Egypte : les islamistes entre le marteau et l’enclume
Depuis le renversement de Mohamed Morsi sur fond de contestation populaire suivie d’un coup d’Etat militaire, il ne fait pas bon s’opposer au nouveau président Sissi, élu en 2013 avec un score soviétique. C’est faire partie d’un «complot sioniste» contre l’Egypte au même titre que Daech, l’Iran, le Qatar, Israël ou les Etats-Unis.
Les rassemblements sont criminalisées et les ONG entravées. Les Frères musulmans sont assimilés à Daech et considérés comme une organisation terroriste depuis Décembre 2013.
Le régime a ainsi réussi à limiter la taille des manifestations, les confinant dans les fiefs traditionnels des Frères. S’ils continuent à tenir des villages et des quartiers entiers loin des centres-villes, ils ont très peu d’écho du fait du black-out médiatique imposé par le régime. Au Caire, on ne manifeste plus Place Tahrir.
Les Frères musulmans en fâcheuse posture
Première visée par une répression qui a fait 2000 morts en un an et demi, la Confrérie a perdu le statut d’opposition «tolérée» qu’elle avait sous Moubarak, qui s’en servait occasionnellement comme soupape. La répression était alors bien moins violente, et s’inscrivait dans une logique de la carotte et du bâton. Les arrangements avec l’Etat étaient monnaie courante et la popularité au sommet.
Tout a changé depuis l’élection du Frère musulman Mohamed Morsi : le premier président issu d’une élection libre en Egypte avait vite entrepris une carrière de dictateur. Projetant d’intervenir en Syrie, excluant les autres partis de la politique, Morsi avait semblé prouver que les Frères musulmans n’avaient jamais perdu de vue leurs objectifs panislamistes.
«Il y a une véritable occasion manquée en juillet 2013, analyse Stéphane Lacroix, chercheur au CERI spécialiste de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite. Les Frères musulmans n’ont pas effectué l’aggiornamento qui les aurait mis sur la voie de l’AKP, ils se sont ressoudés contre la répression».
Depuis son renversement, les Frères ont choisi d’appeler à des manifestations pacifiques pour sa libération, avec l’objectif de négocier une sortie de crise. Une stratégie dangereuse : elle laisse l’initiative à Sissi, qui ne semble pas disposé à négocier. Le pouvoir a coupé les contacts informels qu’il pouvait entretenir avec la Confrérie au printemps 2014.
Le pari perdu des salafistes
Deuxième vainqueur des élections de 2011, les salafistes du Parti de la Lumière (Hizb al-Nour) avaient soutenu le coup d’Etat militaire contre les Frères musulmans. Contrairement aux Frères musulmans, ils n’ont pas le pouvoir politique comme objectif. Leur combat concerne plutôt la mainmise sur les mosquées, les plaçant de fait en concurrence avec les Frères.
Davantage lobby que parti politique, le Parti de la Lumière avait misé en Egypte sur un scénario à la Omar el-Béchir (Soudan) ou Zia ul-Haq (Pakistan), où la dictature militaire cooptait des islamistes pour le contrôle social. C’était sans compter sur l’existence d’un islam «officiel» préféré par le gouvernement, celui des imams formés à l’université al-Azhar, qui disputent désormais les mosquées aux salafistes. Une couleuvre de plus à avaler pour les salafistes après l’adoption de la nouvelle Constitution.
Déjà confrontés à la scission du Parti de la Patrie début 2013 (qui a ensuite rejoint le camp pro-Morsi), le Parti de la Lumière se désole de voir ses militants manifester pour Morsi. Un autre signe du fossé qui s’est creusé entre dirigeants et base.
Leadership discrédité et base radicalisée
La plupart des dirigeants des Frères sont soit en prison, soit en exil au Qatar ou en Turquie. Leurs appels répétés à manifester reviennent à jeter les militants face à la répression sauvage. Les leaders apparaissent coupés des réalités du terrain qu’affrontent la base, donc d’autant plus affaiblis dans la perspective d’une négociation.
La base militante des islamistes est donc déçue par la tiédeur de ses chefs face à la violence gouvernementale. D’où les nombreuses scissions et défections que connaissent salafistes et Frères musulmans. Or, il existe désormais une voie pour ces militants, celle de l’action armée.
Et celle-ci a le vent en poupe dans la région. Le Sinaï est désormais disputé par le gouvernement aux insurgés et aux Bédouins. Les djihadistes d’Ansar beit el-maqdis («Partisans du Temple») ont commencé à se tailler une popularité en 2011 en attaquant le gazoduc desservant Israël. Le groupe a récemment fait allégeance à Daech et s’appelle désormais «Etat islamique-Gouvernorat du Sinaï». En Libye, la ville de Derna sur la frontière égypto-libyenne a elle aussi rejoint Daech, sous le nom «Etat islamique-Gouvernorat de Cyrénaïque». Ce qui permet à Sissi de présenter l’Egypte comme encerclée par l’insurrection islamiste.
L’Egypte semble sur une voie où la répression de la contestation laisse l’extrémisme armé comme seule voie d’opposition possible. Si le gouvernement de Sissi ne parvient pas à couper l’herbe sous le pied au djihadisme et à redresser l’économie du pays, Derna et le Sinaï sont bien partis pour devenir de nouveaux abcès de fixation du djihad.
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