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Cinéma : du Fespaco à Cannes, les Africaines tiennent le haut de l’affiche

A l'instar d'autres initiatives dans le monde, le mouvement "Nous sommes Yennenga" s’est fait le porte-voix des femmes dans l’industrie du cinéma africain lors du dernier Fespaco. Alors que pour la première fois, une femme originaire du continent est en lice pour la Palme d’or, la démarche initiée à Ouagadougou trouve comme un écho.  

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le mur des cinéastes africaines (campagne "Nous sommes Yennenga") (INA THIAM)

Avec Atlantique, la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop devient la première Africaine à être en compétition pour la Palme d’or. Hasard des sélections, le plus grand rendez-vous du cinéma mondial semble ainsi répondre à une préoccupation majeure qui a traversé la 26e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco) qui célébrait son cinquantenaire en mars 2019.

Un Etalon d’or de Yennenga (enfin) décerné à une femme  

Le Fespaco a commencé à briser le plafond de verre en remettant un Etalon d’or de Yennenga à la réalisatrice Chloé Aïcha Boro pour son documentaire, Le Loup de Balolé. Cette première est pourtant passée inaperçue. "Dans les émissions qui ont suivi le Fespaco, constate la cinéaste, ce qui se disait de façon rhétorique, c’est que même à son cinquantième anniversaire, le Festival avait encore raté l’occasion de donner un Etalon d’or à une femme. Les gens qui présentent les choses de cette façon considèrent que pour qu’une femme puisse être créditée d’un Etalon d’or, il faudrait qu’elle l’obtienne pour une fiction. Ce qui est une aberration totale parce qu’il n’y pas de sous-genre. Le documentaire vaut autant que la fiction."  

D’autant que pour cette 26e édition, le Fespaco a redonné toutes ses lettres de noblesse au documentaire, le résultat d’un long combat. "C’est historique ! Pour la première fois dans l’histoire du Fespaco, d’une part, on considère que le documentaire peut avoir un Etalon d’or (jusqu’ici le le film documentaire était récompensé par un prix portant une autre dénomination, NDLR) et, d’autre part, c’est une femme qui ouvre le bal. Je trouve cela formidable et ce n’est pas parce que c’est à moi qu’il a été décerné. Il était temps !"

"Nous sommes Yennenga" 

Cet Etalon pourraît apparaître comme la réponse à la démarche engagée par l'artiste sénégalaise Fatou Kandé Senghor au démarrage du plus grand rendez-vous du cinéma africain. Donner aux femmes la place qui est la leur dans l’industrie cinématographique, notamment les cinéastes, est devenu son leitmotiv. Cette édition 2019 du Fespaco a été l’occasion d’inaugurer "un mouvement que tout le monde peut s’approprier à tout moment" : "Nous sommes Yennenga" (We are Yennenga). La campagne, soutenue par le bureau régional de Dakar de l’Organisation des Nations unies pour la science et la culture (Unesco) est une initiative à laquelle s’est associée la Première dame du Burkina Faso, Sika Kaboré, qui a réuni plus d'une centaine de femmes travaillant dans le secteur du cinéma.

"A un moment donné, souligne Fatou Kandé Senghor, les chiffres deviennent criants. Ils nous disent que sur notre continent, en 25 éditions du Fespaco, aucune femme n’est repartie avec le prix suprême." A savoir, l’Etalon d’or de Yennenga décerné à un long métrage de fiction. La princesse rebelle burkinabè qui donne son nom à la récompense n'avait alors pas frappé. "On parle des 50 ans du cinéma en Afrique et aucune femme n’est mentionnée ni honorée", ajoute Guiomar Alonso Cano, responsable de la culture au bureau régional de l’Unesco à Dakar. A l’exception d'Alimata Salembéré, présidente du premier comité d'organisation du Fespaco. Elle est d’ailleurs l’unique femme à avoir occupé cette position. 

L’absence de reconnaissance est "une problématique globale dans laquelle les réalisatrices africaines se retrouvent". A l’instar du Fespaco, les femmes récompensées à Berlin, à Venise, à Cannes ou aux Oscars se comptent sur les doigts d'une main. Mais l’inégalité est davantage marquée sur le continent africain.

