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Allégeance à l'EI, lycéennes enlevées et guerre des chefs : trois moments qui montrent qu'on comprend mal Boko Haram

Certaines actions de la secte islamiste sont présentées simplement alors qu'elles relèvent d'enjeux parfois très locaux et internes au mouvement terroriste.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un soldat nigérian passe devant un bâtiment incendié à Michika, au Nigeria, que l'armée vient de reprendre à Boko Haram, le 10 mai 2015. (AKINTUNDE AKINLEYE / REUTERS)

Mais qui dirige Boko Haram ? Depuis le début du mois d'août, cette question agite journalistes et spécialistes des groupes jihadistes. Alors que la secte nigériane a diffusé, dimanche 14 août, une nouvelle vidéo de jeunes filles présentées comme des lycéennes enlevées à Chibok, l'identité même du chef de Boko Haram demeure un mystère. Rien n'est jamais simple avec Boko Haram : ce n'est pas un groupe terroriste comme les autres et la secte islamiste reste entourée de mystères. Voici trois événements où les choses ne sont pas forcément ce qu'elles semblent.

Quand l'organigramme de Boko Haram semble dicté par l'Etat islamique

Difficile de se défaire de ses tropismes. Multipliant les attentats en Europe, l'Etat islamique focalise l'attention des Occidentaux. Boko Haram est responsable d'une crise humanitaire majeure qui a fait plus de 20 000 morts et obligé 2,6 millions de personnes à fuir leurs foyers. Mais la secte fait surtout parler d'elle quand il est question de ses rapports avec l'Etat islamique.

Ainsi, le 2 août, Al Nabaa, hebdomadaire officiel du groupe Etat islamique, publie un entretien avec Abou Mosab Al Barnaoui. L'homme est présenté comme le nouveau chef du califat de l'Afrique de l'Ouest, le nom donné à Boko Haram, depuis qu'il a fait allégeance à l'organisation jihadiste. Al Barnaoui pourrait être l'un des fils du fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf. Mais en 2009, quand Mohamed Yusuf a été assassiné, c'est Abubakar Shekau qui a pris la relève de la secte pour la transformer en groupe armé. Shekau aurait été désavoué, car trop radical. Mais ce dernier, donné pour la énième fois blessé et peut-être même mort, ne tarde pas à répliquer à la nomination d'Al Barnaoui. Il le désavoue, affirme qu'il est "toujours présent", toujours chef, et qu'il n'acceptera "plus aucun émissaire" de l'EI.

Capture d'écran, le 9 novembre 2014, d'une vidéo de Boko Haram, montrant Abubakar Shekau. (AFP)

Mais alors, qui croire ? L'organisation de Boko Haram est assez rudimentaire. Le groupe est dirigé par un imam, qui s'appuie sur des cheiks (contrôlant différentes zones) déléguant eux-mêmes à des chefs ("musr") et sous-chefs, explique Corentin Cohen, chercheur à Sciences Po, rattaché au CERI, dans un article publié dans la revue Afrique Contemporaine. Il précise qu'ensuite, "les groupes d'une trentaine de combattants peuvent mener des attaques de manières autonomes".

Mais, dans le fond, la secte n'est pas très hiérarchisée, relève le géographe Christian Seignobos dans Le MondeC'est surtout un réseau de "cellules", autant de "bases", "de tailles variables", ce qui rend la secte d'autant plus difficile à éradiquer. De plus, Boko Haram fonctionne comme une franchise, agrégeant des groupes disparates. Dans une région marquée par la violence comme moyen de pression politique, mais aussi de subsistance, coupeurs de route et bandits de grand chemin se labélisent Boko Haram, profitant de la faiblesse des forces de sécurité pour se livrer à la rapine et aux trafics en tous genres. 

Finalement, la récente bataille de communication entre d'un côté l'Etat islamique et Al-Barnaoui et, de l'autre, Abubakar Shekau, confirme qu'"il n'y a pas de commandement homogène, mais plusieurs factions avec des façons de se comporter qui correspondent à différentes stratégies, que l'on soit par exemple sur les îles et les rives du lac Tchad ou à la frontière camerounaise et dans la forêt de Sambisa", deux bastions de Boko Haram, explique à francetv info Corentin Cohen. Bref, Boko Haram est plus un ensemble de groupes armés, une mouvance, qu'une organisation structurée.

