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«The last Animals», un film de Kate Brooks sur la guerre des mafias de l’ivoire

Malgré l’interdiction du commerce de l’ivoire décidée par les Nations Unies, 30.000 éléphants sont tués chaque année par les braconniers. Selon Interpol, 1300 rhinocéros ont été abattus en Afrique en 2015. «The last Animals», le documentaire de l’américaine Kate Brooks est le récit d’une enquête internationale qui nous emmène sur tous les terrains de ce trafic et de ses nombreuses complicités.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Image du film «The last Animals». Les derniers rhinocéros blancs sont protégés par les rangers kenyans, une espèce en voie d'extinction. (Image tiré du film de Kate Brooks «The last Animals»)


Il ne reste à ce jour que trois ou quatre rhinocéros blancs (du Nord) dans le monde, une espèce en voie d’extinction. Nos petits-enfants n’en verront plus, alerte Kate Brooks dans son documentaire The last Animals présenté en avant première à Bayeux, à l’occasion de la remise des prix des correspondants de guerre.

«On estime à 100.000 le nombre d’éléphants tués durant les quatre ans nécessaires à la réalisation de ce film. Et il en reste moins de 400.000 dans le monde», affirmait Ryan Young Blood, directeur de la photographie et chef opérateur du film lors de sa présentation à Bayeux.

La photo-reporter Kate Brooks a abandonné les terrains afghans ou irakiens pour s’intéresser à une autre guerre, celle que les réseaux criminels internationaux mènent contre la faune sauvage.
The last animals est le récit d’une enquête qui nous emmène sur les différents terrains du trafic d’ivoire (et de corne de rhinocéros). Un trafic mondial de quelque 200 millions de dollars où les armes de guerre les plus sophistiquées sont utilisées: hélicoptères, téléphonse satellitaires et armes à vision nocturne.

De la vulgaire corne au prix de l'or
Le film commence sur un marché de Hong Kong, où la poudre de rhinocéros se vend 750 dollars les 100 grammes. Cette corne qui n’est rien d’autre que de l’ongle n’a aucune vertu thérapeutique ou aphrodisiaque, mais elle se vend au prix de l’or. De même, un kilo d’ivoire peut dépasser les 2000 dollars. La Chine et le Vietnam représentent 90% de la demande mondiale d’ivoire.

Troupeau d'éléphants dans la région du lac Tchad. Images tirées du film de Kate Brooks «The last Animals». (film documentaire «The last Animals» de Kate Brooks)


De l’Afrique de l’Est à Hong-Kong, Kate Brooks nous révèle l’existence d’une véritable guerre qui oppose défenseurs de la grande faune menacée de disparition, aux mafias du trafic animal. Une guerre avec des dizaines de morts, du côté des braconniers comme des gardes forestiers des parcs de Tanzanie ou de RDC.

L’argent achète les complicités nécessaires dans les administrations, corrompt policiers, douaniers et hommes politiques. Les trafiquants acheminent la marchandise jusqu’aux grands ports de l’océan Indien, Dar es Salam en Tanzanie ou Mombassa au Kenya, plaques tournantes de ce trafic. Les responsables des gangs asiatiques installés en Afrique cachent ces activités illicites au sein d’entreprises d’import-export parfaitement légales.

Ce sont souvent les mêmes mafias qui trafiquent la drogue, les armes ou l’ivoire. Parfois, ce sont les militaires ougandais ou sud-soudanais, qui font des excursions héliportées chez leurs voisins pour ramener cornes ou défenses et arrondir ainsi leurs fins de mois.

Réseaux criminels internationaux
Cette guerre menée au règne animal, qui pèse des centaines de millions de dollars, alimente les groupes terroristes de l’Afrique de l’Est, des shebabs somaliens à Boko Haram... Il se peut même que leur idéologie djihadiste ne soit pour certains qu' un habillage politique de leurs multiples trafics. Cela expliquerait que malgré «leur pauvreté», ils soient si bien dotés en armes. Les shebabs sont en effet bien placés pour sortir l’ivoire des ports de l’océan Indien en direction des marchés asiatiques.

Les trafiquants s'approvisionnent dans les réserves d'Afrique centrale et orientale – essentiellement dans la réserve animalière de Selous, dans le sud-est tanzanien, dans les forêts tropicales du bassin du Congo. Des localisations rendues possibles par des analyses ADN (aujourd’hui systématisées) réalisées sur les cargaisons d’ivoires saisies.

Les procès sont rares, quelques petits poissons (braconniers et chauffeurs recrutés localement) se font prendre, mais les barons du trafic ne se salissent jamais vraiment les mains. Ils ont à l’évidence les moyens de corrompre les juges et d’acheter les témoins.

Il arrive toutefois, comme on peut le voir dans le film, que certains finissent par tomber aux mains de la justice. C'est le cas de l’homme d’affaires Feisal Mohamed Ali, trafiquant d’ivoire et sans doute de drogue, arrêté à Mombassa alors qu’il tentait de corrompre la police du port pour faire passer dans un chargement 228 défenses d’éléphants et de 74 pièces d’ivoire d’un poids de plus de deux tonnes.

Des défenses d'éléphants confisquées aux braconniers. Parc national de la Garamba en République Démocratique du Congo. (Photo AFP/Tony Karumba)


Barons du trafic peu inquiétés
Malgré l'appui des meilleurs avocats, il est un des rares à avoir écopé d’une peine de 20 ans de prison. Le combat est encore loin d’être gagné, le Sud-Africain Wayne Lotter, qui a consacré sa vie à la lutte contre le braconnage des animaux sauvages en Afrique, a été abattu le 16 août 2017 à Dar el Salam. Son taxi qui le ramenait à l’aéroport a été stoppé par un véhicule, un homme l’a abattu de deux balles à bout portant.

Le film The last Animals n’a pas encore de diffuseurs en France.

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