"Tromelin, l’île des esclaves oubliés" : une exposition au musée de l’Homme à Paris
En 1761, l’Utile, un navire français, s’échoue sur l’île Tromelin, à 500 km des côtes de Madagascar et de celles de la Réunion. A bord se trouvent quelque 160 esclaves malgaches, dont la moitié se noie. L’équipage repart, abandonnant les captifs sur l’îlot désert. Une exposition au musée de l’Homme raconte leur extraordinaire histoire, reconstituée notamment grâce à l’archéologie.
A cette époque, la France et l’Angleterre se combattent au cours de la "guerre de Sept Ans". Une sorte de conflit mondial avant l'heure.
La frégate Utile a été envoyée à Madagascar pour ravitailler les colonies. Dans la zone de l’île de France (aujourd’hui île Maurice), le gouverneur de cette dernière a provisoirement interdit la traite des Noirs. Mais ce trafic rapportant des sommes considérables, des marins se mettent à leur compte. Le capitaine du navire, Jean de Lafargue, a embarqué clandestinement 160 esclaves malgaches. Il a choisi de les vendre discrètement sur une autre île. Ce qui l’oblige à modifier sa route.
Dépourvu de cartes fiables et contre l’avis de son pilote, Jean de Lafargue
navigue la nuit. L’Utile fait alors naufrage à proximité de Tromelin. La moitié des esclaves se noient, ainsi que 18 marins. Les 210 rescapés gagnent l’île, qu’on appelle alors l’île des Sables.
Les survivants s’organisent. Un puits est creusé. Une embarcation est construite avec les débris de l’épave et grâce aux "secours que nous avons tirés depuis le premier moment jusqu’au dernier, de ces malheureux esclaves", écrira par la suite le premier lieutenant, Barthélémy Castellan du Vernet. Mais seuls les Français repartent. Ils promettent de revenir chercher les captifs, que "nous avons été obligés (d’)abandonner", faute de place, dixit le premier lieutenant.
"Les Noirs qu'on était forcés de laisser dans l'île, demeurèrent dans un silence accablant au moment du départ. Mais quel parti prendre dans une pareille extrémité? Ce fut de laisser les vivres aux malheureux Noirs en leur promettant de les envoyer chercher", peut-on lire aujourd'hui dans un document de littérature populaire consacré à ce drame...
Quand l’archéologie prend le relais
C’est là le début d’une autre histoire. 80 esclaves sont laissés à leur triste sort : ils resteront 15 ans bloqués sur l’île et oubliés de tous. Sauf, apparemment, de Barthélémy Castellan du Vernet, qui aurait tenté de prévenir les autorités, dont le ministre de la Marine. C’est seulement en 1776 qu’une corvette commandée par Jacques Marie de Tromelin vient les secourir. Seuls sept femmes et un bébé de huit mois ont survécu.
Sur la vie menée par les esclaves restés à Tromelin, île dépourvue d’arbres, les archives écrites françaises, très dissertes sur le reste, sont évidemment muettes. "Le relais a été pris par l’archéologie", souligne Thomas Romon, co-commissaire de l’exposition et archéologue à l’Inrap. De 2006 à 2013, quatre missions de fouilles, à la fois terrestres et sous-marines, ont ainsi été menées sur la petite île coralienne (qui accueille depuis 1954 une station météo). "Nous avons pu ainsi étudier la façon dont les esclaves se sont comportés pour survivre dans cet espace clos de 1 km2. C’est un véritable petit laboratoire!", précise l’archéologue.
Pour les fouilleurs, ce fut une expérience unique. "Nous étions isolés du monde pour mener nos travaux. Dans le même temps, on ne trouve pas beaucoup d’endroits dans le monde avec ce genre de vestiges", explique Thomas Romon. "Une fois qu’on enlève les couches de sable, on a un peu une photo de Tromelin au moment où les derniers esclaves présents ont été secourus. Nous avons ainsi retrouvé, dans ce qui était la cuisine, la vaisselle parfaitement rangée!", ajoute le scientifique.
Récupération et alimentation
L’exposition présente certains des objets utilisés par les infortunés habitants. Objets parfois récupérés sur le navire. Tels des éléments de porte transformés en haches ou des gonds de sabord (ouverture pour les canons dans le flanc des navires) devenus des marteaux.
Les esclaves ont aussi récupéré les métaux de l’Utile, qu’ils ont façonnés et fondus. On peut ainsi voir une bassine en plomb réparée à… sept reprises, preuve qu’il fallait faire durer ce bien précieux. Des cuillères ont été découpées dans des plaques de cuivre avec un ciseau, travaillées avec un marteau, puis fixées à un manche en bois ou en cuivre. Rare objet issu des ressources naturelles de l’île, un coquillage évidé semblait servir de louche.
Les fouilles ont aussi permis d’apprendre comment les naufragés se débrouillaient pour leur alimentation. Ils se nourrissaient ainsi d’animaux locaux, tortues, poissons, oiseaux, dont les archéologues ont retrouvé les restes. Les extrémités d’ailes des volatiles étaient apparemment préservées, ce qui laisse penser que les plumes ont pu servir pour des pagnes.
Les aliments étaient cuits. Des feux pouvaient être allumés grâce aux briquets et silex prélevés sur l’Utile. Feux probablement alimentés par les éléments de l’épave, comme semblent le prouver la présence de nombreux fragments de charbon de bois.
Les naufragés se logeaient dans des bâtiments construits avec les minéraux retrouvés sur place : corail et grès. "L’étude de ces bâtiments montre qu’ils ont bravé un interdit religieux malgache réservant la pierre aux tombeaux, preuve qu’ils ont su s’adapter à leur environnement", explique Max Guérout, co-commissaire de l’exposition et ancien officier de marine, qui a contribué à la fondation du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN). Leurs murs, larges d’un mètre et d’une grande résistance au climat cyclonique, rappellent ceux… des édifices mortuaires de la même époque à Madagascar.
Cyclones et solidarité
La douzaine de bâtiments était regroupée autour d’une cour centrale. "Cet habitat donne ainsi une image de la solidarité qui soudait le groupe. Il diffère de celui de Madagascar, en général individuel et dispersé. De plus, il est orienté par rapport aux vents dominants de Tromelin alors que dans leur région d’origine, les habitations sont construites en fonction des points cardinaux. Ce qui prouve, une nouvelle fois, que les esclaves ont su s’adapter à leur environnement pour survivre", poursuit Max Guérout.
Mais ceux-ci ont su aller au-delà de la simple survie. "Ils ont su s’organiser et recréer une société", commente Thomas Romon.
Une société dont les membres se souciaient d’éléments esthétiques. C’est ce que montre, par exemple, les bijoux découverts sur deux squelettes : une petite chaîne et un type de bracelet, originaire du sud-est de Madagascar et appelé vangovango en malgache. Bracelet que l'on trouve encore aujourd’hui sur la Grande Ile.
"Tromelin, l’île des esclaves oubliés", exposition au musée de l’Homme (17 Place du Trocadéro et du 11 Novembre, 75116 Paris), du 13 février au 3 juin 2019. Pour tout autre renseignement, voir le site.
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