"De toute façon, rien ne nous sera offert"

"Les femmes doivent donc continuer le combat", estime Chloé Aïcha Boro."Nous avons des places à conquérir, en plus d’avoir à proposer des films beaux, forts et puissants. De toute façon, rien ne nous sera offert. Cette place, il faut la gagner, l’arracher pratiquement. C’est ce qui se fait actuellement. Les choses avancent, et elles avancent positivement. Pas assez évidemment quand on voit le mouvement #MeToo qui a toute sa place dans le cinéma mondial et dans le cinéma africain. Le jour où les femmes occuperont autant la place que les hommes. Il ne sera plus question de 'coucher' pour avoir des rôles. Il me semble que c’est plus une question de pouvoir que de sexe."

"Ce qui a fait du bruit au Fespaco, ajoute Claire Diao, spécialiste du cinéma africain et membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs, au-delà du débat sur les femmes, ça a été tout ce qui s’est passé autour du hashtag #MêmePasPeur (version ‘africaine’ de #MeToo, NDLR) et des violences faites aux femmes dans le milieu du cinéma."

Lors d’une rencontre organisée par le Collectif des cinéastes non-alignées, initié notamment par la cinéaste franco-camerounaise Pascale Obolo, la comédienne française Nadège Beausson-Diagne confiera avoir été harcelée sur des plateaux de tournage sur le continent. Sa consœur burkinabè Azata Soro évoquera, plus tard, son agression, dont elle porte encore les stigmates sur son visage lacéré par le cinéaste Tahirou Ouedraogo. Pour Fatou Kandé Senghor, plus encore que le harcèlement, c’est d'"intimidation" qu’il s’agit plus largement. Un travail de sape "destructeur" parce "qu’il y a beaucoup de gens qui pensent qu’une femme n’a rien à faire sur un plateau de cinéma".

De l’argent pour les films des réalisatrices

Permettre aux femmes d’exister dans le cinéma et de surmonter ces nombreux écueils passe par le financement de leurs projets. Fatou Kandé Senghor souhaite que les Etats africains procèdent ainsi à une "discrimination positive" en allouant par exemple "30%" de leurs fonds à des femmes. "Durant le Fespaco, je ne voulais parler que d’argent", admet la cinéaste sénégalaise. Car "les propositions artistiques que sont capables de faire les femmes aujourd’hui valent tout autant que celles des hommes. Les femmes participent désormais à la mise en place d’un nouveau cinéma qui projette sur les écrans les histoires africaines que nous voulons raconter. Ce nouveau cinéma gagne en qualité artistique et technique", affirme Chloé Aïcha Boro.

Et cela s’est vu tout au long de ce cinquantenaire du Fespaco. "J’ai lu un article, confie Fatou Kandé Senghor, qui disait : 'Elles ne l’ont pas eu.' Il aurait dû plutôt dire que les femmes étaient partout, qu’elles sont montées au créneau et qu’elles ont tout raflé". De nombreuses réalisatrices ont été primées comme l’Algérienne Yasmine Chouikh (Jusqu’à la fin des temps), la Burkinabè Apolline Traoré (Desrances) ou encore la Sénégalaise Angèle Diabang (Un Air de Kora). "Nous sommes encore sous-représentées mais les contenus sont là", insiste Fatou Kandé Senghor.

Trio de femmes pour défendre le cinéma africain sur la Croisette

La sélection de Mati Diop (Sénégal), en compétition, et celles, dans la section Un Certain Regard,  de Mounia Meddour (Papicha, Algérie) et de Maryam Touzani (Adam, Maroc) en est une preuve. Pour la première fois de l'histoire du Festival de Cannes, c’est un trio exclusivement féminin qui porte ainsi les couleurs du continent dans les principales sections de la sélection officielle.

Du Fespaco à Cannes, les femmes veillent à rester à l’ordre du jour. Pour Claire Diao, critique de cinéma, cette continuité s’explique. "Il ne faut pas perdre de vue qu’une charte a été signée entre les plus grands festivals de ce monde et le Collectif 50/50 qui vise à l’égalité entre femmes et hommes dans l’industrie cinématographique, que ce soit dans les jurys, les comités de sélections ou les sélections." 

Claire Diao salue également la présence de la Franco-Burkinabè Maïmouna N’Diaye dans le jury présidé par le réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu. "On ne peut que se réjouir que l’Afrique émerge au Festival de Cannes et de la présence d’une actrice et réalisatrice dans le jury. Enfin, une personne qui travaille dans le cinéma et qui sait de quoi elle parle représente le continent ! Encore une fois, on ne peut que se réjouir de cette dynamique-là. Les femmes sont là." Et le mouvement n’a pas fini d’essaimer, assure Fatou Kandé Senghor.

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