Mali. Une intervention militaire qui n'est pas sans risques
Plusieurs dirigeants africains se sont entendus pour envoyer une force de 3 300 hommes pour déloger les jihadistes du Nord Mali. Risqué.
MALI - "Cette intervention est nécessaire, parce qu'il est impossible de négocier avec les terroristes et les trafiquants de drogue." Dans un entretien au Figaro, le président nigérien Mahamadou Issoufou, qui doit rencontrer mardi 13 novembre François Hollande, résume bien l'état d'esprit général. Application de la charia, destruction de mausolées, menace terroriste et prises d'otages par divers groupes islamistes armés dans le Nord-Mali excèdent une bonne partie de la communauté internationale, qui ne jure plus que par une intervention militaire pour que le Mali, débarrassé des jihadistes, retrouve son intégrité territoriale.
Issoufou trouvera certainement une oreille attentive en François Hollande qui, comme son ministre de la Défense, semble pressé d'en découdre. Dimanche 11 novembre, l'idée d'une intervention a encore fait un pas en avant. Les dirigeants de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) réunis à Abuja (Nigeria) ont décidé d'envoyer une force africaine de 3 300 hommes. Une décision qui doit encore d'être entérinée par l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations unies, le 26 novembre.
Mais derrière cette unanimisme, certains s'interrogent, à l'image de Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières : "Quand on s'engage dans un conflit, on allume des mèches qu'on n'arrive plus à éteindre." Et si le remède était pire que le mal ?
Et si le conflit s'enlisait ?
C'est que les risques existent, souligne le politologue Michel Galy. Militaires, d'abord. "Il semble qu'une partie de l'état-major français ne soit pas très enthousiaste", à l'approche de l'intervention. Septicisme partagé par le haut commandant des forces armées américaines en Afrique (Africom), le général Carter Ham. En déplacement à Alger, il a déclaré à la presse que "la situation dans le nord du Mali ne p[ouvait] être réglée que de manière diplomatique ou politique".
Cela "traduit une pensée générale, il est facile de prendre les trois principales villes, Gao, Kidal et Tombouctou", mais tenir le désert est une autre affaire, explique Michel Galy. Chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Oumar Keïta abonde : les forces qui tiennent le Nord sont "mieux préparées que les armées régulières de la Cédéao et elles connaissent le terrain". Quant à l'armée malienne, elle est mal équipée, démoralisée et rongée par des luttes intestines. Pour Michel Galy, qui évalue à "6 000 hommes armés" les troupes jihadistes et touaregs qui occupent le Nord-Mali, cela explique que l'aide d'autres pays, comme le Tchad et la Mauritanie, plus habitués au désert, ou encore de l'Afrique du Sud, ait été évoquée lors du sommet d'Abuja.
Et si les combattants affluaient ?
Relativement circonscrit, le conflit malien pourrait aussi prendre un tour nouveau en cas d'initiative militaire. Dans une tribune dans Libération en juillet, Oumar Keïta rappelait que les dernières interventions extérieures n'avaient pas été de francs succès : "En Irak, en Afghanistan, au Congo, au Soudan et dernièrement en Libye, elles ont surtout conduit à des guerres civiles prolongées." Il souligne aujourd'hui qu'"il y a un risque d'engendrement de solidarités ethniques". Des touaregs pourraient ainsi gagner le nord du pays depuis l'Algérie, la Mauritanie, le Niger et même le Burkina Faso pour se battre contre un ennemi extérieur.
En cas de conflit, ils ne seraient d'ailleurs pas les seuls à affluer. Pour l'instant, le Mali n'a pas l'attrait de la Syrie pour les jihadistes, mais l'arrestation d'un franco-malien au Mali témoigne de l'intérêt que constituerait le pays à l'avenir.
Et si la menace s'éparpillait ?
A l'inverse, si les jihadistes s'éparpillent dans les pays voisins sous la pression d'une force étrangère, "c'est tout le Sahel qui s'embrase", redoute Michel Galy. C'est d'ailleurs le souci numéro 1 de l'Algérie, qui craint de voir Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), hier Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), repasser la frontière. Pressé d'intervenir notamment par la France, Alger mène de front des négociations avec Ansar Dine. Le groupe islamiste malien est perçu comme interlocuteur acceptable par l'Algérie. Ansar Dine vient de se distinguer d'Aqmi et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) en proclamant son rejet du terrorisme.
Finalement, avec le Burkina Faso, l'Algérie est "très en retrait" sur l'idée d'une intervention militaire, souligne l'ancien président de MSF Rony Brauman. Or, ce sont "deux Etats extrêmements importants" dans la sous-région. "Sans leur participation, la difficulté sera plus grande", souligne-t-il, jugeant de toute façon qu'on est "encore loin du compte".
Et si les Maliens se déchiraient ?
Au sein du Mali, les difficultés sont encore plus inquiétantes, explique Oumar Keïta. "Il y a des débats internes. Ceux qui sont du Nord et ont la peau blanche (Touaregs, Maures...) souhaitent la négociation. Ceux qui ont la peau noire veulent une intervention militaire", affirme Oumar Keïta. Les risques de représailles ne sont pas à négliger et l'hypothèse d'un nouveau conflit armé risquerait d'entériner une opposition entre le nord et le sud du pays, loin d'amener à la réconciliation.
De plus, au Nord-Mali, la présence des islamistes ne déplaît pas à tous. Dans une région hier oubliée par Bamako, ils ont apporté un semblant d'ordre. Sans compter que les islamistes, soutenus par le Qatar selon le Canard enchaîné, représentent une manne pour des jeunes désœuvrés. Maliens ou venus de la sous-région, ils toucheraient 3 800 dollars (3 000 euros) à leur arrivée, selon Sahel Intelligence.
En somme, avec "une population qui double tous les vingt-deux ans", dans une région délaissée par l'administration, sans ressources et soumise aux famines, rappelait Serge Michailof, enseignant à Sciences Po dans une tribune dans le Monde (article abonnés), le "terreau social" est "désastreux".
Et s'il n'y avait personne pour diriger ?
Au Sud, la situation n'est pas brillante non plus. Depuis le coup d'Etat de mars, le pays peine à s'organiser. Le pouvoir se partage entre le président de transition Dioncounda Traoré, le Premier ministre de transition Cheick Modibo Diarra et le capitaine putschiste Amadou Sanogo.
"Il faut une conférence nationale qui organiserait des élections pour 2013", plaide Michel Galy. Et pour Rony Brauman, "ce n'est pas une intervention militaire qui permettra de régler la question de l'unité malienne, surtout quand on voit que le Mali est en faillite étatique. Prendre le contrôle du Nord alors qu'il n'y a pas d'instance de régulation, c'est faire reposer tout ça dans le vide".
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