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Mozambique : la province du Cabo Delgado "prise en otage" par al-Shabab, groupe islamiste radical

Mais qui sont les insurgés et que veulent-ils ? Et comment le gouvernement peut-il répondre à leurs attaques qui risquent de déstabiliser la région et le pays ? Le chercheur Eric Morier-Genoud décrypte le phénomène dans The Conversation.

Article rédigé par The Conversation - Eric Morier-Genoud
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Temps de lecture : 8min
La province du Cabo Delgado au Mozambique, un terrain fertile pour l’extrémisme. (Flickr, CC BY-SA)

Depuis près de 17 mois, la province du Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, est prise en otage par des insurgés. Les attaques armées, les décapitations et la destruction sont devenus monnaie courante et beaucoup craignent que la violence s’intensifie et déstabilise l’économie du pays.

Le problème, c’est que personne ne sait vraiment qui sont les insurgés. Faute de communication de leur part, leurs motivations restent difficiles à cerner.

Les spéculations et les théories du complot vont bon train et nombreux sont ceux – y compris parmi les représentants de l’État et le nouveau président de la Renamo, le parti d’opposition – qui estiment que l’insurrection est la conséquence d’une lutte au sein de l’élite nationale pour le contrôle des richesses pétrolières, gazières et minérales de la province.

Le gouvernement donne peu d’explications, et celles-ci sont souvent contradictoires. Il a par exemple déclaré que les violences étaient commises par des « criminels » locaux désoeuvrés dont les attaques avaient pour but d’importer le djihadisme mondial au Mozambique.

Ce manque d’information et ces incohérences n’aident évidemment pas à comprendre la situation dans la province du Nord et à décider des actions à prendre pour endiguer le problème.

Les racines de l’insurrection

La population locale appelle le groupe armé « al-Shabab », ce qui signifie « jeunesse » en arabe et se réfère, bien sûr, au groupe islamiste somalien éponyme (bien qu’il n’existe aucun lien formel entre les deux). Les origines du nouveau groupe remontent aux années 2000, lorsque des jeunes hommes du Conseil islamique ont commencé à prôner une nouvelle lecture du Coran et une nouvelle pratique de l’islam.

Dans la province du Cabo Delgado, ils ont créé une sous-organisation légale au sein du Conseil islamique, Ansaru Sunna, qui a construit de nouvelles mosquées et prêche une application plus stricte de l’islam dans toute la province. Très vite, Ansaru Sunna a donné naissance à une secte encore plus radicale et militante, que la population locale appelle « al-Shabab ».

Ce groupe, opposé à l’État laïc, s’est d’abord occupé des pratiques et débats religieux. En 2010, les villageois de Nhacole, dans le district de Balama, ont voulu se débarrasser de lui en détruisant la mosquée. Les membres de la secte se sont réfugiés à Mucojo, dans le district de Macomia, et des tensions ont éclaté avec la population et les autorités locales.

La police est intervenue à deux reprises, dont une fois en 2015 après que la secte a tenté, par la force, d’interdire l’alcool dans la ville. L’intervention s’est terminée par la mort d’un policier, poignardé par l’un des membres du groupe.

Recours aux armes

Particulièrement inquiètes des actions du groupe, des personnalités et des organisations musulmanes – parmi lesquelles le Conseil islamique, dont « al-Shabab » s’est séparée – ont demandé plusieurs fois au gouvernement d’intervenir.

Fin 2016, le gouvernement a finalement accédé à leur demande et commencé à arrêter et traduire en justice certains leaders dans toute la province. Ceux-ci ont été accusés de désinformation, de rejet de l’autorité de l’État, de refus d’envoyer leurs enfants à l’école et d’utilisation de couteaux pour se protéger.

On ne sait pas quand les membres d’« al-Shabab » ont commencé leur entraînement militaire, mais les actions de l’État contre leurs leaders semblent avoir marqué leur passage au conflit armé. Leur première attaque a eu lieu en octobre 2017 dans la ville de Mocímboa da Praia et dans les communautés environnantes.

Depuis, les membres de la secte ont établi leur camp dans la brousse d’où ils attaquent des villages isolés. Le nombre d’attaques et leur brutalité n’ont cessé d’augmenter en 2018. L’insurrection s’est davantage organisée et concentrée sur une bande côtière d’environ 150 km, de la capitale de la province de Pemba à la frontière tanzanienne.

Les graines de la discorde

Il est clair que l’insurrection s’est construite sur certaines tensions sociales, religieuses et politiques locales. La province du Cabo Delgado est la plus pauvre du Mozambique : le taux de chômage y est élevé, en particulier chez les jeunes, elle est en grande partie rurale et les services publics n’y sont pas efficaces.

Les récentes découvertes de pétrole et de gaz dans la région ont suscité beaucoup d’espoirs, mais les communautés n’en ont tiré que très peu d’avantages, voire aucun, en particulier dans les zones rurales.

Le fait que les musulmans se sentent particulièrement marginalisés dans la province du Cabo Delgado, alors que leurs voisins ethniques ont un accès privilégié au pouvoir politique national depuis l’indépendance, contribue en outre à expliquer l’ascension d’un discours islamiste anti-État.

On a beaucoup parlé des liens du groupe avec la Somalie, la République démocratique du Congo et l’Ouganda, mais il a surtout des relations avec la Tanzanie.

Les imams mozambicains se forment en Tanzanie depuis plus d’un siècle et les échanges entre les communautés religieuses des deux côtés de la frontière ont lieu depuis plus longtemps encore. Il n’est donc pas surprenant que l’« al-Shabab » du Mozambique ait noué des liens avec des musulmans aux vues similaires en Tanzanie dans les années 2010.

Lorsque les radicaux tanzaniens sont passés à la violence et que l’État a réagi par la force après 2015, et plus particulièrement au début de 2017, certains ont rejoint « al-Shabab » au Mozambique, ce qui a renforcé et partiellement internationalisé l’insurrection.

A la recherche de solutions

Puisque « al-Shabab » au Mozambique n’est pas né d’un complot interne ou externe, l’État doit se concentrer sur les dynamiques sociales, religieuses et politiques en jeu pour contrôler et combattre l’insurrection.

Si l’armée mozambicaine a réussi à contenir l’expansion géographique de la secte armée, le gouvernement doit s’employer avec la même force à réparer les griefs de la population que les insurgés exploitent.

Le chercheur mozambicain Yussuf Adam a avancé une idée intéressante à ce propos. Il fait valoir que l’État devrait organiser des « états généraux » pour identifier les problèmes et élaborer des solutions, depuis la base et de manière inclusive.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast for WordThe Conversation

Eric Morier-Genoud, Senior Lecturer in African history, Queen's University Belfast

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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