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CANNES 2016. «Clash»: chronique d'une Egypte dans l'impasse

«Clash» est le film coup de poing qui a ouvert la section Un Certain Regard de la 69e édition du Festival de Cannes, le 12 mai 2016. Le film de l'Egyptien Mohamed Diab revient sur les affrontements systématiques entre adversaires et partisans des Frères musulmans qui ont marqué l'actualité politique égyptienne, notamment à la suite de la destitution du président Morsi en 2013.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Photo du film «Clash» de Mohamed Diab. (DR)

Deux ans après sa révolution, l'Egypte vit une année noire en 2013. Le 30 juin, des milliers d'Egyptiens manifestent pour réclamer la démission du président islamiste Mohamed Morsi, issu des rangs des Frères musulmans. C'est l'un des plus importants mouvements de protestation que le pays ait jamais connu. Le premier chef d'Etat égyptien, premier civil démocratiquement élu, est renversé par Abdel Fattah al-Sissi, alors général, le 3 juillet.

L'armée égyptienne vient de reprendre la main, mais l'Egypte va se transformer en un vaste terrain d'affrontements entre les partisans des deux camps, marquée dans les semaines suivantes par une répression sanglante des Frères musulmans qui envahissent la rue pour dénoncer un coup d'Etat.

«Les meurtres systématiques et généralisés d’au moins 1150 manifestants par les forces de sécurité égyptiennes en juillet et août 2013 constituent probablement des crimes contre l'humanité», indique Human Rights Watch dans un rapport publié en août 2014. «Lors de la seule dispersion du sit-in de la place Rabaa al-Adawiya le 14 août, les forces de sécurité ont agi selon un plan prévoyant plusieurs milliers de morts, et tué au moins 817 personnes, et probablement plus d’un millier.»

Une nation d'ennemis
C'est dans ce contexte d'émeutes généralisées que se situe le Clash (Eshtebak) du réalisateur égyptien Mohamed Diab, film d'ouverture de la section Un Certain Regard de l'édition 2016 du Festival de Cannes. Le long métrage démarre sur une succession de méprises. D'abord celle qui vaut à des journalistes de l'agence américaine Associated Press d'être interpellés par l'armée et d'être enfermés dans un fourgon. Puis celle qui conduit des manifestants pro-armée à être pris pour des sympatisants des Frères musulmans.

Et quand le fourgon militaire s'approche d'une manifestation en faveur du mouvement islamiste, le clash et le chaos deviennent prévisibles. Les précédents locataires du véhicule n'ont qu'une envie: faire la peau aux nouveaux arrivants. Cependant, les premiers ennemis, quels que soient les camps, restent les journalistes qui sont assimilés à des «espions» ou soupçonnés de faire la propagande des Frères.  


Mohamed Diab donne corps à l'impasse politique dans laquelle se trouvait les Egyptiens en 2013 et qui prévaut depuis la révolution place Tahrir, évoquée par l'un des protagonistes de Clash comme «le bon temps». Car celui de tous les espoirs. Pour le réalisateur égyptien, Clash est «la meilleure histoire pour parler de l'Egypte de 2013 et de celle d'aujourd'hui. Les forces en présence et en conflit (sont) les mêmes : les révolutionnaires, les Frères musulmans et l'armée. Ironiquement, le seul sujet que l'on a pu trouver sur la révolution, c'est son échec.»

Dans le fourgon que le cinéaste filme, les tensions sont vives et les vieux réflexes partisans ont la vie dure. Seuls les réflexes de survie d'un collectif offrent, de temps à autre, l'occasion de voir un visage unifié de l'Egypte. Un téléphone mobile peut se partager surtout s'il sert à prévenir un oncle militaire qui pourra intervenir. Les performances vocales d'un Frère musulman, aspirant acteur, dérident pendant quelques secondes les visages et font oublier pourquoi les Egyptiens sont si fâchés les uns contre les autres.



Effet miroir
Qu'ils soient soldats, partisans de l'armée ou sympatisants des Frères musulmans, musulmans ou coptes, les Egyptiens se retrouvent dans leur humanité commune: quand un père pro-armée, qui n'arrive pas à imaginer son enfant partisan des Frères musulmans, crie le nom de ce dernier alors qu'il le recherche dans un fourgon voisin, c'est tous ses compagnons d'infortune qui crient avec lui. Mais ses retours forcés à leur condition humaine suffiront-ils à sortir les Egyptiens de leurs antagonismes latents?

Dans ce huis clos qu'est Clash, le réalisateur égyptien, qui a signé Les Femmes du bus 678 (2010) et qui aime décidément raconter l'Egypte dans des véhicules roulants, donne à voir les contradictions dans lesquelles les citoyens s'enfoncent au quotidien à cause de leurs convictions sociales, religieuses et politiques. «Etre à Cannes donne de meilleures chances au film d'être vu en Egypte», confiait le cinéaste Mohamed Diab lors de la cérémonie d'ouverture de la section Un Certain Regard.

Pour l'Egypte de Youssef Chahine, le cinéma et la culture ont toujours eu des vertus salvatrices. Encore faut-il que les artistes soient libres de s'exprimer. Ils semblent désormais être la cible du maréchal-président Sissi. Les membres du groupe Awlad el-Shawarea (Enfants des rues), qui publient sur la Toile des vidéos satiriques sur le pouvoir égyptien, ont été arrêtés dans la soirée du 9 mai 2016. Quatre d'entre eux sont poursuivis, entre autres, pour «incitation» au terrorisme.

L'équipe du film de Mohamed Diab (au premier plan, à droite), «Clash», à la cérémonie d'ouverture de la section Un Certain Regard du Festival de Cannes, le jeudi 12 mai 2016. (FG/Géopolis)

> «Clash» de Mohamed Diab 
Avec Nelly Karim, Hani Adel, Tarek Abdel Aziz plus
Sortie française: 14 septembre 

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