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Nutrition: pourquoi les Africains «doivent être attentifs» à la hausse du CO2

Les émissions de CO2 influent aussi sur la qualité des aliments que nous ingérons. Les carences en zinc, fer et protéines des habitants du continent africain devraient aller en s'accroissant à l'horizon 2050, de pair avec la hausse de la concentration de gaz carbonique dans l'air. Notamment au nord, au sud et à l'est du continent. Explications du chercheur américain Matthew Smith.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Matthew Smith, co-auteur de l'étude «Impact des émissions anthropiques de CO2 sur la nutritition (Impact of anthropogenic CO2 emissions on global human nutrition)». (MS)

Une étude de l’université américaine Harvard, publiée fin août 2018 sur le site Nature Climate Change, indique que les émissions de CO2 réduisent la qualité nutritionnelle des aliments que nous consommons. «Au cours des 30 à 80 prochaines années, les concentrations atmosphériques de CO2 devraient dépasser 550 ppm. Cette augmentation devrait réduire de 3 à 17% la teneur en fer, en protéines et en zinc de nombreuses cultures de base», précise un communiqué, alors que «le régime alimentaire mondial compte 63% de protéines, 81% de fer et 68% de zinc issus du monde végétal.» Résultat: 175 millions de personnes souffriront d'une carence en zinc et 122 millions d'une carence en protéines d'ici 2050. A l'Instar de l'Inde, le pays qui risque d'être le plus touché par ces maux du fait de son importante consommation de riz, trois autres doivent s'inquiéter tout autant du phénomène: l'Algérie, la Guinée et Djibouti.

Le continent africain compte parmi les régions du monde qui sont les plus vulnérables à la hausse des émissions de gaz carbonique. Mais les effets sont plus ou moins notables selon la situation géographique. Pourquoi?  
Cela tient évidemment aux aliments consommés dans chacune de ces régions. Certains perdent plus ou moins de nutriments quand la concentration en gaz carbonique est trop importante. C’est le cas du blé, du riz ou encore du maïs.

Résultat: là où ces cultures sont largement consommées – le blé en Afrique du Nord, le maïs en Afrique de l’Est et en Afrique australe –, l’impact alimentaire est plus important. Contrairement à l’Afrique de l’Ouest ou l’Afrique centrale où l’alimentation est plus variée. On y mange plus de tubercules – des patates douces, du manioc ou encore de l’igname –, et des céréales comme le sorgho ou le millet. Aucune de ces cultures n’est affectée par «l’effet CO2» que nous évoquons.

Quand on observe la carte des pays les plus vulnérables, on constate que trois pays africains – l’Algérie, la Guinée et Djibouti – sont en rouge, à l'instar de l’Inde qui est le plus affecté par le risque que vous décrivez. Comment cela s’explique-t-il?
Chacun de ces pays est fortement tributaire des aliments qui perdent en nutriments quand la concentration de CO2 augmente dans l'air, en l'occurrence le blé et le riz. Par exemple, les Guinéens tirent 45% de leur apport en zinc du riz. Les Djiboutiens récupèrent, eux, 48% de leurs protéines de cette même culture. Les Algériens tirent leurs nutriments d’un mélange de blé et d’orge: environ la moitié de leur zinc et de leur fer en provient. 

A titre de comparaison, les Français tirent 24% de leur zinc et de leurs protéines de l'ensemble des cultures qu'ils consomment. Dans les pays les plus riches d'Europe et d'Amérique du Nord, les céréales jouent un rôle moins important dans l'alimentation et, par conséquent, les effets sur les populations de ces pays sont réduits.

Risques de carences en fer, zinc et protéines dans le monde liées à l'augmentation des émissions de CO2 («Impact des émissions anthropiques de CO2 sur la nutrition (Impact of anthropogenic CO2 emissions on global human nutrition)»)

Comment explique-t-on que des cultures comme le maïs soient aussi sensibles à la concentration de CO2 dans l’air? 
Nous n’avons pas de réponse à cette question, d'autant que la recherche produit des conclusions contradictoires. Nous savons néanmoins que les plantes croissent plus rapidement quand la concentration de CO2 est forte, ce qui induit chez elles une teneur moindre en nutriments. Autre certitude: le gaz carbonique influe sur les céréales dont la photosynthèse s’opère d’une certaine manière. 

Ce n’est pas la première étude qui établit un lien entre alimentation et pollution atmosphérique. En quoi votre travail est-il inédit et que doit-on en retenir?
Outre une méthodologie inédite – nous avons collecté des données sur 225.000 aliments et leur apport nutritionnel –, c’est la première fois que l’incidence géographique du phénomène est analysée. Nous avons réussi à déterminer les régions du monde qui seraient les plus affectées par une émission croissante de CO2.

Si nous continuons à émettre toujours plus de CO2, nous serons confrontés à des carences en zinc, en fer ou en protéines qui ne sont malheureusement pas aussi faciles à détecter que d’autres maladies liées à la pollution ou au réchauffement. C’est pourquoi les pays qui sont potentiellement les plus vulnérables, les pays africains entre autres, doivent être attentifs à cette incidence du gaz carbonique dans notre alimentation.

En Afrique subsaharienne, 34 millions de personnes pourront potentiellement souffrir d'une déficience en zinc (175 millions à l'échelle de la planète) et 16 millions en protéines (122 millions de personnes dans le monde) d'ici 2050.

Quelles sont les conséquences d’une déficience en zinc, en protéines ou en fer? Dans de nombreux pays africains, l'anémie est déjà un problème de santé publique...
La déficience en zinc affecte le système immunitaire et l’une des conséquences quand on manque de fer, c’est l’anémie ou la réduction des capacités cognitives. Cela peut être à l'origine de complications pendant l’accouchement, aussi bien pour les futures mamans que les bébés. La déficience en protéines génère, quant à elle, des problèmes de croissance.

Les déficiences existantes vont effectivement s’aggraver. Mais elles vont également toucher de plus en plus de personnes. Près de 1,4 milliard d'enfants de moins de 5 ans et de femmes en âge de procréer vivant dans des régions à haut risque d'anémie verraient ainsi leur état s'aggraver. En Afrique subsaharienne, ce sont environ 100 millions de femmes en âge de procréer et enfants de moins de 4 ans qui vivent dans des pays qui présentent un risque élevé.  

Aujourd’hui, la planète n’a pas encore pris les mesures adéquates pour réduire ses émissions de gaz carbonique. Pensez-vous que des solutions existent pour juguler le risque alimentaire qui en découle? 
Je n'en doute pas même si j’admets que nous sommes sur une trajectoire qui indique une tendance à l'accroissement de nos émissions de CO2. Réduire ces dernières apparaît comme la solution la plus efficace pour faire face à la situation.

Cependant, nous pouvons obtenir des résultats probants autrement. L’une des solutions est d’opter pour des cultures qui soient moins sensibles à l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphère. C’est le cas du riz: certaines variétés sont plus affectées que d’autres. C’est une piste même si elle n'est pas applicable à toute la production agricole. Par ailleurs, nous savons qu’il y a d’autres moyens d’accroître l'apport de nutriments dans son alimentation.

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