"L’évolution politique de cette région appartient aux pays sahéliens" : la tentation du désengagement français au Mali fait débat
La libération par le gouvernement malien de 200 jihadistes contre quatre otages le 8 octobre dernier a été vécue comme une humiliation par les militaires français de la force Barkhane.
Après la libération de Sophie Pétronin, la visite du ministre français des Affaires étrangères attendu dimanche 25 octobre à Bamako constitue une reconnaissance du nouveau pouvoir issu du putsch d’août dernier. La France veut aussi connaître les intentions de la junte face aux islamistes du nord-Mali.
Les militaires de Barkhane humiliés
La libération de 200 jihadistes le 8 octobre par les autorités maliennes en échange de quatre otages – Sophie Pétronin, l’opposant Soumaïla Cissé et deux Italiens – est une victoire majeure du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), implanté dans le nord du Mali, à la frontière algérienne. Son chef, l’insaisissable Iyad Ag-Ghali, a fêté ce succès en organisant avec les jihadistes libérés des geôles maliennes un grand méchoui, dont les photos ont opportunément filtré sur Internet. Une provocation ressentie comme une humiliation par nombre de militaires français de l’opération Barkhane, engagés dans un combat quotidien contre les terroristes.
Paris assure n’avoir pris aucune part aux négociations qui ont abouti à cet échange asymétrique, un otage pour cinquante islamistes. Qu’elle ait été ou non mise devant le fait accompli – cette version est contestée par de bons connaisseurs du dossier – la France discute désormais à Bamako avec un gouvernement ayant négocié avec le GSIM. C’est-à-dire avec une mouvance d’Al Qaïda que le président Macron, au Mali en juillet 2017, qualifiait de "terroristes, voyous et assassins" en promettant de les éradiquer.
Un processus entamé par l'ancien président malien
Le canal de négociation utilisé par Bamako dans cette négociation a-t-il ouvert la voie à de futures discussions, politiques cette fois, avec les jihadistes ? "C’est une hypothèse qu‘il faut envisager", analyse le journaliste Seidik Abba, car un processus avait déjà été entamé par l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avant le coup d’État. "Il avait été décidé que le Mali négocie au moins avec les jihadistes ressortissants maliens comme Iyad Ag Ghali, poursuit Seidik Abba. Cette dynamique avait été créée par le constat que sur le plan militaire le Mali, même aidé par la communauté internationale, n’était pas sur le point de prendre le dessus par rapport aux groupes jihadistes." Un pragmatisme doublé d’une stratégie politique. "La logique de la partie malienne, conclut Seidik Abba, que ce soit IBK ou le pouvoir actuel, c’est de casser l’unité des groupes jihadistes car il y a beaucoup de non-Maliens parmi eux. Et la dynamique du Mali, c’est de récupérer ses 'fils égarés'. De ce point de vue, le GSIM a favorablement répondu à l’offre de discussion des autorités maliennes."
Les islamistes du GSIM exigent la charia
Les revendications du GSIM sont connues. D’abord, l’instauration de la loi islamique, déjà appliquée lors de la prise de contrôle d’une partie du nord et de l’est du Mali par des jihadistes en 2012, où le fouet, les lapidations, les amputations et les exécutions – après jugement par des tribunaux religieux – s’étaient multipliés. L’autre condition posée par les jihadistes est le départ des militaires de Barkhane. Les islamistes demandent beaucoup, quitte à abandonner certaines revendications à la marge. Mais ces deux points resteront des exigences pour des jihadistes patients et déterminés. Même si, pour l’instant, le nouveau gouvernement malien n’envisage pas de céder au GSIM, la transition politique promise en 2022 ouvre la voie à une redistribution des cartes. Parmi les acteurs de cette mutation politique du Mali figure l’imam conservateur Mahmoud Dicko – certains le qualifient de "salafiste" –, qui a accompagné le mouvement de contestation populaire M5 (Mouvement du 5 juin) ayant précédé le coup d’État militaire du 18 août. Les partisans de l’influent imam viennent de faire connaître leur soutien à la transition mise en place par les putschistes.
Une situation à l’afghane ?
Dans ce nouveau paysage politique, la présence occidentale s’estompe inexorablement. "C’est la realpolitik sahélienne de demain", dit le journaliste Antoine Glaser, spécialiste de la région, "On est quand même dans une période post-coloniale complètement différente. L’islamisation, cela ne veut pas dire que tous ces groupes vont appliquer partout la Charia, mais au bout d’un moment, ça sera vraiment leur problème. Ce n’est pas un hasard si, dans les mouvements populaires ou la société civile, on voit l’importance de gens comme l’imam Dicko."
Quant au rôle de Barkhane, il pourrait à terme être réorienté vers la seule neutralisation des chefs djihadistes les plus virulents liés au groupe État islamique, surtout ceux venus de l’extérieur du Mali. Certains experts s’interrogent alors sur une évolution de la situation à l’afghane, des négociations engagées par le pouvoir central avec certains jihadistes tandis qu’une puissance étrangère – la France – maintiendrait une pression militaire. "Finalement, l’évolution politique de cette région appartient aux pays sahéliens", conclut Antoine Glaser, "Ce n’est pas la France qui va dire comment ils vont vivre dans les prochaines années." Dans ce contexte, la tentation d’un désengagement de la France fait débat à Paris, au risque de laisser prospérer l’islamisme au Mali. Avec à terme des conséquences migratoires imprévisibles.
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