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Nigeria: l'Etat veut faire la chasse à la délocalisation dans l'audiovisuel
Les films, vidéoclips et programmes destinés au marché nigérian mais qui sont produits à l'étranger sont désormais dans le collimateur du ministère de la Culture. Les cadres réglementaires existant devraient être revus pour empêcher cette délocalisation créative. Les artistes, notamment les musiciens, sont montés au créneau pour dénoncer la démarche.
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L'annonce faite le 15 juillet 2017 par le ministre de l'Information et de la Culture, Lai Mohammed, a provoqué de vives réactions au sein de la communauté artistique nigérianne dont la production domine le marché culturel en Afrique subsaharienne.
Les membres de cette dernière, les musiciens au premier chef, n'ont pas mâché leurs mots après qu'il a annoncé que l'Etat nigérian envisageait de faire en sorte que la production de films et de clips video censés être nigérians soient effectivement produits au Nigeria.
Consommer nigérian
«Le gouvernement a convenu que tout ce que nous consommons au Nigeria en termes de musique et de films doit être dorénavant produit au Nigeria», a déclaré le responsable nigérian lors d'une visite au siège de la société des droits d'auteurs du Nigeria, la Copyright Society of Nigeria (Coson), rapporte Premium Times.
«Je n'ai pas dit que toutes les vidéos musicales et les films seront produits au Nigeria ou que la production hors du Nigeria sera interdite, a-t-il affirmé plus tard face à la levée de boucliers provoquée par son annonce. Tout ce que j'ai dit, c'est que si un programme est présenté comme un programme (local), nous allons modifier le code pour nous assurer qu'il est produit au Nigeria.»
Selon Lai Mohammed, le cadre réglementaire établi par la National Broadcasting Commission (NBC) est tel, par exemple, qu'il permettrait que «des films réalisés par des Nigérians avec des acteurs et des actrices nigérianes soient tournés en Afrique du Sud (une destination prisée par les artistes nigérians, NDLR), puis ramenés pour être diffusés au Nigeria». «Nous allons modifier le code de façon à ce qu'aucune faille ne puisse être exploitée pour permettre de tourner en dehors du Nigeria un film, un videoclip ou des programmes qui sont censés être consommés au Nigeria.»
D'après la News Agency of Nigeria (NAN), son ministère aurait reçu beaucoup d'appels de Nigérians qui se plaignaient du fait que la dernière saison de l'émission de télé-réalité Big Brother Naija (Big Brother Nigeria) soit entièrement produite en Afrique du Sud. Une enquête a été ouverte à la suite de ces plaintes et elle serait à l'origine de la mesure annoncée par Lai Mohammed.
La culture, «une alternative» à l'or noir
Pour le ministre de la Culture, l'objectif de créer «un million d'emplois d'ici trois ans» dans le secteur culturel ne peut être atteint si les artistes nigérians continuent de délocaliser.
La réforme envisagée par les autorités nigérianes est primordiale. Celles-ci ont décidées de faire de l'industrie culturelle «une alternative au pétrole», a déclaré le ministre Lai Mohammed.
La musique et le cinéma nigérians dominent depuis des décennies l'industrie culturelle en Afrique subsaharienne. Nollywood, qui pèse 600 millions de dollars américains, est la plus grosse industrie cinématographique du continent, la deuxième en volume à l'international.
La mélodie de la contestation
Cependant, les arguments du ministre n'ont pas convaincu les professionnels. Au contraire. «Il est absurde d'interdire aux artistes de tourner des clips vidéo ou des films à l'étranger. Votre argument étant que nous allons enrichir (les) économies (des pays qui accueillent ces tournages)», a fait valoir le célèbre rappeur nigérian Ruggedman, en charge de la communication de l'association de référence des professionnels de la musique (Performing musicians employers association, PMAN), dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Culture.
«Si vous voulez que les artistes arrêtent d'aller à l'étranger pour tourner des clips vidéo et des films, alors les responsables de l'Etat doivent également arrêter d'aller à l'étranger pour les hôpitaux, les vacances et les écoles.»
Dans sa tribune, Ruggedman a invité le ministre Lai Mohammed à plutôt engager le dialogue avec les professionnels du secteur culturel et à mettre en œuvre les propositions déjà faites pour soutenir cette industrie.
Peter Okoye, l'un des membres du célèbre duo nigérian P-Square, a réagi dans le même sens en pointant sur Instagram les contradictions d'un Etat nigérian qui n'avait fait que «décevoir (les Nigérians) depuis 1960 (l'indépendance, NDLR)».
Par ailleurs, souligne le rappeur Ruggedman, les artistes vont ailleurs pour jouir de technologies qui ne sont pas disponibles au Nigeria.
«Les équipements dont nous manquons sont quelques-unes des raisons pour lesquelles les artistes sortent du pays pour tourner des vidéos et des clips musicaux, souligne Ruggedman. Même en Amérique où le gouvernement met à disposition de ses citoyens les services adéquats, on continue de filmer dans dans d'autres pays.»
De son côté, selon plusieurs médias nigérians, la chanteuse Yemi Alade a noté sur Instagram que même tournées à l'étranger, les productions incriminées faisaient appel à des réalisateurs nigérians.
La réforme envisagée, selon le ministre de la Culture, devrait également bénéficier au football nigérian. Ainsi une entreprise qui investit «un million de dollars américains» dans la promotion d'une équipe ou d'une ligue étrangère devrait verser «pas moins 30%» de la somme dépensée pour obtenir la diffusion de l'évènement sportif au Nigeria.
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