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Le paysage politique au Kenya avant les élections

A moins de deux mois d’élections générales au Kenya, société civile et observateurs internationaux redoutent les violences, comme cela avait été le cas en 2007. Dans un pays où les conflits interethniques se multiplient depuis quelques mois, la paix civile, en cette période délicate, s’apparente à une gageure.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Ewuaso Kedong, zone tribale reculée du comté de Kaijado, le 6 décembre 2012. Inscription des Massaïs sur les listes électorales à l'aide de matériel informatique biométrique. (AFP PHOTO / Carl de Souza)

Plus de 14 millions de Kényans sont attendus dans les bureaux de vote le 4 mars 2013 pour élire le successeur du président Mwai Kibaki, mais aussi leurs députés, sénateurs, gouverneurs de province et responsables locaux.
 
Un contexte sensible
Pour éviter au maximum la fraude et vérifier leur identité le jour J, les électeurs ont été recensés au moyen de leurs données biométriques (photo et empreintes digitales).
 
Les autorités cherchent à garantir la bonne tenue des élections pour limiter les affrontements. La présidentielle contestée de décembre 2007 avait généré des violences qui avaient fait plus de 1.300 morts et des centaines de milliers de déplacés.

Le Premier ministre kényan, Raila Odinga (G), et son rival à la présidentielle, Uhuru Kenyatta. (AFP PHOTO / TONY KARUMBA)
 
Un des candidats inculpés par la CPI
Parmi la dizaine de candidats à la présidentielle, l’un est inculpé de crimes contre l'humanité pour son rôle dans les dites violences. Il s’agit du vice-Premier ministre Uhuru Kenyatta, poursuivi (ainsi que l'ex-ministre, William Ruto, son rival d’hier devenu son colistier) par la Cour pénale internationale pour son rôle présumé dans les massacres interethniques.
 
La CPI l’accuse en effet d'avoir payé il y a cinq ans un gang criminel, les Mungiki, pour intimider les partisans du candidat (et actuel Premier ministre) Raila Odinga.
 
Pour se conformer à la nouvelle constitution kényane (2010), qui prévoit la démission des personnes inculpées de crime se trouvant à des postes publics, Uhuru Kenyatta a lâché le portefeuille des Finances en janvier 2012. Son procès doit débuter le 10 avril, une date qui risque d’être sensible.
 
Kenyatta et Odinga favoris
L’actuel président Mwai Kibaki ne se représente pas après un 2e mandat. Mais Raila Odinga, son Premier ministre dans un gouvernement de coalition – constitué sous la pression internationale pour mettre fin aux violences de 2007 –, sera candidat et fait, comme Uhuru Kenyatta, la course en tête dans les sondages : plus de 75% des intentions de vote à eux deux fin décembre 2012.
 
Uhuru Kenyatta et Raila Odinga ont été officiellement désignés comme candidats par leurs coalitions électorales respectives, l’Alliance du Jubilé pour le premier, Coalition pour la réforme et la démocratie pour le second.

Nairobi, le 4 décembre 2012: des supporters du Premier ministre Raila Odinga, après l'annonce de la création de la Coalition pour la réforme et la démocratie en vue de la présidentielle de mars 2013. (AFP PHOTO / TONY KARUMBA)

 Promesses de campagne
Ces deux des poids lourds de la politique kényane ont exposé leurs priorités dans leurs programmes respectifs.
 
Emploi des jeunes, règlement des problèmes fonciers près de la côte, Etat de droit… sont les thèmes de campagne d’Uhuru Kenyatta.
 
Développement équitable de toutes les régions, exploitation des nombreuses ressources du sous-sol (or, pétrole) et réinvestissement des bénéfices pour le développement du pays, sont ceux de Raila Odinga.
 
Des descendants de figures historiques de l'indépendance
Fils du père de l'indépendance, Jomo Kenyatta, Uhuru Kenyatta est l'un des principaux leaders des Kikuyus, la plus importante communauté du Kenya. Sa famille est à la tête d’un gigantesque empire financier. Il doit son ascension politique à l'ex-président dictateur Daniel Arap Moi (1978-2002).
 
De son côté, Raila Odinga , fils d’Oginga Odinga, un autre artisan de l’indépendance qui fut ex-vice-président aux côtés de Jomo Kenyatta avant de le combattre, est issu de la communauté luo. Ancien communiste, c’est aujourd’hui un riche homme d'affaires.

Des attaques tribales créent une ambiance délétère
Si l’après-scrutin risque d’être chaud, la campagne électorale se déroule déjà dans un climat électrique: les attaques contre les forces de l'ordre, les bars ou les églises, et les conflits ethniques (le pays compte une quarantaine d’ethnies) pour le partage de pâturages et des points d'eau se multiplient.
 
Dernières en date, celles du 9 et 10 janvier 2013 dans le sud-est du pays. Des tueries à Nduru et Kibusu, villages orma et pokomo situés dans le delta de la rivière Tana, ont fait une vingtaine de morts. Des attaques entre clans orma et pokomo (les premiers sont éleveurs, les seconds cultivateurs) agitent cette région depuis des décennies avec, au compteur, des milliers de victimes.

Autre conflit entre les Kikuyu et les Kalenjine. C'était en 2008 dans la vallée du Rift ...

Des manipulations toujours possibles
Certains dans le gouvernement s’interrogent sur un possible lien entre cette nouvelle flambée de violences et une instrumentalisation des rivalités ethniques à des fins électoralistes.
 
Depuis les derniers scrutins, un redécoupage électoral a modifié les rapports de force politico-ethniques un peu partout dans le pays, ce qui peut expliquer certaines tensions.

Outre les conflits tribaux, le Kenya aura fort à faire pour sortir de son marasme après les élections. En effet, le pays est une poudrière sociale : la population vit de peu dans des zones de non-droit (143 bidonvilles à Nairobi et le plus grand camp de réfugiés du monde à Dadaab). Les milices y font régner la loi dans un climat de corruption. Et les conflits dans les pays voisins d’Afrique de l’est (Somalie, Soudan, Ethiopie) déstabilisent toute la région…

Dadaab, le 4 janvier 2013. Dans le camp de réfugiés proche de la Somalie une attaque à la grenade a fait plusieurs victimes. (AFP PHOTO/Abdullahi Mire)

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