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Disco, bling-bling et répression : qui est Ali Bongo, le président réélu au Gabon ?

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Ali Bongo Ondimba lors de son dernier meeting de campagne au stade Nzang-Ayong de Libreville (Gabon), le 26 août 2016. (STEVE JORDAN / AFP)

La réelection contestée du président gabonais, mercredi, a déclenché une série de violentes émeutes dans ce pays d'Afrique équatoriale peuplé de 1,7 million d'habitants. A 57 ans, Ali Bongo est l'héritier d'une dynastie au pouvoir depuis 1967.

Il y a eu François Hollande, mais il y a aussi Ali Bongo. Réélu mercredi 31 août dans une ambiance délétère, le président sortant du Gabon n'a cessé de répéter durant la campagne présidentielle : "Le changement, c'est moi". A 57 ans, le fils et successeur d'Omar Bongo, président du pays pendant quarante-et-un ans, cultive le paradoxe d'un leader moderne, malgré un bilan décrié et de nombreuses accusations de répression.

Une identité mystérieuse

Au contraire de son père, le cacique Omar Bongo, pilier du système de la "Françafrique", on sait peu de choses sur Ali Omar Bongo Ondimba. A la fois très médiatique et méconnu, Ali Bongo est né officiellement le 9 février 1959 à Brazzaville (République du Congo), alors capitale de l'Afrique équatoriale française. "Mon père s'appelle Omar Bongo Ondimba et ma mère Patience Dabany", a-t-il insisté durant la campagne présidentielle. Une version que réfute l'opposition, qui accuse Ali Bongo d'avoir falsifié son identité pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle en 2009.

Le président du Gabon Omar Bongo (à droite) et son épouse Patience Dabany, accompagnés de leur fils Ali Bongo (au centre), lors du sommet de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Libreville, au Gabon, le 7 juillet 1977. (FRILET/SIPA)

Car Ali, né sous le nom d'Alain, fait l'objet depuis l'automne 2014 d'une lancinante polémique sur son identité. Dans son ouvrage Nouvelles affaires africaines (éditions Fayard, 2014), le journaliste français Pierre Péan affirme que le président gabonais s'est présenté en 2009 à la présidentielle grâce à un faux certificat de naissance. Or, l'article 10 de la Constitution stipule que tout candidat à la présidence de la République doit être "gabonais de naissance".

Ce n'est qu'un sans-papiers vivant au Gabon, un SPF 'sans-papiers fixe'

Chantal Myboto, ancienne compagne d'Omar Bongo

Marianne

Très vite, l'opposition s'est emparée de cette thèse en affirmant que le président est en réalité "un Biafrais", un enfant nigérian adopté par le couple Bongo pendant la guerre du Biafra, à la fin des années 1960. L'acte de naissance, archivé au service central d'état civil du ministère français des Affaires étrangères à Nantes, confirme pourtant la version officielle. Mais Pierre Péan affirme que Patience Dabany ne pouvait avoir d'enfants, détaille Marianne (article payant).

D'après ses recherches, Patience Dabany, devenue Joséphine Bongo, "enchaînait les consultations auprès de grands gynécologues français" à la fin des années 1970 pour se soigner, et aurait accumulé les mensonges. 

Premiers pas dans la musique

Ali Bongo en concert, à Libreville au Gabon, le 7 juillet 1977. (FRILET/SIPA)

L'enfance d'Alain Bongo –l'un des 53 rejetons officiels d'Omar Bongo– est en tout cas bien celle d'un "Baby Zeus", comme son entourage le surnommait du vivant de son père, note Jeune Afrique. Elevé au cœur du pouvoir, le jeune Alain Bongo se partage entre le Gabon et l'Europe. Lors d'interviews, il narre volontiers son enfance à Alès, dans le Gard, où il aurait passé une partie de sa scolarité en compagnie d'autres notables gabonais, note Mondafrique

Il étudie ensuite au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) avant d'entamer des études de droit à l'université de la Sorbonne, à Paris. En 1973, il se convertit avec sa famille à l'islam et prend le nom d'Ali Ben Bongo. A l'époque, la musique le passionne plus que la politique et il tente une carrière en tant que chanteur disco. Avec le soutien de l'Américain Charles Bobbit, ex-manager de James Brown, il sort en 1977 un premier et unique album, A Brand New Man. Il garde de cette période un goût prononcé pour le jazz, la bossa nova, le classique et dit-on, la fête.

Tel père, tel fils ?

En 1989, alors que son "Papa Bongo" est au pouvoir depuis plus de vingt ans, "M. Fils", âgé de 30 ans, se voit offrir le portefeuille de ministère des Affaires étrangères. Il devient le chef de file des jeunes loups du Parti démocratique gabonais (PDG), le parti unique du pays. Sous les conseils de son père, il affronte les rétifs du PDG et se positionne pour le multipartisme.

