Congo-Brazzaville: pourquoi le portefeuille électronique est incontournable
Cet article décrypte la percée spectaculaire du dispositif de paiement dénommé «Mobile Money» (MoMo) depuis son déploiement par la société de téléphonie mobile MTN Congo jusqu’à son utilisation massive par les consommateurs.
Concrètement, Mobile Money est un portefeuille électronique qui permet à son titulaire via les technologies de la téléphonie mobile de transférer de l’argent ou du crédit d’un compte destinataire à un autre. Il permet aussi, selon les partenariats signés, de payer les factures d’eau, de télévision, d’écolage et d’électricité pour des frais d’environ 2,5 % du montant de la transaction.
L’objectif de cet article est donc de mettre en perspectives empiriques cette large diffusion ainsi que ses impacts et opportunités.
Un rapide historique centré sur le portefeuille électronique
Nous parlons ici d’un dispositif qui permet de régler ses achats de façon dématérialisée c’est-à-dire en utilisant un terminal de paiement (ordinateur, smartphone, dumbphone, tablette…) via les réseaux Internet ou téléphoniques mais sans recourir aux espèces. Nous évoquons ensuite ici les systèmes qui fonctionnent correctement et qui sont encore en activité, oublions par exemple l’échec du portefeuille Monéo qui fut pourtant abondamment annoncé et documenté !
C’est au Kenya en 2007, avec les services de M-PESA que la monnaie électronique – avec la fameuse couleur verte pomme de l’opérateur Safaricom – a commencé à se développer. Ce fut d’abord un succès massif au pays puis la diffusion dans (quasiment) toute l’Afrique fut rapide et globale. Le besoin des consommateurs était évident, la technologie des offreurs était simple (ou perçue comme telle), le succès fut au rendez-vous.
Au Congo Brazzaville, c’est la Société MTN Congo, filiale du groupe sud-africain MTN, qui a lancé en 2012 son propre service de e-paiement qu’elle a nommé Mobile Money. La population congolaise s’est rapidement appropriée cet outil de transfert d’argent, d’achat et de crédit simplement surnommé MoMo. En effet, outre son coût modique et en cohérence avec la première version du fameux modèle TAM proposé par Fred Davis en 1989, cette «nouvelle» technologie fut acceptée/adoptée à la fois au regard de son utilité perçue et de sa facilité d’usage perçue.
A ce jour, le Congo compte plus d’un million et demi d’usagers du service Mobile Money proposé par MTN. Soulignons, de plus, que désormais les services offerts dépassent le simple transfert d’argent (achat de crédit, paiement de facture, paiement des salaires, etc.)
Clairement, MTN Mobile Money a contribuer à révolutionner l’écosystème financier congolais.
Un aperçu du fonctionnement de ce dispositif
Il faut donc être préalablement abonné au service, puis l’idée est donc de procéder à l’échange d’une somme d’argent X d’un compte MTN Mobile Money «A» à un autre compte MTN Mobile Money «B». Nombreux sont aujourd’hui les Congolais qui se sont appropriés les fameux *105# ou *104# !
Outre les transferts d’argent et les paiements des factures, le service Mobile Money propose d’utiliser la téléphonie mobile et le dispositif en trois étapes nommé «Bulksalary» pour payer les salaires des entreprises de taille modeste reparties dans tout le Congo.
Concrètement, après validation par la direction générale de l’entreprise, et à partir d’un ordinateur connecté au service, le comptable ou l’agent payeur de l’entreprise peut donner l’ordre de transférer les salaires de dizaines d’employés… qui vont recevoir quasi immédiatement un message leur signifiant que leur propre compte Mobile Money vient d’être crédité du montant de leur salaire mensuel.
L’entreprise couvre donc en plus des PME et PMI, de nombreux artisans, de très nombreux commerçants et d’innombrables vendeuses/vendeurs opérants sur les marchés ou dans les rues… sortant ainsi de facto du vaste secteur informel.
In fine, ce dispositif est à la fois utile et accessible. Il répond simplement à un besoin et à un vide que le secteur bancaire n’a pas su ou pu combler. Il s’appuie, enfin, sur les technologies de la téléphonie mobile et non pas exclusivement de l’Internet donc, il paraît moins vulnérable face aux coupures d’électricité qui perturbent la fluidité des réseaux Internet.
