Présence Africaine, éditeur de la pensée noire, célèbre ses 70 ans
La maison d'édition a fêté ses 70 ans d'existence le week-end du 25 octobre 2019. Retour sur un monument de la culture africaine qui a vu le jour à Paris.
Présence Africaine est une institution africaine née sur les bords de Seine. Sise au 25 rue des Ecoles, dans le Ve arrondissement de Paris, la maison d'édition a publié des auteurs qui ont contribué à formaliser la pensée noire. A l'origine, une revue née à l'initiative de l'intellectuel sénégalais Alioune Diop.
Présence Africaine, un diptyque
Présence Africaine est à la fois une revue, lancée en 1947, et une maison d'édition qui verra le jour deux ans plus tard. "Cette revue ne se place sous l'obédience d'aucune idéologie philosophique ou politique. Elle veut s'ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (blancs, jaunes ou noirs), susceptibles de nous aider à définir l'originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne", écrit Alioune Diop dans Niam N’Goura ou les raisons d'être de Présence Africaine dans le premier numéro de la revue parue en 1947. Dans son texte, l'homme de lettres explique que la revue est composée de trois parties mais "la seconde, la plus importante à (ses) yeux sera constituée de textes d'Africains (romans, nouvelles, poèmes, pièces de théâtre, etc.)"
Alioune Diop, une vie consacrée à "la promotion de la culture nègre"
Alioune Diop voit le jour le 10 janvier 1910 à Saint-Louis (Sénégal). Il entame ses études de lettres en Algérie et les poursuit à la Sorbonne en 1937, l’année de son arrivée en France. Il commence à enseigner en 1943. Professeur de lettres, il est aussi sénateur et directeur de cabinet du gouverneur général de l'Afrique occidentale française.
L’année 1947 est un tournant. Dans un texte (lien payant) que son "fils" Diallo Diop lui consacre lors du centenaire de sa naissance en 2010, il souligne que celui qu'il considère comme un père spirituel a renoncé à "tout mandat politique électif" faisant "le serment solennel de 'tout abandonner pour ne plus (se) consacrer qu’à la promotion de la culture, la culture nègre.'" La revue Présence Africaine voit ainsi le jour "avec l’aide d’une petite équipe d’amis et d’alliés" dont certains, prestigieux, figurent dans le sommaire du premier numéro de la revue.
A Alioune Diop, on doit également, en 1956, l'organisation du premier Congrès des écrivains et artistes noirs qui aboutira à création de la Société africaine de la culture. Cette dernière a été depuis baptisée Communauté africaine de la culture. Le 2e Congrès, qui se tient en 1959 à Rome, donne lieu au premier Festival mondial des Arts nègres qu'accueillera Dakar en 1966.
Son compatriote Cheikh Anta Diop saluera, rappelle Diallo Diop, le combattant "mort sur le champ de la bataille culturelle africaine (…), une vie entièrement consacrée aux autres, rien pour soi, tout pour autrui, un cœur rempli de bonté et de générosité, une âme pétrie de noblesse, un esprit toujours serein, la simplicité personnifiée".
Creuset de la pensée noire
"S’il est sans doute superfétatoire de rappeler ici la production monumentale des Editions Présence Africaine (1949), qui ont publié tous les auteurs majeurs africains, de souche ou d’ascendance, contemporains de cette époque cruciale pour l’Afrique et sa diaspora, il convient par contre de souligner le courage, l'audace même qu'il aura fallu à Alioune Diop pour oser publier, dans le contexte de l’époque, les travaux de Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah ou Frantz Fanon, entre autres", soulignait Diallo Diop en 2010.
Présence Africaine a ainsi édité la majorité des œuvres qui sont considérées comme des classiques de la littérature africaine et de sa diaspora. De La Philosophie bantoue de Placide Tempels, premier ouvrage édité en 1949, au "projet littéraire" Le Jeune Noir à l’épée, d’Abd Al Malik, né d'une "collaboration avec le musée d’Orsay et Flammarion" en 2019, Présence Africaine s'est toujours fait l'écho des réflexions du monde noir.
Et non pas des moindres. Parmi les grands textes édités par Présence Africaine, on compte Discours sur le colonialisme, qui n'est autre qu'une critique du colonialisme, ou Cahier d'un retour au pays natal d'Aimée Césaire – un auteur "qui nous est resté fidèle jusqu'à sa mort", notait la veuve d'Alioune Diop en 2011. On trouve aussi dans son catalogue Nations nègres et culture (1954) de l'égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop dont les thèses continuent d'être réfutées ou encore Soundjata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane.
"En 1986, les éditions Présence Africaine coéditent avec Edicef et l'Unesco l’édition abrégée de l’Histoire générale de l’Afrique, ouvrage colossal en 8 tomes. Le premier tome dédié à la méthodologie et à la préhistoire est dirigé par Joseph Ki-Zerbo", peut-on lire sur le site de l'éditeur. Les versions françaises de The Interpreters, The Trials of Brother Jero, Opera Wonyosi de Wole Soyinka, prix Nobel de littérature en 1986, ont été également publiés chez Présence Africaine.
A cela s'ajoute, entre autres, "l'ouvrage du cinéaste Sembène Ousmane, Ibrahima Kaké, David Diop, Eric Williams de Trinidad-et-Tobago (...). Nous avons un fonds très intéressant et très important", précisait Yandé Christiane Diop dans une vidéo publiée par Paul Thea.
Yandé Christiane Diop, gardienne du temple
Alioune Diop disparaît le 2 mai 1980 à Paris. Yandé Christiane Diop, sa veuve, décide de reprendre le flambeau. "Après la disparition d'Alioune Diop, j'ai dû affronter le dur métier de la responsabilité d'une maison d'édition créée par un homme amoureux, le mot est très faible, de l'Afrique. Et il a eu la chance d'être entouré par des gens remarquables : Aimé Césaire (le père de la Négritude, NDLR), entre autres, David Diop, Joseph Ki-Zerbo, Ibrahima (Baba) Kaké bien après (...)", confiait-elle en 2011. "J'ai toujours été animée par la certitude que je devais continuer. Ce n'était pas facile et c'est toujours pas facile", poursuivait-elle en soulignant la nécessité de soutenir la maison qui fait l'objet de toutes les convoitises.
Mme Christiane Yandé Diop, veuve de feu Alioune Diop a été élevée au grade de Commandeur dans l'ordre national du Lion par le Président @Macky_Sall. Le Chef de l'Etat a offert a Mme Diop et à @PAEditions une œuvre des Manufactures des Arts Décoratifs de Thies, « Afrique ». pic.twitter.com/PgeibcQ5hC
— Présidence Sénégal (@PR_Senegal) October 25, 2019
Le 25 octobre 2019, la veuve d'Alioune Diop a été "élevée au grade de Commandeur dans l'ordre national (sénégalais) du Lion" par le président sénégalais Macky Sall venu célébrer au siège de l'Organisation internationale de la Francophonie les 70 printemps de la maison d'édition. En 2009, elle était faite chevalier de la Légion d'Honneur par le président français Nicolas Sarkozy.
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