Cet article date de plus de cinq ans.

Roger daSilva, l'homme dont l'objectif était sensible à "la joie de vivre"

Une dizaine d'œuvres du photographe Roger daSilva, qui a notamment fixé sur la pellicule le Sénégal post-indépendance, sont exposées à la foire AKAA à Paris. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'un des clichés de Roger daSilva, à découvrir à AKAA qui se tient à Paris du 8 au 11 novembre 2019. (ROGER DASILVA/THE JOSEF AND ANNI ALBERS FOUNDATION)

L'édition 2019 de la foire AKAA (Also Known As Africa) dédiée à l'art contemporain africain, qui se tient du 8 au 11 novembre au Carreau du Temple à Paris, est l'occasion de découvrir un photographe né au Bénin, mais Sénégalais d'adoption : Roger daSilva disparu en 2008. La Josef and Anni Albers Foundation y expose un aperçu de son travail.  

L'un des clichés de Roger daSilva, à découvrir à AKAA qui se tient à Paris du 8 au 11 novembre 2019. (ROGER DASILVA/THE JOSEF AND ANNI ALBERS FOUNDATION)

La filiation pourrait ne pas paraître évidente, mais elle s'avère naturelle entre les Albers et Roger daSilva. Les artistes qui donnent leur nom à la fondation sont nés en Allemagne. Un pays qu'ils ont quitté en 1933 pour les Etats-Unis dont ils ont acquis la nationalité. "J'ai beaucoup de chance parce que je les ai bien connus (...) Ce qui était le plus important pour eux, c’était la célébration de la vie à travers l’art", explique leur compatriote Nicholas Fox Weber, le directeur de la fondation Albers. 

Du travail de Roger daSilva, l'Américain retient "la joie de vivre et l’optimisme", mais aussi un grand respect pour l’art sénégalais et international. "Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a d'universel dans l’art." Il a découvert Roger daSilva, né au Bénin en 1925 alors territoire de l'Afrique occidentale française, lors d'un séjour au Sénégal. Un pays que Nicholas Fox Weber a appris à connaître grâce à son dermatologue parisien. Dans le hall de son hôtel à Dakar, la capitale sénégalaise, le responsable de la fondation Albers est attiré par une conversation qui date d'il y a environ trois ans. "Il y a avait deux hommes qui étaient en train de regarder des photographies, se souvient-il. Je n’ai pas pu résister et je me suis rapproché d’eux. Je leur ai dit : 'Je ne veux pas vous déranger, mais j’ai une grande envie de voir ce que vous regardez'. Ils ont commencé à me montrer des clichés que je trouvais exceptionnels. On y voyait Louis Armstrong, des gens que je connaissais… Les photos faisaient également écho aux événements à Dakar dans les années 60." L’un des deux hommes rencontrés par Nicholas Fox Weber n’est autre que Luc daSilva, le fils de Roger daSilva et fondateur de l’association Xaritufoto avec qui la Josef and Anni Albers Foundation va plus tard collaborer pour donner une seconde vie aux clichés de l'artiste.

Roger daSilva, autoportrait (ROGER DASILVA/THE JOSEF AND ANNI ALBERS FOUNDATION)

Roger daSilva est l’auteur de quelque 75 000 photos. Environ 10 000 images constituent aujourd’hui le fonds d’archives de l’artiste, dont la fondation américaine a restauré une centaine de clichés et a acquis les droits. "Nous les avons choisis dans l’objectif de les montrer au monde". Ainsi, à AKAA, une dizaine de clichés sera présentée et le bénéfice des ventes sera versé à Le Korsa, l’association caritative créée par la fondation américaine et qui opère au Sénégal.

Un cliché du photographe Roger daSilva (ROGER DASILVA/THE JOSEF AND ANNI ALBERS FOUNDATION)

 "On regarde une photo de daSilva et on peut sentir la joie"

Roger daSilva a aussi bien immortalisé des personnalités, à l'instar de l'ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor, que des anonymes dans son studio baptisé Gueule tapée, une réminiscence certainement de l’époque où il photographiait les blessés de guerre et les captifs qui recouvraient la liberté. 

Alors qu'il poursuit ses études à Saint-Louis du Sénégal, le jeune homme est enrôlé en 1942 et participe à la campagne d'Alsace, Rhin et Danube. "Blessé, il se retrouve à l’hôpital de Béziers où le colonel chirurgien le prend comme assistant laboratoire et l’initie à la photographie. Ses premières prises de photos sont pour les blessés et grands brûlés, puis est il chargé de photographier le retour des captifs des camps", peut-on lire sur le site Xaritufoto. A la fin de la guerre, il a 22 ans. Il devient comédien et danseur dans la compagnie sénégalaise Dakar Claquettes. Roger daSilva fixe également sur la pellicule le quotidien d'un peuple qui accède l'indépendance. En 1970, l'artiste formé à l'Institut national de l'audiovisuel en France sera à l'origine de la création des "départements audiovisuel et photos, imprimerie et archives" du bureau régional Afrique de l'Organisation mondiale de la Santé dont le siège est à Brazzaville, au Congo. 

Madame Gomez and children (ROGER DASILVA/THE JOSEF AND ANNI ALBERS FOUNDATION)

Moins connu que les Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé qui ont réalisé des clichés de la même époque, Roger daSilva tranche par sa singularité, selon Nicholas Fox Weber. "Les gens qui ont beaucoup écrit sur la photographie (…) et les historiens de la photographie ont tenté d’expliquer pourquoi certaines œuvres paraissent plus émouvantes que d’autres. J’ai moi-même eu l’opportunité très rare de m’entretenir avec Cartier-Bresson à la fin de sa vie. C’était quelqu’un de très chaleureux. C’est difficile à expliquer, mais chez daSliva, il y a quelque chose qui m'a été confirmé par son fils. L’idée que j’avais de sa personnalité à travers son œuvre correspondait à ce qu’il était. A savoir un homme qui était ouvert aux autres. Du point de vue artistique, Roger daSilva appréhende parfaitement l’esthétique de la photographie : l’angle, la composition, les couleurs, le noir et blanc…. Mais en plus, on peut toujours ressentir qu’il regarde avec beaucoup de cœur".

Nicholas Fox Weber, le directeur de la Josef and Anni Albers Foundation, en 2017 (JESSE CHEHAK)

Son passé de militaire, qui a souvent côtoyé la mort, y est peut-être pour beaucoup. "Je pense souvent à Georges Braque qui avait été grièvement blessé pendant la Première guerre mondiale. Durant toute son existence, il s’est évertué à célébrer la vie. Il n’était pas du tout amer. L’artiste faisait partie de tous ces gens qui ont appris à apprécier la vie et à la regarder avec compassion. Il y a des gens qui sont capables d’entrer en empathie avec tout et n’importe quoi. On regarde une photo de daSilva et on peut sentir la joie." Et à travers les clichés de Roger daSilva, c'est celle d'un Sénégal flamboyant qui transparaît. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.