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L'Afrique réclame à l'Europe le retour de ses trésors pillés

De plus en plus, l’Afrique réclame à l’Europe des œuvres culturelles et artistiques acquises à l’époque de la colonisation. Les anciens pays colonisateurs rechignent… Une réunion se tient sur ce thème à l'Unesco à Paris le 1er juin 2018.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Têtes d'un ancêtre royal, royaume du Bénin, XVIIIe, musée du quai Branly à Paris. (GERARD JULIEN / AFP)

Mi-hommes, mi-animaux, les trois totems trônent au cœur du musée du quai Branly à Paris. «Statues du royaume de Dahomey, don du général Dodds», stipule sobrement l'étiquette. «Il s’agit de trésors pillés», rétorque le Bénin qui exige leur restitution. Ces imposantes statues ont été «emportées» par les troupes françaises commandées par Alfred Amédée Dodds, lors du sac du palais d'Abomey, la capitale historique du Bénin actuel, en 1892.

Trônes, portes de bois gravées, sceptres royaux... Entre «4500 et 6000 objets sont en France», estiment les autorités béninoises. Du British Museum de Londres au musée Tervuren en Belgique, les collections européennes débordent d'objets d'art dits «coloniaux», acquis dans des conditions parfois discutables.

A l'époque, militaires, anthropologues, ethnographes, missionnaires qui sillonnent les pays conquis en rapportent des objets souvent achetés ou troqués, volés quelquefois. La controverse n'est pas nouvelle, comme le montre l’affaire des frises du Parthénon, et ne concerne pas seulement l'Afrique. Mais le continent a été particulièrement frappé.

«Hémorragie» du patrimoine africain
«L'Afrique a subi une hémorragie de son patrimoine pendant la colonisation et même après, avec les trafics illicites», déplore le conservateur du musée d'art africain de Dakar, El Hadji Malick Ndiaye. Plus de 90% des pièces majeures d'Afrique subsaharienne se trouveraient aujourd’hui hors du continent, selon les experts. L’Unesco soutient depuis plus de 40 ans le combat des pays, qui en Afrique et ailleurs, exigent la restitution de leurs biens culturels disparus lors de l'époque coloniale.

Grandes statues royales du Royaume du Dahomey (1890-1892), musée du Quai Branly à Paris. (GERARD JULIEN / AFP)

Le Nigeria attend depuis de longues années le retour de précieux bronzes volés par les troupes britanniques à la fin du XIXe dans le palais de Benin City (sud-ouest du pays,) et désormais exposés à Londres ou Berlin. Pour le porte-parole du gouverneur de l'Etat d'Edo, au Nigeria, il n'est pas normal que ses enfants doivent se rendre à l'étranger pour admirer le patrimoine de leur pays. «Ces objets nous appartiennent et nous ont été pris de force», souligne-t-il.
           
Comme le Bénin, dont la demande a été sèchement rejetée par Paris fin 2016, les pays africains se sont jusqu'ici heurtés à une fin de non-recevoir de la part des pays européens. A de rares exceptions près: en 2003, le musée ethnologique de Berlin a ainsi rendu une précieuse statuette d'oiseau au Zimbabwe, ex-colonie britannique.

«Rupture historique» ?
Les dirigeants du continent espèrent un tournant depuis une déclaration solennelle du président Emmanuel Macron fin novembre 2017 à Ouagadougou. «D'ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l'Afrique», avait alors lancé le chef de l’Etat français. Le patrimoine africain «doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou», avait-il ajouté.
           
On assiste là une «rupture historique», se réjouit le ministre camerounais de la Culture Narcisse Mouelle Kombi. Son pays, colonisé successivement par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, «est concerné au premier chef», constate-t-il.

«Macron s'est engagé auprès des Africains à changer ce qui a été, ces cinq dernières décennies, la politique de nos musées: trouver des arguties juridiques pour éviter de rendre», observe l'historien Pascal Blanchard, spécialiste de l'époque coloniale. «Autant dire qu'il a fait trembler les conservateurs européens», ajoute le scientifique. Sollicitée, la direction du musée du quai Branly n'a pas souhaité répondre aux questions de l'AFP.

Si le cap a été fixé, de nombreux obstacles techniques et juridiques demeurent, reconnaissent les deux experts nommés fin mars par le président Macron pour matérialiser sa promesse. «Nous avons un sacré défi à relever», ont admis l'historienne d'art Bénédicte Savoy et l'écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr lors de leur nomination.
           
Porte du palais du roi Glegle, Royaume du Dahomey, 1880-1892, musée du Quai Branly à Paris. (GERARD JULIEN / AFP)

Les experts européens ont longtemps argué que les conditions de conservation et de sécurité dans les musées africains n'étaient pas adéquates. Un débat désormais dépassé, voire «paternaliste», tranche le conservateur du musée de Dakar. «Beaucoup de choses restent à faire, sur le personnel technique, la formation» mais il y a désormais sur le continent de «grandes institutions muséales, en Afrique du Sud, au Kenya, au Mali, au Zimbabwe...», insiste-t-il. «Il peut y avoir des coopérations pour s'assurer que les musées soient prêts à accueillir les objets restitués», ajoute Lazare Eloundou, directeur adjoint de la division du patrimoine de l'Unesco. Une réunion sur ce thème devait se tenir au siège de l'organisation internationale à Paris le 1er juin 2018. Objectif: débattre des voies et moyens de restituer le patrimoine africain.

Débat (en principe) plus avancé en Allemagne
Le British Museum a proposé des prêts au Nigeria ou à l'Ethiopie, pillée lors d'une expédition britannique en 1868, mais rechigne à restituer des biens.

Le débat est plus avancé en Allemagne. Un pays sensibilisé à la question depuis les confiscations de milliers d’œuvres d’art par les nazis dans toute l’Europe, parfois ensuite récupérées par l'Armée rouge. Plusieurs musées travaillent à identifier l'origine des milliers d'œuvres issues de l'époque coloniale, quand l'Allemagne occupait le Cameroun, le Togo ou la Tanzanie.

L'étude de ces œuvres constitue une «tâche historique», a estimé en septembre 2017 la ministre de la Culture allemande, Monika Grütters. Elle a suggéré la création d'une structure dédiée, à l'instar du Centre allemand chargé de retrouver les propriétaires des biens pillés par les nazis. Reste qu’en 2011, Berlin a refusé de rendre à l’Egypte le (somptueux et fameux) buste de Néfertiti, acquis dans des conditions un peu douteuses. Motif invoqué : la fragilité de l’objet…

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