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"La sécurité est loin d’être rétablie dans le nord du Mali"

Francetv info a interrogé Mathieu Guidère, spécialiste de géopolitique.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des soldats maliens patrouillent dans les rues de Kidal, au nord du Mali, le 29 juillet 2013. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Islamologue, spécialiste de géopolitique, Mathieu Guidère est un universitaire expert dans l'examen des convulsions du monde arabe actuel. Il livre son analyse après l'exécution des deux membres de RFI.

Francetv info : Quelle a été votre première réaction en apprenant la mort des deux journalistes de RFI ?

Mathieu Guidère : Selon moi, les deux journalistes qui ont été exécutés sont doublement des victimes collatérales d'évènements récents.

D'abord, ils sont victimes de l’appât du gain consécutif à la libération des quatre otages enlevés à Arlit (Niger). Depuis quelques jours et compte tenu de tout ce qui a été dit sur le paiement d'une rançon, la plupart des groupes armés cherchent des Français à enlever, car leur cote a grimpé.

Ensuite, ils sont les victimes collatérales de la compétition et des conflits qui règnent entre factions touareg, en particulier entre les Touareg laïques du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et les Touareg islamistes d’Ansar Dine.

Cette compétition concerne-t-elle directement les circonstances de l’exécution des journalistes de RFI ?

On peut le penser. Il y a d’un côté le MNLA qui milite pour l’autonomie du Nord-Mali. Après avoir été opposé à la présence française, il a revu sa position et ne s’oppose plus qu’à la présence de l’armée malienne à Kidal, fief historique des Touareg, qu’il souhaite administrer directement.

En face, il y a les Touareg islamistes d’Ansar Dine, dirigés par Iyad Ag Ghali. C’est une figure historique de la rébellion touareg qui a fait le choix en 2012 de s’allier avec deux organisations jihadistes : le Mujao et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Cette coalition hétéroclite a dominé les villes du nord jusqu’à l’intervention française en janvier 2013. L'intervention a tout changé puisque le MNLA en a profité pour reprendre le contrôle des localités dont il a été chassé par Ansar Dine et ses alliés jihadistes. Ceux-ci se sont fondus dans le paysage et mènent depuis des actions armées en s’infiltrant dans les villes, accusant le MNLA d’être à la solde de Paris et de Bamako.

En réaction, le MLNA s’est attaqué à l’armée malienne pour renforcer son image de groupe "national" qui défend les intérêts des touaregs dans le nouveau contexte politique malien après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita. Quant aux jihadistes d’Aqmi et du Mujao (le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), ils se distribuent les tâches avec Ansar Dine (Les Défenseurs de la religion). Aqmi et le Mujao perpètrent essentiellement des attentats suicides et des enlèvements d’étrangers, tandis Ansar Eddine se lance dans des accrochages avec les militaires.

Mais en quoi cet imbroglio entre Touareg a pu jouer un rôle ?

L'homme que venaient de rencontrer les journalistes est un cadre du MNLA. Et le fait d'enlever presque à leur porte des journalistes qui venaient de leur rendre visite n'est pas anodin. On pense immédiatement à leurs rivaux d’Ansar Dine qui auraient pu vouloir leur faire un pied de nez en enlevant leurs hôtes français.

Un hélicoptère de l’armée française a décollé à la poursuite des ravisseurs dès qu’il a été informé de l’enlèvement, mais il est arrivé trop tard, les deux journalistes étaient déjà morts. Que s’est-il passé ? Plusieurs scénarios sont possibles, les ravisseurs peuvent les avoir exécutés pour ne pas ralentir leur fuite ou pour que nul ne puisse en tirer profit.

Beaucoup d'éléments laissent penser qu'il s'agit d'une exécution, mais encore une fois tout est possible. Ce qui est certain, c’est que personne n’avait intérêt à les tuer : ni du côté du MNLA qui les a invités à venir interviewer l’un de ses chefs, ni du côté des jihadistes qui a priori, espéraient en tirer une rançon. En tout cas, c’est une tragédie qui prouve que la sécurité est loin d’être rétablie dans le nord du Mali et en particulier autour de Kidal et Gao.

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