Quand Boko Haram semble réduire les femmes en esclavage par simple cruauté

Si l'on peine à comprendre Boko Haram, c'est aussi que "du côté des observateurs occidentaux, on ne se défait toujours pas d'une analyse moraliste et émotionnelle des événements liés à Boko Haram", plaide Christian Seignobos. "Il ne s'agirait que de cruauté gratuite, au simple motif qu'ils sont monstrueux. L'indignation ferait office de réflexion. On se trouve à la limite de notre propre grille d'analyse, condamnés à n'y rien comprendre."

Boko Haram était déjà en pleine expansion quand il s'est fait connaître du grand public en 2014, lors de l'enlèvement des "filles de Chibok". Shekau a menacé de les vendre au marché ou de les marier de force et suscité l'indignation internationale, jusqu'au pape ou à la Première dame des Etats-Unis, Michelle Obama. Au-delà de la violence infligée à ces jeunes filles, elles devaient d'abord servir de monnaie d'échange. Pour leur libération, Boko Haram a réclamé la libération de combattants.

Des femmes demandent aux autorités de retrouver les lycéennes enlevées, lors d'une manifestation devant le Parlement, à Abuja, la capitale du Nigeria, le 30 avril 2014. (AFOLABI SOTUNDE / REUTERS)

En fait, cette stratégie de la secte semble être apparue en mimétisme à celle des autorités nigérianes, montraient un analyste et une journaliste dans le GuardianA partir de décembre 2011, une centaine de femmes et d'enfants des dirigeants de la secte ont été arrêtés, probablement dans l'idée de faire pression sur les combattants pour les amener à négocier. La propre femme de Shekau aurait été faite prisonnière. Dans l'une de ses vidéos, il menaçait d'ailleurs : "Maintenant que vous tenez nos femmes, attendez de voir ce que nous allons faire à vos propres femmes... A vos propres femmes conformément à la charia." Boko Haram se venge et s'inspire de l'attitude des forces de sécurité nigérianes.

De même, Abubakar Shekau est régulièrement présenté comme fou ou irrationnel. Il a certes recours à l'outrance dans ses prêches et ses messages vidéos, mais le discours de Boko Haram se teinte aussi d'une dimension sociale et religieuse qui exalte et mobilise ses partisans.

Quand Boko Haram semble participer à une "internationale jihadiste"

Troisième travers : faire de Boko Haram un énième groupe d'une supposée "internationale jihadiste". Des déserts d'Afrique de l'Ouest où évolue Al-Qaïda au Maghreb islamique à ceux d'Afrique de l'Est occupés par les shebabs somaliens, la tentation est forte de voir en Boko Haram un "chaînon manquant" au cœur du Sahel. En outre, l'allégeance de Boko Haram à l'Etat islamique, en mars 2015, inscrirait le groupe dans un conglomérat s'étendant du Nigeria aux Philippines avec pour épicentre l'Irak et la Syrie. Attentats contre des églises, massacres de populations, menaces contre les Occidentaux plaident pour cette analyse.

L'un des massacres de Boko Haram les plus médiatisés s'est produit à Baga, sur la rive occidentale du lac Tchad, et dans seize villages alentours, pratiquement rasés. S'agissait-il de régner par la terreur et de piller un important marché sur les rives du lac Tchad ? Pas seulement, explique Christian Seignobos. Baga a été fondée par des Kanembou et des Kanouris (ethnie majoritaire au sein de Boko Haram). Alors que la région du lac Tchad est confrontée à une très forte pression démographique pour peu de ressources, les Haoussas ont largement investi Baga durant les quarante dernières années. Venue de l'ouest, cette ethnie commerçante a conquis le marché du poisson séché et du bois. Le géographe observe : "L'attaque de Baga Kawa n'était-elle pas le soulèvement attendu des ayants droit pour reprendre leur lac par Boko Haram interposé ? Cette action militaire de Boko Haram avait été précédée d'une campagne contre les commerçants usuriers 'Haoussa', rançonnés, enlevés, voire abattus, valant à Boko Haram la reconnaissance des communautés de pêcheurs."
A l'image de l'attaque de Baga, les conflits liés à Boko Haram revêtent surtout des enjeux très locaux, parfois difficiles à saisir de l'extérieur. La secte a prospéré sur le mépris de l'Etat nigérian pour le nord-est du pays. Finalement, loin d'une "internationale jihadiste", la stratégie de Boko Haram est avant tout sous-régionale et se nourrit de problèmes politiques locaux. Certes, Boko Haram, affaibli, a prêté allégeance à l'Etat islamique en mars 2015. Mais "Shekau a utilisé le label Etat islamique pour plus de visibilité, alors qu'il n'y avait pas encore de lien direct" entre les organisations terroristes, estime Corentin Cohen.

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