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Philippe Leymarie sur les causes de la guerre au Mali

Philippe Leymarie, journaliste au «Monde Diplomatique», revient sur les origines de la guerre au Mali. Notamment les problèmes du nord du pays, région déshéritée grande comme la France, et véritable mosaïque de peuples.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Rebelle du groupe islamiste touareg Ansar Dine près de Tombouctou (nord du Mali) le 24 avril 2012. (AFP - ROMARIC OLLO HIEN )
Quelles sont, pour vous, les causes principales de la guerre ?

C’est un immense sujet ! La première cause à mentionner est, bien sûr, la question du Nord, immense zone grande comme à peu près la France, qui fait près des deux tiers du territoire malien et qui compte à peu près 1,5 million d’habitants (10 % environ de la population du pays). Ses problèmes restent non résolus depuis des décennies. Au début du XXe siècle, il y avait déjà un irrédentisme touareg, revendiquant l’indépendance.
 
D’une manière générale, la région est une vraie mosaïque, ce qui rend la question compliquée. On y trouve en effet, outre les Touaregs, qui sont minoritaires -, d’autres minorités comme les Peuls, les Songhaï, les Arabes… Si celles-ci ne demandent pas l’indépendance, elles ont - comme les Touaregs - le sentiment d’appartenir à une région délaissée par le pouvoir de Bamako, la capitale.

Pour expliquer la situation actuelle, il faut aussi revenir sur l’histoire récente du Mali. En janvier 2012, des éléments touaregs, regroupés au sein du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad, terme désignant le nord du Mali, NDLR), s’emparent de plusieurs localités de la région et revendiquent l’indépendance. Ils sont parfois alliés sur le terrain à des groupes islamistes et djihadistes comme AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique), dirigée par un Algérien, Abdelmalek Droukdel, sur fond de criminalité transfrontalière.

Abdelmalek Droukdel, leader d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), au premier plan. Photo non datée. (AFP - Al-Andalus)

L’armée malienne subit échec après échec. Mal équipée, peu favorisée par le pouvoir, elle est traumatisée par la défaite et le massacre de la garnison d’Aguelhok, dont les membres ont été égorgés. Vue de Bamako, cette offensive est une catastrophe. Elle prive le pays d’une majorité de son territoire.
 
Le 22 mars 2012, des militaires, menés par le capitaine Amadou Haya Sanogo, rrenversent le président Amadou Hamani Touré, surnommé «ATT», l'accusant d'incompétence dans la lutte contre la rébellion touarègue et les groupes islamistes dans le Nord.  C’est un peu la révolte des sans-soldes avec, à leur tête, une espèce de Robin des Bois qui dit pouvoir bouter l’ennemi en dehors des frontières.

Mais fin mars-début avril, la rébellion repart à l’offensive et s’empare des capitales des trois régions du Nord : Kidal, Gao et Tombouctou. L’armée continue à refluer en abandonnant son matériel sur place.

Au sein de la rébellion, les djihadistes ont pris le pas sur les Touaregs. Le MNLA n'est plus en mesure d'imposer ses vues. Ansar Dine monte en puissance. Mouvement pivot, il se revendique à la fois comme touareg et islamiste, s’alliant par moment avec AQMI, mais négociant en novembre et décembre 2012 avec le gouvernement malien, dans le cadre d'une médiation sous l'égide du Burkina Faso et de l'Algérie.

Début janvier, Ansar Dine s'affirme trompé: il publie une «plate-forme politique» dans laquelle il durcit sa position, exigeant l’islamisation de la société malienne. Il estime qu’il n’a pas d’autre choix que de reprendre la lutte. En parallèle, on constate un regroupement des forces djihadistes qui ont reformé leur unité.
 
