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1967, guerre des Six-Jours: le jour où Nasser démissionna

Israël gagne en six jours la guerre de 1967 contre trois Etats arabes qui bordent ses frontières. Déclenchée le 5 juin par un bombardement des aéroports égyptiens, elle se termine le 10 juin sur les hauteurs du Golan syrien. Outre le triomphe israélien, cette guerre est marquée par la démission de Nasser. Une démission surprise, vite reprise, mais qui marque l'Egypte et le monde arabe.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Gamal Abdel Nasser, en mai 1967, évoque le golfe d'Aqaba que l'Egypte veut fermer à Israël. (AFP)

«Nasser a joué et perdu», le mot est d’Henri Laurens, spécialiste du Proche-Orient, professeur au Collège de France. Pour lui, Nasser a mal jugé la situation internationale quand il a provoqué les Israéliens avec sa politique dans le Sinaï, en 1967. Il faut dire que le contexte proche-oriental de l'époque était complexe pour l'Egypte.

En effet, l’Egypte était profondément engagée dans une guerre au Yémen qui marquait l’affrontement entre le monde arabe progressiste (symbolisé par l’Egypte) et le monde arabe conservateur (l’Arabie Saoudite, soutenue par les Américains). C'est dans cet environnement politique difficile pour l'Egypte (enlisée au Yémen) que Nasser tente de se relancer en menant une politique agressive contre l'ennemi de 1948 et de 1956, Israël.

Nasser hausse le ton contre Israël
En 1967, le conflit israélo arabe connaît de nombreux terrains d’opposition: les tensions autour des eaux du Jourdain, la montée en puissance de la résistance palestinienne et les suites du conflit de 1956 dans le Sinaï qui imposent la présence de casques bleus sur cette terre égyptienne.

Toujours difficile de remonter aux origines directes du conflit. L’installation d’Israël dans ses frontières de 1948 n’a jamais vraiment été acceptée par ses voisins. Les tensions sont récurrentes et les incidents nombreux. La guerre de 1956 est passée par là qui a vu Israël prendre une première fois le Sinaï alors qu’Anglais et Français faisaient la guerre à Nasser pour le canal de Suez.

Les derniers incidents montrent que la tension est forte. Un grave acrochage oppose Israël et la Syrie en avril 1967. La Syrie accuse Israël de pomper l’eau du Jourdain et détourne une partie des eaux tandis qu’un incident militaire oppose les deux pays en raisons de raids palestiniens. Le 7 avril, six avions syriens sont abattus. 

Mirage III israéliens pendant la guerre des Six-Jours. Après le bombardement des aéroports, l'aviation israélienne avait une totale maîtrise du ciel. (Leemage)

Israël lance l'attaque le 5 juin à l'aube
Le 17 mai, Nasser exige le retrait des troupes de l'ONU du Sinaï et, quelques jours plus tard, décide de bloquer l'accès du détroit de Tiran aux navires israéliens. Ayant signé, un an auparavant, une alliance militaire avec la Syrie qui les engageait réciproquement dans le cas d'une guerre impliquant l'un des deux pays, l'Egypte signe également un traité de défense mutuelle le 30 mai avec les Jordaniens.

Sans opposition américaine, les dirigeants israéliens décident de lancer le 5 juin une attaque «préventive». A 7h45, l'aviation israélienne survole la Méditerranée à basse altitude, afin d'éviter les radars. Israël détruit des centaines d'avions égyptiens, 50 avions syriens et 20 jordaniens, encore tous au sol. La guerre est quasi gagnée avant d'avoir commencé.


Nasser annonce sa démission...
Dans les jours qui suivent, sur le terrain, les Etats arabes subissent défaites sur défaites. Alors que la propagande abreuve le public égyptien d’annonces de victoires, les faits sont là et la déroute terrible. Les Egyptiens perdent quelque 10.000 hommes et les Israéliens arrivent au canal de Suez.

Le 9 juin, soit quatre jours après le début des combats, Nasser prend le monde arabe et la population égyptienne par surprise en annonçant sa démission. Le choc est terrible tant l'image et la popularité du leader est énorme. Au Caire, la population descend dans la rue pour réclamer le retour de l'homme qui a nationalisé le canal de Suez, rendu sa fierté au peuple égyptien, réussi une certaine politique sociale, plaidé l'unité du monde arabe...et le raïs reprend sa démission quelques heures plus tard. 

C'est dans un discours télévisé que Nasser annonce son retrait. «Fébriles, abattus par une humiliation sans précédent au sortir d'une guerre qu'on appellera plus tard la guerre des Six-Jours, les Egyptiens trépignent devant leur poste de radio ou de télévision. Celui qu'ils attendent tous, ils l'ont suivi, adulé et porté jusqu'au bout. Jusqu'au bout du fiasco. Le monde arabe tout entier est branché sur Le Caire et attend le discours du raïs annoncé tous azimuts. A 18h50 précises, ce vendredi 9 juin 1967, c'est un président défait mais courageux qui se présente à son peuple. Le discours est précédé de chants patriotiques traditionnels. Le suspense est à son comble», relate un article du journal libanais L'Orient le Jour sur ce jour historique.

Dans son discours, Nasser déclare: «J'ai décidé de me retirer totalement de toute position officielle et de tout rôle politique et de redevenir un citoyen ordinaire.»

Pour preuve de l'importance de l'événement, le quotidien libanais apporte le témoignage du journaliste libanais Ghassan Tuéni, responsable du journal An Nahar: «Dans les locaux du Nahar, à la fin du discours, les journalistes sont traumatisés et ne prononcent mot. Parti se réfugier dans son bureau pour méditer le thème de son éditorial, au titre tout trouvé, L'heure de la sincérité, Ghassan Tuéni entend alors la rue beyrouthine scander: "Nasser, Nasser", ainsi que des bruits de casse. En Egypte, des milliers d'hommes et de femmes se rendent, les larmes aux yeux, devant la résidence du chef de l'Etat. "Nasser, nous ne voulons que toi", crient-ils à corps perdu, et refusent de se disperser tant que le raïs n'a pas retiré sa démission.»


...et la reprend 
La «rue arabe» comme disait les journalistes de l'époque emporte la décision et le 10 juin Nasser reprend sa démission. De quoi soulever la question sur la sincérité de Nasser lors de cette annonce. Jean Lacouture qui a bien connu Nasser y voit une sorte de sincérité: «Je crois que Nasser a été profondément abattu par sa défaite de 1967 qui a éteint sa croyance en son étoile. Sa sincérité, au moment du retrait, est réelle, me semble-t-il.» Mais il ajoute: «Lorsqu'il choisit de présenter sa démission, il laisse aux autres le soin de jouer pour lui» (extrait de Un siècle pour rien, Albin Michel).

Les «autres» ont donc décidé que Nasser resterait au pouvoir. Mais selon plusieurs témoignages, son rapport au peuple ne sera plus jamais le même. En 1970, il quitte définitivement la scène emporté par la maladie. Et de nouveau la foule égyptienne descend dans la rue par millions faisant de ses obsèques une gigantesque manifestation. Mais cette fois sans retour. 

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