Centrafrique : un film à la gloire des paramilitaires russes projeté à Bangui
Le film "Granit" est produit par la société Aurum, détenue majoritairement par l'homme d'affaires russe Evguéni Prigojine, réputé proche de Vladimir Poutine et soupçonné de piloter l'opaque groupe paramilitaire Wagner.
Des centaines de Centrafricains se sont retrouvés, samedi 29 janvier, au stade omnisports de Bangui pour la projection d'un film vantant les mérites des interventions de paramilitaires russes en Afrique. Dans ce pays ravagé par la guerre civile depuis 2013, le chef de l'Etat Faustin Archange Touadéra a appelé la Russie à l'aide pour contrer une offensive de groupes armés qui visaient à renverser son régime à la fin de l'année 2020. La très forte influence de la Russie dans cette ancienne colonie française a alors franchi une nouvelle étape. A l'omniprésence de centaines de paramilitaires et à l'emprise de sociétés russes sur l'or et les diamants centrafricains, s'est ajoutée une offensive culturelle pour "gagner les cœurs" des populations locales.
"Gagner les cœurs"
Quelques mois après la diffusion à Bangui de Touriste, qui met en scène la reconquête par les forces armées centrafricaines et leurs alliés russes des territoires aux mains des rebelles, un nouveau film, Granit, tourné aussi dans le pays, raconte l'histoire d'"instructeurs russes" chargés d'aider l'armée du Mozambique face à des insurgés islamistes. Le récit s'inspire de l'intervention de paramilitaires russes du groupe de sécurité privé Wagner en 2019 pour lutter contre une branche du groupe Etat islamique, qui mène des attaques à Cabo Delgado, au nord du Mozambique, région riche en gaz naturel et autres mines. Mais la plupart des Centrafricains présents samedi 29 janvier dans le public, des jeunes principalement, ont compris que l'action du film se passait dans leur pays.
"Les sauveurs du pays"
"Ça me fait pitié de voir comment les rebelles égorgent des innocents avec des couteaux. Tout ce qui se passe à l'intérieur du pays me fait mal", confie à l'AFP Junior Lenguendja, lycéen, lorsqu'il voit une scène où des maisons brûlent et où des villageois sont tués par les insurgés. "J'aurais aimé que nos forces soient aussi fortes que les Russes pour défendre la patrie", regrette de son côté Patrick Kodawë, étudiant en 2e année de sociologie à l'université de Bangui. Le film Granit est produit par la société Aurum, détenue majoritairement par l'homme d'affaires russe Evguéni Prigojine, réputé proche de Vladimir Poutine et soupçonné de piloter l'opaque groupe paramilitaire Wagner. Les acteurs s'expriment en français, en sango (l'une des langues nationales centrafricaines) et en arabe. Comme pour le film Touriste, il glorifie l'action des Russes en Afrique.
"Ce film présente les exploits des Russes sur divers fronts. Ils sauvent les populations en détresse et viennent au secours de nos forces qui tombent dans des embuscades. Ils se positionnent comme les sauveurs de notre pays."
Titus Konga, habitant de Banguià l'AFP
"Les ennemis de la Centrafrique présentent les Russes comme le diable, mais nous apprécions beaucoup ce que nos partenaires font pour libérer le pays sous le joug des rebelles", renchérit l'un de ses amis sous couvert d'anonymat.
"Instructeurs non armés"
Les forces gouvernementales ont réussi depuis un an à reprendre aux rebelles les agglomérations et une bonne partie des deux tiers du pays qu'ils contrôlaient depuis plusieurs années, essentiellement grâce aux paramilitaires russes. Les attaques des rebelles restent néanmoins fréquentes. La Russie ne reconnaît officiellement la présence que de 1 135 "instructeurs non armés", mais les ONG opérant sur le terrain, la France et l'ONU affirment qu'une partie d'entre eux sont des hommes de Wagner, ce que dément Moscou. A la mi-2021, le groupe d'experts de l'ONU chargé de la Centrafrique et du contrôle de l'embargo sur les armes imposé à ce pays avait dénoncé des exactions commises contre des civils lors d'opérations des forces de sécurité centrafricaines et de paramilitaires russes du groupe Wagner.
Le gouvernement centrafricain avait lui-même reconnu en octobre la réalité de certaines accusations formulées par l'ONU, notamment sur des crimes et actes de torture, commis "majoritairement" par des rebelles, mais aussi des soldats centrafricains et leurs alliés russes.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.