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Mali : on vous explique la situation entre Paris et Bamako depuis que la junte a décidé d’expulser l’ambassadeur français

Les tensions entre les deux pays sont de plus en plus vives. La présence française au Sahel est remise en question. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Avec l'expulsion de l'ambassadeur de France au Mali, les tensions entre Paris et Bamako montent encore d'un cran, 31 janvier 2022. (THOMAS COEX / AFP)

Jusqu'où la tension va-t-elle monter entre le Mali et la France ? Lundi 31 janvier, la junte militaire au pouvoir a brutalement annoncé qu'elle expulsait l'ambassadeur de France. Joël Meyer, en poste à Bamako depuis octobre 2018, avait "72 heures" pour quitter le pays. La France a pris "note" de cette éviction et a rappelé "son engagement en faveur de la stabilisation et du développement du Sahel". Pour le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, cette décision de renvoyer l'ambassadeur de France "est une étape supplémentaire dans l'isolement dont [la junte] fait preuve"Cet épisode marque un nouveau durcissement des relations entre Bamako et Paris, alors que la France compte encore environ 4 000 militaires au Sahel. Explications.

Un dialogue rompu récemment

Les discussions avec le pouvoir malien sont "rendues très difficiles" actuellement, a reconnu le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. L'expulsion de l'ambassadeur français fait office de réponse de la junte militaire aux récents propos jugés "hostiles" de responsables français à son encontre. "Cette junte est illégitime et prend des mesures irresponsables", avait ainsi déclaré le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, le 27 janvier, en réaction à l'annonce du rapatriement, à la demande de Bamako, d'une centaine de soldats danois qui devaient participer à la force Takuba. 

Le 24 janvier, le Mali a en effet exigé le repli de ces soldats venus remplacer un contingent suédois dans le cadre de la force Tabuka, affirmant que leur déploiement était "intervenu sans son consentement". Ce regroupement de près de 800 soldats d'élite français et européens, mené sous l'égide de la France, a été créé dans le cadre du désengagement progressif de l'armée française au Mali. Le Danemark avait répondu avoir reçu une "invitation claire" du régime malien, mais la junte avait alors réitéré sa demande "avec insistance" dans la nuit du 26 au 27 janvier. Le lendemain, le gouvernement danois a donc rapatrié ses troupes. 

Au-delà de Jean-Yves Le Drian, cette attitude du pouvoir malien a été vivement critiquée par Florence Parly, la ministre des Armées, qui avait déjà accusé les militaires de multiplier les "provocations". En guise de réponse, le porte-parole du gouvernement malien lui avait demandé, dans une formule imagée, de se taire : "Nous l'invitons également – c'est un conseil – à faire sienne cette phrase d'Alfred de Vigny sur la grandeur du silence."

Des relations dégradées depuis longtemps

Les dissensions entre Bamako et Paris ont en fait commencé il y a quelques mois, alors que le Mali fait face à une profonde crise sécuritaire et politique. Le lien de confiance s'est dégradé depuis les deux coups d'Etat militaires, qui ont renversé le président malien Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, puis permis au chef de la junte, Assimi Goïta, de prendre la tête du pays en mai 2021. Emmanuel Macron avait dénoncé, à l'époque, "un coup d'Etat dans le coup d'Etat inacceptable".

Malgré les pressions exercées contre les militaires maliens pour qu'ils respectent le processus démocratique, dont de sévères sanctions économiques imposées par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), et bien qu'il s'était engagé à un retour de l'ordre constitutionnel via l'organisation d'élections générales en février 2022, le colonel Assimi Goïta entend se maintenir au moins cinq ans à la tête du pays. 

Assimi Goïta n'hésite pas à s'appuyer sur une partie de la population qui, face à l'échec des militaires de l'opération Barkhane et des Européens de la force Takuba à mettre fin aux conflits dans le pays, est de plus en plus défiante vis-à-vis de l'armée française. Le 14 janvier, il a appelé les Maliens à manifester en critiquant des sanctions internationales au "caractère illégitime, illégal et inhumain". Pour lui, la Cédéao s'est laissée instrumentalisée par des puissances extra-régionales. Une façon de viser directement la France et de lui tourner le dos avec la mise en place d'une coopération avec la Russie afin de rétablir la sécurité dans le pays.

Depuis plusieurs semaines, la France, ainsi que plusieurs pays occidentaux, dénoncent en effet le possible déploiement de mercenaires russes de la société Wagner sur le terrain malien. Le Mali assure qu'il s'agit d'un partenariat d'Etat à Etat avec la Russie et estime que sa stratégie de rapprochement avec la Russie est remise en cause. 

La présence française au Mali menacée

La récente expulsion de l'ambassadeur de France relance le débat sur le changement de stratégie militaire au Mali initié ces derniers mois. Peu de temps après l'investiture d'Assimi Goïta comme président de transition, Emmanuel Macron avait en effet annoncé une réduction de la présence militaire française au Sahel, après neuf ans de lutte antijihadiste, notamment via l'opération antijihadiste Barkhane.  

Le gouvernement a commencé l'évacuation de plusieurs bases situées dans le nord du pays tout en continuant d'assurer la lutte contre les groupes terroristes présents dans le Sahel, en y associant des partenaires européens au sein de la force Takuba. "Quand on lutte contre le terrorisme sur place, avec des succès, avec des chefs terroristes qui ont été neutralisés par nos armées ces dernières années, on protège aussi notre pays, on protège aussi les Français et donc il faut continuer à le faire", a relevé le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, mardi, sur franceinfo.

Mais l'incident diplomatique avec l'ambassadeur français contraint le gouvernement à agir plus rapidement. D'après Gabriel Attal, la France devrait trancher "d'ici à la mi-février" pour trancher sur l'avenir de sa présence militaire au Mali. En pleine présidence française de l'Union européenne et à trois mois de la présidentielle, un retrait forcé du Mali – où 48 soldats français sont morts (53 au Sahel) – constituerait un cuisant revers. Mais les entraves répétées de la junte rendent ce scénario de plus en plus difficile à éviter, d'après de nombreux observateurs.

Le désengagement des militaires français prendrait pour autant de très longs mois, selon l'état-major. La relocalisation de Takuba, elle, n'est pas envisageable dans sa forme actuelle, ni au Niger, qui ne souhaite pas accueillir cette task force, de source proche du dossier, ni au Burkina Faso, qui vient de connaître un coup d'Etat. Le vide laissé par les troupes ne manquerait pas de profiter aux groupes jihadistes présents dans la région et affiliés à Al-Qaïda ou à l'Etat islamique.

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