Les conditions d’ouverture d’un compte en agence ou en point agrée (350 environ) sont relativement simples sous réserve d’un justificatif d’identité. Petit bémol pour nombre de jeunes Congolais, outre les publicités intégrées, l’âge minimal pour l’ouverture du compte reste fixé à 18 ans. Ceci permet néanmoins d’atteindre et de satisfaire la vaste population d’étudiants congolais et de faciliter (enfin !) le paiement de leurs droits d’inscriptions. avec même des projets de Data Center hébergé localement.
De la montée en puissance du dispositif
Du coté de l’offre, à ce jour, Mobile Money a globalement atteint 11 des 17 objectifs pour transformer notre monde décrétés et détaillé par l’ONU. Et l’idée est d’essayer d’atteindre les six restants ! De plus, d’après les informations du site MTN-Congo, Mobile Money totalisait en 2017 plus de 1 400 millions de comptes ouverts avec plus de 1 800 points de traitement agrées à travers l’ensemble du territoire congolais. C’est tout simplement spectaculaire au regard d’un pays qui ne compte «que» 4 millions d’habitants. Il apparaît enfin que le maillage du territoire ne fait que s’accroître et que la couverture territoriale est encore en pleine expansion. La success story devrait donc continuer…
Du côté de la demande, ce dispositif est clairement une véritable aubaine pour les ménages modestes congolais. En particulier pour ceux (nombreux) qui ne sont pas détenteurs de comptes validés auprès des banques et/ou des institutions de microfinances – dont les sélections exigeantes et rigides – ce qui renvoie à la trop fameuse sous-bancarisation notable dans beaucoup des pays du continent.
Enfin, du côté du marché continental, MTN Mobile Money Congo a fait ses premiers pas vers l’international notamment au Cameroun.
Et, pour finir sur une note plus anecdotique, mais emblématique, il est même possible de jouer (avec modération !) à la loterie et de procéder (toujours avec modération) à des paris sportifs via le *104*3# !
A propos des impacts micro et macro économiques
Au Congo comme ailleurs en Afrique, l’impact de ce type de portefeuilles électroniques est significatif. Le dispositif a permis à la population non encore bancarisée 1) d’être intégrée et identifiée et 2) de bénéficier des services financiers de proximités auxquels ils n’avaient pas accès. En effet, les banques et autres institutions de microfinance restent encore peu accessibles pour les populations marginalisées comme les chômeurs, les désœuvrés et la plupart des populations paysannes des zones rurales.
Ce type de dispositif facilitant le paiement et les échanges intègre donc concrètement les communautés marginalisées à l’économie formelle et contribue ainsi à la lutte contre la précarité. Il contribue aussi, plus largement, à intégrer les populations à l’économie numérique, à ses marchés et à ses écosystèmes – en forte croissance au Congo – avec une multitude d’initiatives de type start-up ou scale-up.. La société MT propose même de selctionner et d’accompagner certaines d’entre elles via son programme Y’ello.
De façon plus macroéconomique, au travers de ce type de dispositif et avec l’aide des banques traditionnelles, le Congo peut notamment continuer sa diversification vers l’économie numérique en parallèle des industries pétrolières qui continueront leur progression via les champs de Moho Nord.
Une mise en perspective écosystémique
Le 11 juin dernier, le PDG du groupe sud-africain MTN, Rob Shuter, a déclaré, lors d’une visite de travail en République du Congo, vouloir «soutenir les objectifs du gouvernement dans l’inclusion du numérique». Il a ainsi confirmé, face au premier ministre, Clément Mouanba, au ministre des Postes et Télécommunications, Léon Juste Ibombo, et à Yves Castanou, le directeur général de l’Agence de régulation des Postes et Communications électroniques, l’intérêt de son groupe pour accompagner la transformation numérique du Congo.
Gageons que la rencontre d’une offre proposant ce type de dispositif – simple et utile – et d’une demande issue d’une population informée et exigeante pourra contribuer à installer au Congo un écosystème numérique qui serait créateur de valeur pour tous !
Pascal Kengué Mayamou, Pascal Kengué Mayamou est Assistant en management des organisations et en management des systèmes d'information à l'Institut Supérieur de Gestion de l'Université Marien NGOUABI à Brazzaville en République du Congo depuis 2016, Université Marien Ngouabi et Marc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Université de Nantes
Article publiée à l'origine sur le site The Conversation
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