Pays divisé, pétrole, processus de paix fragile… On vous explique pourquoi la situation est explosive en Libye
Jeudi 4 avril, les forces du maréchal Khalifa Haftar, qui domine l'est du pays, ont tenté un coup de force pour marcher sur Tripoli, la capitale, tenue par le Gouvernement d'union nationale.
"Je quitte la Libye avec une profonde inquiétude et un cœur lourd." Vendredi 5 avril, Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, a résumé le sentiment de la communauté internationale. La Libye est le théâtre de troubles depuis 2011 et le renversement de Mouammar Kadhafi, tué après huit mois de révolte.
Dernier épisode en date, jeudi 4 avril, l'avancée des troupes du maréchal Khalifa Haftar vers Tripoli, la capitale, pour "purger l'ouest" du pays "des terroristes et des mercenaires". Elles se sont arrêtées à une trentaine de kilomètres de la capitale libyenne. Un premier bilan du ministère de la Santé du Gouvernement d'union nationale (GNA) fait état d'au moins 21 morts. De son côté, l'Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar a fait état samedi soir de 14 morts parmi ses combattants. Ce coup de force rend la situation encore un peu plus explosive. Franceinfo vous explique pourquoi.
I leave Libya with a heavy heart and deeply concerned. I still hope it is possible to avoid a bloody confrontation in and around Tripoli.
— António Guterres (@antonioguterres) 5 avril 2019
The UN is committed to facilitating a political solution and, whatever happens, the UN is committed to supporting the Libyan people.
Parce que le pays est profondément divisé
La chute du régime du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011 a plongé le pays dans le chaos. Depuis 2015, deux autorités rivales se disputent le pouvoir. D'un côté, le Gouvernement d'union nationale dans l'ouest du pays, où se trouve la capitale Tripoli. Il est personnifié par Fayez al-Sarraj, le chef du gouvernement. De l'autre, une autorité dans l'Est, contrôlée par l'Armée nationale libyenne, dirigée par le maréchal Khalifa Haftar. L'arrivée au pouvoir de Fayez al-Sarraj a ravivé les espoirs d'une sortie de crise.
#LIBYE :flag-ly: Alors qu’il y a peu avait lieu la conférence de Palerme, voici la situation des forces en présence dans le pays. Une carte de @dhadelli pic.twitter.com/4APCz2Q5gZ
— GEG | Méditerranée (@GEGMediterranee) 26 novembre 2018
Problème, la conciliation entre les deux camps, et les innombrables milices qui pullulent dans le pays, semble très difficile à réaliser. "Le pays a explosé en mille morceaux, il ne s’est pas divisé entre deux personnages. Ce n’est pas l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest que l’on réunifierait. Quarante-deux ans de dictature et huit années de chaos n’ont pas fait qu’éclater la structure de l’État, mais également le tissu social lui-même. C’est un travail de dentellière", résume l'envoyé spécial de l'ONU Ghassan Salamé au Figaro (article abonnés).
Parce que le pétrole est un enjeu majeur
Après son offensive menée en début d'année, le maréchal Khalifa Haftar a pris le contrôle du champ pétrolier d'Al-Charara (sud-ouest), à environ 900 km au sud de Tripoli. Ce champ produit 315 000 barils par jour, soit près d'un tiers de la production globale libyenne. Le 21 février, l'Armée nationale libyenne prend le champ d'Al-Fil (sud), et contrôle ainsi les plus importants terminaux pétroliers dans l'est du pays, le fameux "croissant pétrolier", la principale plateforme d'exportation de l'or noir vers l’étranger. "Même si on ne peut pas dire qu'il contrôle le Sud (…), il obtient un accès aux champs pétroliers, enjeu fondamental en Libye", synthétise Virginie Collombier, de l’Institut universitaire européen de Florence, pour Libération.
En juin 2018, le porte-parole de l’Armée nationale libyenne avait annoncé que la gestion de ce "croissant pétrolier" relèverait désormais des autorités de Benghazi et non plus de Tripoli, rappelle Le Monde. Mais ce transfert des activités de la Compagnie nationale du pétrole (NOC) de l'ouest vers l'est semblait difficilement réalisable. "Tous nos contrats sont signés avec la NOC de Tripoli. Je ne vois pas comment celle de Benghazi peut intervenir, sauf à rendre caducs des contrats qui remontent à 1955 et 2008", expliquait un industriel européen du pétrole au quotidien. D'autant que la NOC de Benghazi ne disposait pas, à l'époque, du "personnel et de l’expertise technique" lui permettant de se substituer à la NOC de Tripoli.
Or, selon plusieurs résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies, dont la dernière date de juin 2017, seule la NOC placée sous l'autorité du Gouvernement d'union nationale peut gérer le pétrole libyen. La résolution de juin 2017 "condamne" sans ambiguïté toute "tentative d’exportation illicite de pétrole", notamment par le biais "d’institutions parallèles", comme la NOC de Benghazi, échappant à la tutelle du "gouvernement d’accord national".
Parce que le processus de paix est en péril
En lançant ses hommes à la conquête de Tripoli, le maréchal Khalifa Haftar a pris par surprise ses rivaux et la communauté internationale. Tripoli n'a pas tardé à réagir et a annoncé une "contre-offensive" généralisée contre les pro-Haftar, alors que les bases d'un rapprochement avaient été posées. "Haftar est celui qui ruine le processus de paix, qui ne tient aucun de ses engagements", estime Virginie Collombier dans Libération.
En février dernier, lors d'une réunion à Abou Dhabi, Khalifa Haftar et Fayez al-Sarraj avaient conclu un accord, notamment en vue de former un gouvernement unifié dans lequel le maréchal serait représenté, et d'organiser des élections avant la fin de l'année. Mais ce coup de force remet tout à plat. "Nous avons tendu nos mains vers la paix mais après l'agression qui a eu lieu de la part des forces appartenant à Haftar et sa déclaration de guerre contre nos villes et notre capitale (…), il ne trouvera que force et fermeté", a prévenu le chef du gouvernement de Tripoli.
Parce que la communauté internationale ne veut pas d'un conflit armé
Cette escalade fait craindre le pire à la communauté internationale. Réunis vendredi 5 avril en France, les ministres des Affaires étrangères des sept pays les plus industrialisés (G7) ont "exhorté" tous les acteurs à stopper "immédiatement" tous "les mouvements militaires vers Tripoli, qui entravent les perspectives du processus politique mené par les Nations unies". "Il n'y a pas de solution militaire au conflit libyen", ont souligné les chefs de la diplomatie des Etats-Unis, du Canada, de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de l'Italie et du Japon.
Emmanuel Macron, lui, a renouvelé son soutien à la médiation de l'ONU. "Les deux dirigeants ont souligné l'importance d'une solution politique à la crise actuelle, dans le respect du droit humanitaire et des résolutions du Conseil de sécurité", a indiqué la présidence française dans un communiqué publié samedi.
Cette flambée de violence intervient alors qu'une conférence nationale sous l'égide de l'ONU est prévue à Ghadamès, dans le sud-ouest du pays. Elle doit dresser une "feuille de route" avec la tenue d'élections pour tenter de sortir le pays de l'impasse. "Nous sommes déterminés à organiser" cette conférence interlibyenne "à la date prévue", du 14 au 16 avril, "sauf si des circonstances majeures nous en empêchent", a dit samedi 6 avril Antonio Guterres lors d'une conférence de presse à Tripoli.
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