Nigeria : l'engorgement du port de Lagos, gangrené par la corruption, se répercute sur tous les autres ports de la région
La crise économique et sociale depuis le début de la pandémie n'a fait qu'aggraver les problèmes structurels des installations portuaires sur fond de corruption généralisée.
"Chaos total", "désastre"... Les importateurs étaient certes habitués à opérer dans des conditions difficiles dans le port de Lagos, mais depuis quelques mois, "c'est pire que tout", "du jamais vu". Les nouvelles règles sanitaires, couplées à une corruption généralisée et à la crise sociale n’ont fait qu’aggraver une situation déjà catastrophique.
80 jours d'attente pour un déchargement
"Certains de mes bateaux peuvent attendre jusqu'à 80 jours avant de pouvoir rentrer dans le port", explique le chef des opérations d'une compagnie de transport maritime interrogé par l’AFP.
Le port de Lagos est composé de trois terminaux, dont Apapa, spécialisé dans les conteneurs, sans doute le plus engorgé. Lagos, gigantesque capitale économique de 20 millions d'habitants, est quasiment le seul point d'entrée et de sortie de tous les biens qui transitent au Nigeria, pays de 200 millions d'habitants.
Un flux de marchandises en constante augmentation mais dont les déchargements sont ralentis tant par les lourdeurs de la manutention que par les multiples fouilles : une vingtaine de barrages de la police, des douanes, d'agences diverses ou de brigades spéciales, que doivent passer les camions de marchandises pour entrer et sortir du port, et presque autant, à chaque fois, de pots-de-vin à verser.
La multiplication des contrôles alourdit considérablement les délais de traitement et finalement le coût de passage portuaire en Afrique. Exaspérés, les affréteurs se dirigent vers le port de Cotonou au Bénin voisin, lui aussi en voie de saturation. De plus, les eaux au large du Nigeria n’étant pas sécurisées, les bateaux doivent se mettre à l’abri dans les autres ports du golfe de Guinée.
"La situation de Lagos engendre de la congestion dans tous les ports de la région, d'Abidjan (en Côte d'Ivoire) jusqu'à Pointe-Noire (au Congo-Brazzaville)"
Le chef des opérations d'une compagnie de transport maritimeà l'AFP
Le port de Pointe-Noire (République du Congo) s’est récemment équipé d’un quai de 15 mètres de profondeur pour accueillir des navires de plus gros tonnage. De nouveaux terminaux à conteneurs doivent également voir le jour dans les ports de Tema (Ghana) et d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Les ports ouest-africains souffrent d'une forte désorganisation et d'une trop lente manutention, en moyenne l'aller-retour d’un conteneur y était de 160 jours contre 101 en Asie ces dernières années.
Digitalisation ratée
En février 2021, Nigeria Port Authority (NPA), son gestionnaire public, a mis en place une plateforme digitale obligatoire sur laquelle doivent s'enregistrer les camions entrant dans le port. Comme partout ailleurs dans le monde, ce système permet de réguler le trafic. Mais deux semaines après sa mise en place, les transporteurs étaient unanimes : c'est "un désastre". Les documents pour s'inscrire sur l'application s'échangent déjà contre des pots-de-vin, et cela cause encore plus de retards dans les déchargements.
3 000 euros pour un camion
"Avant, nous pouvions faire sortir un camion pour 400 000 nairas (876 euros)", explique l'un des centaines d'agents de logistique, qui permettent de naviguer dans les méandres infernaux des terminaux, et au sein de leur administration véreuse. "Maintenant, c'est dans les 1,3 million (2 800 euros)... En décembre, on est monté jusqu'à 1,7 million !" (3 700 euros), s'exclame-t-il, du jamais vu. Tous ces coûts sont répercutés sur le prix des produits aux consommateurs, dans un contexte d'étranglement économique post-confinement, d'explosion du chômage et d'une inflation à deux chiffres.
Avec environ 2 000 camions qui entrent et sortent chaque jour du port, l'argent de la corruption atteint des sommets vertigineux. "Le problème, c'est que trop de personnes tirent profit de ce chaos absolu, lâche un transporteur désabusé. Ils n'ont aucun intérêt à ce que les choses aillent mieux."
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