Ali s'est battu pour l'ouverture démocratique. Son père nous chargeait de dire à la vieille garde du parti ce qu'il ne pouvait dire lui-même.

André Mba Obame, ancien ministre gabonais

Le Monde

Très vite, il gravit les échelons, raconte Le Figaro. A la suite d'un vote du parti, repoussant l'âge légal pour être ministre à 35 ans, Ali Bongo est expulsé du pouvoir, en 1991. Elu député, il patiente pendant quelques années –intégrant notamment le cabinet de son père– avant de devenir ministre de la Défense en 1999, un poste qu'il conservera jusqu'à son élection à la fonction suprême en 2009.

Ali Bongo, alors ministre de la Défense, durant une visite à l'île de Mbanié (Gabon), le 13 mars 2003. (WILFRIED MBINAH / AFPI/L'UNION)

Au cœur du pouvoir, "ABO" maîtrise tous les rouages du système. Ses avantages, la distribution des postes, les pots-de-vin, l'argent du pétrole ; mais aussi ses tares, des inégalités criantes, la corruption et le népotisme, décrit Jeune Afrique. Le jeune ministre reste discret et s'exprime peu. 

C'est en 2009, année de la mort d'Omar Bongo, qu'il se métamorphose. Elu président avec 42% des voix, lors d'un scrutin contesté (déjà) par l'opposition, il s'entache à rompre avec le système mis en place par son père et lance le Plan stratégique du Gabon émergent (PSGE), pour diversifier l'économie. Il éclipse les anciens proches de son père, en commençant par Jean Ping, son ex-beau-frère et principal opposant lors de la campagne présidentielle de 2016, et gère son pays "comme un chef d'entreprise", décrit Le Figaro.

Rolls-Royce, Mercedes et compte offshore

Malgré cette rupture, l'opposition dénonce dès son élection en 2009 "une dérive autoritaire", et "une personnalisation du pouvoir". Pendant que la baisse des cours du pétrole plonge le pays dans plusieurs mois de tensions sociales et de grèves, il mène avec sa famille un train de vie dispendieux.

Selon Mediapart, en plus du patrimoine immobilier et de ses comptes bancaires, dont un compte offshore à Monaco (dotés de 34 millions d'euros), de dizaines de voitures luxueuses, le système Bongo est un vrai pillage d'Etat. Les Bongo possèdent une holding financière, Delta Synergie, à travers laquelle ils investissent dans plus de quarante entreprises du pays, banques, industries, mines, pétrole, transports, services... Mis en cause dans l'affaire "des biens mal acquis", la famille est accusée d'avoir acheté des biens immobiliers luxueux à Paris, en détournant des fonds publics.

 

Distribution de tablettes, congélateurs et tronçonneuses

Capture écran du compte Facebook de Barack Nyare Mba, sur les cadeaux distribués par Ali Bongo durant la campagne présidentielle, le 25 août 2016. (BARACK NYARE MBA)

Malgré ces affaires, le président table sur son bilan pour briguer un nouveau mandat. Démarche décontractée, jeans, chemise et casquette, il s'efforce durant sa campagne de donner une image moderne. Il fait tout pour ringardiser ses dix autres concurrents, anciens cadres septuagénaires du régime de son père, "des hommes du passé et du passif", selon ses mots.

Afin de séduire ses électeurs, il n'hésite pas à distribuer de nombreux cadeaux de valeur estampillés "Ali Bongo Ondimba 2016" : smartphones, tablettes, mais aussi plus étonnant, congélateurs et tronçonneuses, révèle France 24. Une opération qui passe mal, dans un pays miné par la chute des cours du pétrole.

"Ali doit partir"

Ali Bongo dans un bureau de vote de Libreville, le jour de l'élection présidentielle au Gabon, le 27 août 2016. (MARCO LONGARI / AFP)

Sa réélection avec moins de 6 000 voix d'écart sur Jean Ping, mercredi, n'a pas arrangé les choses. Des milliers d'opposants sont descendus dans les rues de Libreville pour contester la victoire de l'héritier, scandant "Ali doit partir !" et "Nous ne sommes pas un royaume". Des échauffourées et des scènes de pillage ont éclaté, faisant au moins trois morts, et l'Assemblée nationale a été incendiée.

Malgré les mises en garde de la communauté internationale, le président réélu ne compte pas laisser son siège de sitôt. Au lendemain du vote, il a assuré lors d'un discours martial : "Les élections ont rendu leur verdict (...) Qui a perdu ? Un groupuscule dont le seul projet était de prendre le pouvoir pour se servir du Gabon et non servir le Gabon." Lors de la campagne, il avait d'ailleurs répété :“Je suis très motivé, je suis en bonne santé, et j’ai une ambition pour mon pays.” Reste sans doute à savoir jusqu'à quand.

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