Il y a une dizaine de jours, des mouvements de ces forces ont fait penser qu’elles lançaient une offensive vers le sud, possiblement jusqu'à Bamako. Même si cette intention n'a pas été établie formellement, elle est a été invoquée par les autorités françaises pour justifier une intervention militaire urgente destinée à donner un coup d'arrêt à la progression des groupes armés. Paris risquait - en cas de prise de Bamako - de se retrouver non plus avec huit, mais avec 6000 otages (la communauté française au Mali), et la déstabilisation de toute la région.
 
Militaires français près d'un pont stratégique sur le fleuve Niger, près de la ville de Markala (Mali) le 16 janvier 2013. (AFP - MICHEL MOUTOT )

Y a-t-il une responsabilité de la France dans la situation actuelle ?

La France n’a pas vraiment d’intérêts économiques déterminants à défendre au Mali, même s’il y a un projet d’exploitation de mine d’uranium par Areva. Il y a plutôt un intérêt géostratégique pour la région en général, notamment parce que le Niger fournit 50 % de l’uranium utilisé dans l’Hexagone. Une région dont la stabilité est menacée par les activités de ces réseaux djihadistes, comme l'a démontré la prise d'otages géante dans un centre gazier à l'est de l'Algérie. Cette instabilité peut constituer également un danger pour l’Europe, de l'autre côté de la Méditerranée.

Pour les autorités françaises, il s’agit d’éviter que le Mali ne devienne un «Sahelistan», à l'image de ce qu'a été l’Afghanistan. Avec une Algérie qui a longtemps joué le rôle imparti au Pakistan auprès de l’Afghanistan : exportateur ou protecteur de rébellion, rôle trouble des services de renseignement,  etc… AQMI est l’héritier direct des GIA, puis GSPC algériens. Alger, après être venu à bout de sa propre guerre contre les islamistes, dans les années 1990, a fermé les yeux sur leurs activités dans les pays voisins.

Mais la France a sa part de responsabilité : l’opération franco-britannique de 2011 pour obtenir la peau du colonel Kadhafi, menée sans préparation et sans action ou contrôle au sol, a jeté sur les routes de l’exil, et notamment au Nord-Mali, les ex-soldats enrôlés dans l’armée libyenne, dont quelques milliers de Touaregs, avec leur équipement, qui ont constitué l’ossature des groupes armés au Nord-Mali.

Membres de la garde nationale malienne patrouillant près de l'aéroport international de Bamako le 16 janvier 2013. (AFP - ISSOUF SANOGO )

De leur côté, les militaires français préparaient des opérations depuis deux ans, notamment pour tenter de libérer les otages. Des petits détachements des forces spéciales, ainsi que des moyens d’observation et de renseignement, étaient déployés dans la région, et ont pu être utilisés lors du déclenchement de l’opération «Serval».

Comment voyez-vous l’avenir ?

L’un des problèmes qui se pose, c’est que les buts de guerre, comme souvent en pareil cas, sont glissants. S’agit-il d’assurer la sécurité de la capitale et celle des Français ? De donner un coup d’arrêt aux groupes armés ? De mener la guerre au terrorisme ? De plus, les Français se retrouvent seuls alors que le problème concerne à la fois l’Afrique et l’Europe.

Pour autant, je pense que cette intervention est un «moindre mal», comme l’a dit fort justement Le Monde. La France n’avait sans doute pas tellement le choix. Il n’était pas possible de tolérer plus longtemps cette espèce de «Sahelistan» aux portes du Maghreb et de l’Europe.

Il faut voir que la prise d’otages en Algérie contribue à internationaliser la crise. Cela peut donner un peu plus de légitimité à la France sur l’air de «Voyez ce dont ils sont capables», et ainsi accélérer la mobilisation aux côtés de la France et des Africains, pour la suite de l'opération au Mali.
 
D’une manière générale, cette intervention est à la mesure des moyens de Paris, sur les plans militaire comme budgétaire. C’est une «petite guerre», dans un pays ami, sur un terrain connu.

Convoi de militaires français près de l'aéroport de Bamako (Mali) le 11 janvier 2013 (photo du service de communication des armées). (AFP-ECPAD)

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