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Côte d’Ivoire : le débat sur l’éligibilité du président Ouattara refait surface
Alassane Ouattara est-il éligible à la présidence de la République en octobre 2015 ? La cour constitutionnelle ivoirienne a tranché. C’est oui. Mais une partie de l’opposition rejette cette décision. Elle appelle à des manifestations. Retour sur le parcours politique d’un homme au cœur du débat sur «l’ivoirité».
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C’est le dernier Premier ministre du président Félix Houphouët Boigny qu’il a servi de 1990 à 1994. Alassane Ouattara arrive sur la scène politique ivoirienne fin 1989, alors que la Côte d’Ivoire est plongée dans une crise économique sans précédent. Les caisses de l’Etat sont vides et la rue gronde. Le père de la nation ivoirienne fait appel à un gestionnaire.
Alassane Ouattara a fait ses preuves à la tête de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l'Ouest.
Le jeune Premier ministre se met au travail. Son arrivée se traduit par une gestion très rigoureuse des deniers de l’Etat. Il ferme les robinets sans état d’âme, y compris à la présidence de la République.
A l’époque, personne ne met en doute sa nationalité ivoirienne. Elle interviendra plus tard, après la mort de son mentor.
La rivalité entre deux hommes au sommet de l’Etat
«La Côte d’Ivoire est orpheline.» Le 7 décembre 1993, en direct à la télévision ivoirienne, c’est le Premier ministre Alassane Ouattara qui annonce la mort du président Félix Houphouët Boigny aux Ivoiriens. Il avait assuré son intérim durant sa maladie.
Dans la soirée, c’est une autre figure qui apparaît à la télévision, celle du président de l'Assemblée nationale, Henri Konan Bédié, pour annoncer qu’il assure désormais la succession du «vieux». Comme le prévoit la Constitution, il prend les rênes du pays pour achever le mandat de son prédécesseur. La rivalité entre les deux hommes date de cette époque. Elle s’est traduite par la mise à l’écart d’Alassane Ouattara de la scène politique ivoirienne.
La Côte d’Ivoire aux Ivoiriens
Ainsi pourrait se résumer le concept de «l'ivoirité» initié par le président Henri Konan Bédié: on ne peut pas être étranger et prétendre à un poste politique. Alassane Ouattara est de l’ethnie malinké, une grande famille musulmane originaire du nord de la Côte d’Ivoire. Pour ses détracteurs, l’ancien Premier ministre est un Burkinabé. Et tout sera fait pour lui enlever toute velléité de revenir sur la scène politique.
Ivoiriens de souche multiséculaire
La nouvelle loi électorale qui voit le jour en 1995 exclut définitivement l'ancien Premier ministre de la scène politique. Elle précise que pour être candidat à la présidence de la République, il faut être ivoirien de naissance, mais aussi être de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance. Le régime du président Bédié fait la sourde oreille aux mises en garde de ceux qui craignent des risques de dérapages dans un pays qui compte pas moins de soixante ethnies. Le célèbre reggae-man ivoirien Alpha Blondy a été parmi les premiers à rompre le silence : «C’est tellement ridicule. C’est comme si aux Etats-Unis, on parlait aujourd’hui d’américanité. La Côte d’Ivoire, c’est comme les Etats-Unis d’Afrique. Nous sommes un mélange incroyable.»
C’est en évoquant les dispositions du nouveau code électoral que le président de la cour suprême annonce le rejet de la candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle d'octobre 2000: «Son père et sa mère n’étant pas ivoiriens, Alassane Ouattara lui-même ne peut être ivoirien.»
Le retour d’exil et la désillusion
Revenu de son exil parisien à la faveur du coup d’Etat qui a déposé son rival Henri Konan Bédié en décembre 1999, Alassane Ouattara avait comparé l’action menée par l’armée à une «révolution des œillets» à l’ivoirienne. Avant de déchanter. Il avait confié la fin de ses illusions à l’AITV : «Je dois reconnaître que ceux qui disent qu’un mauvais régime civil vaut mieux qu’un bon régime militaire ont raison.» La lune de miel avec les militaires putschistes fut de courte durée.
Très vite, le chef de la junte militaire, le général Robert Guei, a pris la décision de prendre part à l’élection présidentielle de 2000. Et il a repris à son compte le discours de son prédécesseur: «Chez nous, l’étranger est un don de Dieu, mais vous devrez vous souvenir qu’il ne lui est pas permis d’être chef des terres ou de convoiter les plus hautes charges de l’Etat», confie-t-il à la télévision ivoirienne. Alassane Ouattara est parmi ces étrangers, priés de se maintenir à l’écart.
Dans les rues d’Abidjan, le message suscite des réactions parfois hystériques: «Alassane Ouattara, nous n’allons pas l’accepter, il n’est pas d’origine ivoirienne. Il est burkinabé. Et la Côte d’Ivoire l’a refusé. La Constitution le condamne. Il ne gouvernera jamais la Côte d’Ivoire», proclame une femme au milieu d'une foule surexcitée.
La réhabilitation «exceptionnelle»
Il aura fallu une guerre qui a coupé la Côte d’Ivoire en deux et une médiation internationale pour obtenir la réhabilitation de l’ancien Premier ministre ivoirien. Acculé par une rébellion qui s'est emparée d'une grande partie du territoire en septembre 2002, l’ancien président Laurent Gbagbo annonce, le 28 avril 2005, une mesure qualifiée d’exceptionnelle, valable seulement pour l’élection de 2005 : «Monsieur Alassane Ouattara peut, s’il le désire, présenter sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2005.» L’élection n’aura finalement lieu qu’en 2010.
Après des années de rivalités qui ont précipité le pays dans une guerre fratricide, l’ancien Premier ministre d’Houphouët Boigny, Alassane Ouattara, et Henri Konan Bédié, son successeur à la présidence, ont soldé leur contentieux à l’occasion de ce scrutin. A la surprise générale, les deux hommes ont formé une coalition victorieuse contre Laurent Gbagbo.
Une élection controversée qui a consacré l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara et plongé le pays dans une longue crise meurtrière. Aujourd’hui, les détracteurs du président sortant affirment que sa candidature en 2010 tenait à un arrangement politique qui a ses limites dans le temps. Et qu’il n’a plus le droit de se présenter.
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