et économique sur une grande partie du pays, et marchandent pas à pas la mise en œuvre de l’accord de paix", affirmait en 2019 Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, Sciences Po-USPC.
L’accord de paix, dit "accord de Khartoum", consacre l’impunité des seigneurs de guerre et leur confère des postes gouvernementaux. (Il a été) signé en février 2020 sous l’égide de l’Union africaine, avec la bénédiction de l’ONU et grâce à l’intermédiation secrète de la Russie
Thierry Vircoulon, chercheurs à l'IRISThe Conversation
Depuis cet accord, la guerre a évolué en un conflit de basse intensité, où les groupes armés se disputent le contrôle des ressources du pays : bétail, bois, diamants et or, tout en perpétrant régulièrement des exactions contre les populations civiles.
Un après-scrutin à haut risque
Au moins trois des plus importants groupes armés qui occupent deux tiers de la Centrafrique ont menacé de s'en prendre au pouvoir du président Faustin Archange Touadéra si ce dernier organise des fraudes, comme ils l'en accusent, pour obtenir un second mandat.
De son côté, le gouvernement accuse l'ancien président François Bozizé de préparer un "plan de déstabilisation du pays". Bozizé a d'ailleurs rejoint ces dernières semaine son fief du Nord-Ouest, où il a rencontré les chefs de plusieurs groupes armés afin de les unifier. Ces derniers jours ils ont occupé la ville de Bambari située à 380 km de la capitale Bangui, avant d'être repoussés par les casques bleus des Nations Unies.
Les groupes armés auraient bien la capacité de perturber le scrutin, d'autant que les candidatures de nombre de leurs cadres ont été invalidées. Mais la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), forte de 11 500 Casques bleus, a déployé un important dispositif pour assurer la sécurité du vote. Et le pays a reçu ces derniers jours des renforts russes et rwandais.
Les élections vont-elles préserver une paix précaire ou précipiter le pays dans le chaos ? Les observateurs nationaux et internationaux situent ce risque plutôt après les élections.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.