La CEDH condamne la France après l'expulsion de deux enfants vers les Comores en 2013
Arrivés illégalement à Mayotte, ils ont été "placés en rétention administrative en compagnie d'adultes [qui n'étaient pas de leur famille] et renvoyés expéditivement", relève la cour dans son arrêt. La France devra notamment payer 22 500 euros à leur père.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a sévèrement condamné la France, jeudi 25 juin, pour la rétention administrative puis le "renvoi expéditif" vers les Comores de deux enfants de 3 et 5 ans entrés illégalement à Mayotte en 2013. La juridiction internationale a constaté sept violations de la Convention européenne dans cette affaire. Notamment ceux sur l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, sur le droit à la liberté et à la sûreté ou sur le droit au respect de la vie privée et familiale.
"Des conséquences traumatisantes" en l'absence d'adulte de leur famille
Nés en 2008 et 2010, les deux enfants, également requérants, ont vu le jour à Mayotte. Leur mère comorienne, en situation irrégulière à Mayotte, a été renvoyée aux Comores en 2011 avec eux, mais elle est ensuite revenue à Mayotte après avoir confié ses enfants à leur grand-mère. En novembre 2013, les deux enfants avaient refait le trajet vers Mayotte "à bord d'une embarcation de fortune" dont les 17 passagers ont été interpellés en mer par les autorités françaises, toujours selon la cour. Ils ont été rattachés administrativement à l'un de ces passagers et renvoyés le jour même aux Comores, sans que leur père n'ait pu prendre contact avec eux.
Les deux enfants ont été "placés en rétention administrative en compagnie d'adultes [qui n'étaient pas de leur famille] et renvoyés expéditivement vers les Comores", relève la CEDH dans son arrêt, ce qui a engendré "une situation de stress et d'angoisse" avec "des conséquences particulièrement traumatisantes pour leur psychisme".
L'ensemble des circonstances particulières conduit la Cour à juger que l'éloignement des deux enfants, d'un très jeune âge, qu'aucun adulte ne connaissait ni n'assistait, a été décidé et mis en oeuvre sans leur accorder la garantie d'un examen raisonnable et objectif de leur situation.
Cour européenne des droits de l'hommearrêt du 25 juin 2020
La juridiction avait été saisie par le père des deux enfants qui réside à Mayotte depuis 1994, de manière régulière et avec une carte de séjour temporaire renouvelée. Patrice Spinosi, avocat de la famille auprès de la CEDH, précise que les deux enfants vivent désormais à Mayotte "sous la garde de leur père comme cela aurait dû être le cas depuis le début". La France devra par ailleurs verser 22 500 euros à cet homme pour dommage moral.
L'avocat dénonce "l'anormalité de la situation à Mayotte"
"Nous sommes face à une septuple violation de la Convention, ce qui est totalement exceptionnel et qui montre l'anormalité de la situation à Mayotte, aujourd'hui encore d'actualité", a ajouté Patrice Spinosi. Dans l'archipel de 374 km², 48% des 256 000 habitants sont des étrangers selon l'Insee, dont 95% sont Comoriens. En 2019, plus de 27 000 personnes ont été reconduites à la frontière à Mayotte, dont 99% vers les Comores voisines, selon les autorités préfectorales.
"La condamnation de la France est particulièrement sévère et illustre l'arbitraire des éloignements d'étrangers en outre-mer", a commenté pour sa part le spécialiste du droit européen Nicolas Hervieu, tout en soulignant toutefois qu'"il aura fallu sept ans et de multiples efforts" pour en arriver à ce constat de la CEDH.
La condamnation de la #France est particulièrement sévère & illustre l'arbitraire des éloignements d'étrangers en outre-mer.
— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) June 25, 2020
Il aura fallu sept ans & de multiples efforts pour que le constat soit réalisé par la #CEDH.
Or, à ce jour encore, ces pratiques persistent massivement. pic.twitter.com/E9fFZ56Hiv
Il s'agit de la troisième condamnation de la France par la CEDH depuis début juin, après celle concernant des militants pro-Palestiniens qui avaient appelé au boycott de produits israéliens et une autre pour n'avoir pas pris des mesures suffisantes pour protéger une petite fille morte sous les coups de ses parents.
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